Le Niger est sous le feu des projecteurs depuis le coup d’Etat orchestré par un conglomérat de militaires le 26 juillet dernier. Cet énième putsch intervenu dans la sous-région ouest africaine a été condamné par divers pays qui ont appelé au rétablissement dans ses fonctions du président constitutionnellement élu, Mohamed Bazoum. Une position qui est également celle de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) mais qui suscite depuis lors, divers réactions et commentaires peu rationnels au sein d’une certaine opinion.
L’actualité de la sous-région ouest-africaine est dominée, depuis peu, par la crise au Niger, consécutive à l’irruption de militaires sur la scène politique, prenant en otage le président démocratiquement élu. La réaction de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), face à cette situation, est à la fermeté : exigence de réinstallation du président Mohamed Bazoum dans ses fonctions, rétablissement de l’ordre constitutionnel et, à défaut, intervention militaire pour y procéder. Depuis son annonce, force est de constater que cette position de la Cédéao donne lieu à divers commentaires, notamment hostiles, de la part de personnes qui se disent panafricanistes ou de populations qui n’y comprennent pas grand-chose en réalité. Pour elles, les coups d’Etat sont la solution parce qu’ils permettraient de s’affranchir de tel pays qui serait la cause des malheurs du continent, pour s’allier à tel autre qui serait le sauveur. Aussi, est-il important d’éclairer davantage les lanternes des uns et des autres, pour leur faire comprendre, à travers des arguments accessibles, que la démocratie reste le seul modèle de gouvernance aujourd’hui valable.
Le coup d’Etat, un frein à la démocratie
Il est une vérité de Lapalisse qu’en démocratie, le mode d’expression politique des populations, c’est le bulletin de vote à travers les élections. Autrement dit, c’est à ces occasions que les populations choisissent leurs dirigeants pour une durée donnée. C’est notamment à cette occasion qu’elles sanctionnent les dirigeants ou leur décernent un satisfécit. La démocratie, comme tout autre système politique, est perfectible. Elle a donc ses points forts et ses points faibles. Cependant, c’est encore elle qui permet que, sur le temps d’un mandat, la voix de la majorité du peuple oriente l’action politique. Ainsi, elle permet d’élire le président de la République, les députés, les maires, les chefs quartiers, etc. Dans certaines organisations sociales (Ong, associations, entreprises publiques ou privées), on élit aussi les responsables. Il faut reconnaître que pour une raison ou une autre, des difficultés de parcours, des incompréhensions voire des crises peuvent survenir. Le cas échéant, les mécanismes de règlement de ces crises sont toujours prévus par les textes et on doit y faire recours. Il va sans dire qu’en démocratie, les différends se règlent par les voies républicaines et non par la force ou la remise en cause du processus. Il est donc inadmissible que pour une raison ou une autre, des militaires, parce qu’ils ont des armes, interviennent pour mettre fin au processus démocratique. Si l’on cautionne cela, l’on devrait aussi comprendre et accepter que dans une circonscription électorale, dans une commune, si pour une raison ou une autre on n’est plus d’accord avec le député ou le maire, on peut recourir à la force pour mettre fin à ses fonctions. Il en sera de même des chefs de famille ou des dignitaires traditionnels (têtes couronnées et autres) qui à l’état familial ou communautaire, peuvent être démis par quelqu’un qui dispose de la force, notamment les armes. Il est évident qu’une tel type de société serait de l’anarchie totale. D’ailleurs, on n’a jamais vu, nulle part, les populations en appeler à perpétrer des coups de force parce qu’elles seraient mécontentes. Il s’agit toujours d’une initiative cavalière de quelques militaires ou acteurs politiques sans perspectives.
Donner du temps à la démocratie pour se consolider
Ce serait faire preuve de myopie intellectuelle que de dire qu’en démocratie, tout va pour le mieux. Cependant, il convient de rappeler que la démocratie est un processus, un apprentissage de tous les jours. L’exemple de certains pays de vieille démocratie est illustratif en la matière. C’est notamment le cas de l’actualité aux Etats-Unis avec les comportements de l’ancien président Donald Trump. Cet exemple prouve bien que même un pays qui pratique la démocratie depuis des siècles, peut connaître des crises majeures. Pourtant, dans ce pays, les militaires n’ont pas fait irruption sur la scène. Idem pour la dernière réforme des retraites en France qui a engendré une grosse crise sociale voire sociétale. Pourtant, il n’est passé à l’idée de personne que des militaires pouvaient s’inviter sur la scène pour déposer le président pour s’accaparer du pouvoir. En clair, on laisse ainsi faire le jeu démocratique et, au moment des élections, les populations exprimeront leur choix et diront par la même occasion, leur appréciation de l’action politique menée par les dirigeants du moment. Si, par la force, on arrête de façon aussi intempestive le processus démocratique, on ne lui donne pas de chance de s’améliorer, de se parfaire pour impacter significativement la gouvernance et les conditions de vie. Agir ainsi, c’est organiser une remise en cause permanente qui, elle-même, génère l’instabilité chronique et ne favorise pas une action politique cohérente.
Un mal qui mine l’Afrique
Les observateurs de l’actualité africaine ont eu le temps de relever la disposition constitutionnelle que les autorités au pouvoir au Mali ont introduite dans la nouvelle Constitution. En effet, les putschistes qui ont pris le pouvoir au Mali sont conscients de la gravité d’une remise en cause de l’ordre constitutionnel. Ils ont en effet, inscrit dans la nouvelle Constitution qu’ils viennent de faire adopter pour le pays que « Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien » (article 187). A l’article 188 d’indiquer : « Les faits antérieurs à la promulgation de la présente Constitution, couverts par des lois d’amnistie, ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de poursuite, d’instruction ou de jugement. ». On peut ainsi constater qu’ils entendent éviter de subir eux-mêmes des coups d’Etat et aussi s’éviter tout jugement futur. Si donc les militaires putschistes sont conscients que cela ne fait pas avancer, il y a lieu de comprendre les exigences de la Cédéao pour un retour à l’ordre constitutionnel. Malheureusement, en Afrique, certains n’ont pas encore compris cela. Cette attitude est de nature à donner raison à l’ancien président Français, Jacques Chirac, qui disait que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique ». Ce que Les Africains avaient, en son temps, dénoncé avec vigueur, convaincus que l’Afrique devrait faire son apprentissage jusqu’à atteindre les standards les plus élevés en la matière.
De l’influence de la France sur la Cédéao
A ce sujet, il convient d’entrée, de faire observer que la Cédéao n’est pas composée que de pays francophones, anciennement colonisés par la France. Des pays comme le Ghana et le Nigéria qui en assure d’ailleurs la présidence actuellement, en sont membres. C’est donc infantiliser les pays membres de l’organisation que de penser que la France leur dicte ou impose ce qu’ils doivent faire. C’est totalement curieux que beaucoup ne retiennent pas les prises de position des Etats-Unis d’Amérique ou de l’Onu soutenant les décisions de la Cédéao et, lorsque la France le fait, ils considèrent que c’est elle qui oriente le jeu. L’enjeu véritable, c’est que nos pays soient bien gouvernés et aient des dirigeants visionnaires et ambitieux. Le Bénin se démarque en la matière. En effet, depuis 2016, même lorsqu’une frange de la population s’accorde à dire que les temps sont durs, elle reconnait aussi que grâce à la qualité de la gouvernance, le sort de notre pays change de plus en plus positivement. Ce qui veut dire que c’est possible de faire autrement les choses.
Rétablir l’ordre constitutionnel au Niger : un impératif pour la Cédéao
De par sa ligne et ses principes, la Cédéao ne saurait laisser l’anarchie s’installer au point de déstabiliser la sous-région entière. En raison de tout ce qui a été dit ou rappelé supra sur les vertus de la démocratie et les règles républicaines, il est normal que la communauté ne laisse pas faire. Autrement, les pays entreraient dans un cycle vicieux d’éternel recommencement sans jamais réussir à améliorer les conditions de vie des populations. Se taire ou cautionner cela, c’est aussi accepter que cela se répète ailleurs demain. C’est aussi accepter qu’il y ait, dans les pays déjà en crise, des contre coups d’Etat. Car, la raison du plus fort du moment (parce qu’il détient les armes) prévalant, si les rapports de force changent, il y a forte probabilité que d’autres coups d’Etat interviennent. On entrerait ainsi dans une spirale de coups d’Etat sans précédent. De toutes les façons, si la Cédéao était obligée d’intervenir militairement, il ne s’agirait pas d’engager une guerre contre le peuple nigérien, mais juste d’une action ponctuelle en vue de restaurer la démocratie et la souveraineté du pays.
De l’engagement du Bénin dans ce dossier
La position du Bénin est simplement celle de la Cédéao et de ses pays membres. En tant que membre de l’organisation, le Bénin reste un partenaire fiable. D’autre part, le Bénin a intérêt à ce que la stabilité règne au Niger, et c’est pourquoi il s’implique autant car, si le Niger devient aussi insécure que d’autres pays du Sahel, l’insécurité grandirait plus et le Bénin, à l’instar d’autres pays, serait obligé de consacrer encore plus de ressources pour y faire face, lesquelles ressources sont nécessaires pour l’amélioration des conditions de vie des populations ainsi que la mise en œuvre des projets du Pag. Il ne s’agit donc pas pour le Bénin d’un engagement démesuré. Contrairement à ce que ventilent certains détracteurs.
Abdourhamane Touré