L’exclusion des représentants des travailleurs à la faveur de la relecture de la loi organique n°92-010 du 16 juillet 1992 n’est pas du goût des responsables syndicaux. Dans une interview accordée à Le Matinal, Anselme Amoussou, secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin) livre ses impressions. Il fustige une manœuvre qui vise à réduire la représentation des travailleurs, ce qui, de son point de vue, nuit à la légitimité et à la crédibilité du Conseil économique et social.
Le Matinal : Quelle analyse vous inspire la modification de la loi organique sur le Ces ?
Anselme Amoussou : J’ai suivi un peu le débat à l’Assemblée et ce qui est revenu de façon récurrente dans les interventions des députés, c’est la question de l’efficacité du Conseil économique et social. Mais voyez-vous, l’efficacité du Conseil économique et social dépend-elle de sa composante ? Ou dépend-elle du respect des règles du jeu? Ou dépend-elle de la procédure et de la démarche par le gouvernement? Parce que le Conseil économique et social est un organe de dialogue social, je dirai même, c’est un organe de dialogue sociétal au service de la gouvernance, au service de l’Exécutif. De ce point de vue, sa mission est claire. Pour ma petite expérience d’un mandat au sein du Conseil économique et social, j’ai remarqué que le Conseil économique et social a toujours joué sa partition. Le nombre de sujets d’auto-saisine que j’ai vus, auxquels j’ai participé en tant que membre du Ces et dont le retour n’a jamais été fait par le gouvernement depuis 5 ans, malgré que les rapports aient été envoyés, sont nombreux. Ce sont des sujets d’actualité d’ordre économique et d’ordre social dont les rapports ont toujours été envoyés à l’Exécutif et à chaque fois que nous nous retrouvons en plénière, la réponse que nous avons toujours reçue de la part du bureau du Ces est qu’on n’a eu aucun retour du président de la République, aucune réponse du gouvernement. Le Ces a trois commissions qui ont toujours travaillé à avoir des solutions pertinentes aux débats au sein de la société. Donc, je pense que l’efficacité dépend de l’implication de toutes les parties prenantes dans le jeu démocratique tel qu’établie par la Constitution. Je pense que c’est d’abord un faux débat et donc il faut chercher ceux qui sont responsables de l’inefficacité apparente du Ces. Il faut rechercher les coupables en dehors qu’au sein du Ces.
Comment appréciez-vous la nouvelle mouture du Ces ?
Cette relecture et cette nouvelle structuration du Conseil économique et social pose également la question de son équilibre, de l’équilibre des acteurs. Parce qu’il faut éviter d’en faire un organe politique et je pense que nous sommes en train d’aller vers cette extrémité-là. Aujourd’hui, toute la société civile qu’on ne maîtrise pas, a été éjectée du Conseil économique et social. Vous avez cet élément important qui montre bien que la pertinence de son existence se pose avec cette nouvelle configuration parce que vous avez le patronat qui est maintenu et vous avez les travailleurs qui ont disparu. Les représentants des travailleurs ont disparu tandis que le représentant des employeurs est présent. Qu’est-ce qui peut justifier ça ? Comment peut-on l’expliquer ? Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui que les représentants des travailleurs sortent du Conseil économique et social alors qu’on y maintient le gouvernement, qu’on y maintient les employeurs et dans le tripartisme qui est aujourd’hui le fondement du dialogue social de façon conventionnelle, vous avez les employeurs, vous avez les travailleurs, vous avez le gouvernement. Aujourd’hui, le troisième pilier du dialogue social est sorti d’un organe aussi important que le Conseil économique et social. Comment cela peut-il se justifier ? Personnellement, j’ai le sentiment d’une réaction de représailles contre des acteurs sociaux que l’on ne maîtrise pas, que l’on veut punir parce qu’ils ont osé exercer leur libre-arbitre, exercer la mission pour laquelle ils ont été élus à savoir : accompagner une gouvernance, interpeller quand ça ne va pas, dénoncer quand il y a des choses à dénoncer. Je pense qu’on est un peu dans ce registre-là. Je peux me tromper, mais voyez-vous, quand on en arrive à avoir ce genre d’interprétation d’une démarche de l’Exécutif ou du politique, vous voyez bien qu’il y a un malaise. Moi, je suis plutôt mal à l’aise surtout quand je regarde ce qui a été fait surtout que nous n’avons pas omis d’attirer l’attention du législateur sur cet aspect-là. Et voyez-vous comment finalement le débat a été fait. Et quand vous comprenez que toute cette configuration a été bien pensée par le gouvernement avec des instructions, finalement on a le sentiment que nous avons été la principale cible de cette loi.
Votre sentiment traduit une certaine révolte.
Est-ce parce que vous n’avez pas été associés à cette réforme ?
Ma réaction, c’est d’abord sur la démarche. Vous savez, on gagne toujours à avoir une démarche inclusive, un débat inclusif sur une réforme telle que celle-là, sur la relecture d’une telle loi. C’est toujours important d’instaurer le débat et de recueillir les avis des uns et des autres. Ça vous permet de prendre en compte des aspects les plus importants d’une réforme. Moi, je ne suis pas contre la relecture d’une loi organique qui date d’un certain nombre d’années déjà, mais je pense que la démarche gagnerait toujours quand vous êtes dans une position de gouvernant, à être la plus inclusive possible.
L’éviction des représentants des organisations syndicales pourrait-elle avoir des conséquences sur le fonctionnement de l’institution selon vous ?
Le Ces a pour mission de conseiller le gouvernement sur les questions économiques et sociales et les syndicats représentent une partie importante de la population active et leur absence au Ces signifie que les préoccupations et les besoins des travailleurs, pourraient ne pas être suffisamment pris en compte. Moi, je pense que cela peut engendrer des politiques économiques et sociales qui ne reflètent pas les réalités du terrain pour une grande partie de la population. La légitimité et la crédibilité du Ces dépendent de la diversité de ses membres et de la représentation équitable de toute les parties prenantes. L’exclusion des syndicats de mon point de vue, est perçue aujourd’hui comme une tentative de limiter la participation de certains groupes dans le processus décisionnel ce qui peut entacher la crédibilité du Ces. Par ailleurs, je pense que les syndicats en participants aux discussions, en contribuant aux décisions du Ces, en participant aux sujets d’auto-saisine et aux rapports envoyés au président de la République, peuvent aider à trouver des compromis acceptables pour toutes les parties et donc l’exclusion aujourd’hui des représentants des travailleurs, prive le Conseil économique et social de cette capacité à gérer et à prévenir les conflits sociaux et donc par ricochet à mettre en péril, la paix sociale.
Votre mot de fin
Partout dans le monde, la participation des syndicats au sein des organes consultatifs, économiques et sociaux comme le Ces est une pratique courante, reconnue pour son efficacité à promouvoir un dialogue social constructif. Et donc en excluant les syndicats, le Bénin encore une fois, se retrouve en décalage par rapport aux bonnes pratiques internationales en matière de gouvernance économique et sociale exactement comme ce fut le cas de la suppression du dialogue social au mépris de la procédure, en excluant les travailleurs de la Commission béninoise des droits de l’Homme. Vous voyez, nous sommes dans une sorte de planification qui a été faite pour exclure les organisations syndicales qui ont des voix dissonantes et tout creuset de dialogue et de discussion qui peut contribuer à l’apaisement social nécessaire à la bonne gouvernance dans un pays. C’est bien dommage. Je pense que la décision d’exclure les syndicats de la composition du Ces est une décision qui n’est pas bonne car je pense qu’elle a affaiblit le dialogue. Elle réduit la représentation des travailleurs, elle nuit également à la légitimité et à la crédibilité du Ces. Je pense également à titre personnel qu’elle augmente les risques de tension sociale parce que nous nous écartons des bonnes pratiques internationales et elle avilit encore une fois l’image du Bénin qui est reconnu comme un pays de démocratie et là nous sommes encore une fois en train de nous singulariser de façon tout à fait détestable et condamnable pour notre pays.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi