La ferblanterie est un corps de métier artisanal qui utilise le fer-blanc comme matière première pour la fabrication d’objets divers dont les lampes-tempête et les lampions à pétrole. Ce métier, autrefois fleuron de l’économie locale, est en berne face aux énergies renouvelables.
Les ateliers de fabrication des lampes-tempêtes et des lampions à pétrole ferment à Bohicon. Confronté à la concurrence des lampes à énergie électrique ou renouvelable, ce corps de métier de la ferblanterie perd progressivement le monopole du marché. « La mise sur le marché des petites lampes torches électriques ou solaires a été pour nous un coup dur », reconnaît Valentin Atinkpasso, l’un des responsables d’atelier de production de lampions à Ahouamè. L’air visiblement triste, il avance quelques chiffres comparatifs pour confronter sa perception. « Tenez ! En 2015 par exemple, nous avons produit 21.000 lampions pour une recette d’environ 4.200.000F CFA. Cette production a dégringolé jusqu’à 560 lampions par mois soit 80 chaque jour de marché de Bohicon. Ainsi, de 4.200.000F CFA, les recettes sont passées à environ 1.344.000F CFA en 2021», confesse-t-il en ajoutant qu’ils n’arrivent pas à maîtriser cette chute. Le comble, selon lui, est la crise de mévente qui les secoue de plein fouet. « Le hic est que nous n’arrivons plus à couler le peu que nous produisons. Il arrive parfois où nous ne faisons pas un chiffre d’affaires de 10.000 FCfa le jour du marché alors que nous devons faire face à des charges », se lamente Valentin Atinkpasso. De ses analyses, il a estimé que leur descente aux enfers est liée au fait que le marché soit envahi par les lampes portatives modernes à énergie électrique ou solaire. A l’épreuve de ces petits moyens d’éclairage modernes, les fabricants des lampions à pétrole ont perdu une bonne partie de leur clientèle. Dans nos villes et campagnes, ces moyens modernes d’éclairage ont pris le pas sur l’usage des lampions. Conséquence, le métier se meurt.
Un secteur agonisant vidé de ses acteurs
A Bohicon, la ferblanterie n’est plus rentable. Laissée aux mains des anciens, elle génère des chômeurs surpris par cette concurrence. N’étant donc plus économiquement viable, les jeunes ambitieux abandonnent et se reconvertissent. Alors qu’ils employaient une dizaine de personnes, les ateliers de fabrication des lampions et des lampes-tempête ont dégraissé leur effectif. Un tour dans l’atelier de Valentin Atinkpasso a permis de faire l’amer constat. « Avant, j’avais 4 apprentis et 12 jeunes en fin de formation soit 16 personnes. Aujourd’hui, je suis limité à mes enfants qui me donnent quelques coups de main si nécessaire », renseigne le maître des lieux les yeux rivés sur la matière première. A l’entendre, beaucoup n’exercent plus le métier. C’est le cas de Fabrice Lèkoto, la trentaine environ. « Avec ce qui se passe actuellement dans notre secteur, il faut changer de métier puisque celui que j’ai appris, c’est-à-dire, la fabrication des gouttières, ne me permet plus de nourrir la famille qui s’accroît », avance-t-il. A Paul Akoutè de renchérir. « Notre métier n’était pas mal. Mais, à un moment donné, les recettes ont commencé par chuter. Ce qui nous rend la vie très difficile ». La plupart de ces acteurs sont employés dans des usines de la place pour des travaux saisonniers ou ils sont dans la conduite de taxi-moto. D’autres par contre ont raccroché sans avoir la chance de gagner un nouvel emploi. Ceux-ci guettent et sautent sur les opportunités qui s’offrent à eux. « Pour le moment, je m’adonne à de petits jobs rémunérateurs qui m’aident à gérer la transition », confie Blaise Anitchéou. Si aujourd’hui la ferblanterie n’attire plus de nouveaux adhérents, elle a tout de même conservé certains grands vétérans. Valentin Atinkpasso et ses enfants continuent de l’exercer en vue de satisfaire le peu de demande encore disponible sur le marché parce que dans nos villes et campagnes l’usage des lampions et des lampes-tempête n’a totalement pas disparu des habitudes. « Nous n’avons pas le courant électrique ni les moyens de nous procurer une lampe électrique ou solaire. Le seul moyen d’éclairage dont nous disposons reste et demeure le lampion », déclare Pauline Mitokpè.
De la récupération au recyclage des boîtes de conserve
La fabrication des lampions est un métier séculaire qu’exerçaient de milliers d’artisans de Bohicon. Il exige aussi bien un savoir-faire technique et un goût marqué pour les différents métaux, que de la créativité et de la dextérité. En effet, sur la cour de Valentin Atinkpasso, sise derrière les rails, au quartier Ahouamè, la vie a repris. Il sonnait 9heures. Le centre de production artisanale des lampions ouvre ses portes. « Ici, nous fabriquons des lampions, des gouttières, des entonnoirs, des tamis et bien d’autres objets dérivés », s’empresse d’expliquer Valentin Atinkpasso, le visage perlé de sueur. A proximité de l’atelier, un club d’animation des femmes du quartier à droit de cité pour détendre l’atmosphère. Sous une paillote de fortune, les apprentis, au nombre de quatre, ont les yeux rivés sur les boîtes de conserve vides. Personne n’ose dérober son regard. Chacun s’occupe consciencieusement de son travail. La méthode du travail à la chaîne est instaurée dans l’atelier de manière à faire travailler tout le monde à la fois. Chaque élément du maillon de cette chaîne joue un rôle spécifique bien défini parce que l’heure n’est pas aux futilités. Valentin Atinkpasso, président de l’association des ferblantiers et gouttières de Bohicon et le maître des lieux, défait les boîtes. A l’aide de son ciseau, son principal outil de travail, il taille sur mesure la boîte étalée. Ensuite, avec son poinçon et son marteau, il réalise des brèches, où va-t-il fixer le support de la mèche, sur des surfaces circulaires d’environ 3cm de diamètre. Nazaire Atinkpasso, le tout dernier apprenti de l’atelier, rassemble devant lui les boîtes détachées et les couvercles déjà perforés. Assis sur son canapé, les doigts très agiles, il se met à façonner. Il donne la forme et réalise l’objet souhaité. Le produit semi ouvré est ensuite envoyé au troisième maillon de la chaîne. Elias Atinkpasso, la quarantaine environ, s’occupe de la soudure, l’étape la plus délicate et complexe de la fabrication. Ayant déjà capitalisé 5 ans d’expériences dans le métier, il parvient à la réussir avec professionnalisme. Il se sert donc de son soufflet, de son fer à souder, d’une pince, de l’étain et de l’acide préparé avec du zinc pour réaliser les soudures nécessaires, histoire de garantir la solidité de l’objet, de bien préciser la forme et de faire ressortir son aspect esthétique. Les tous petits de la famille veillent à la sécurisation des produits. C’est-à-dire, mettent les lampions et autres dans des paniers pour ne pas les détériorer parce qu’ils sont des objets très fragiles qui se cassent vite. Enfin, après la production, l’équipe en charge de la commercialisation se met aussitôt au travail.
Risques et contraintes du métier
Comme tout métier, la ferblanterie a aussi ses risques et contraintes. Il s’agit essentiellement de l’approvisionnement de la matière première qu’est les boîtes de conserve et l’étain qui devient de plus en plus rare et cher. Ils parcourent les cafétérias, les bars restaurants, les hôtels pour collectionner les boîtes de conserve de diverses tailles et de diverses formes. Lorsqu’il y a rupture de stock à Bohicon, il lance la commande ailleurs dans les autres régions. Cette matière qui, jadis pourrit dans la rue et sur les tas d’immondices, fait remarquer Valentin, se fait de plus en plus rare. Ainsi, on note à l’achat une flambée du prix qui se justifie par l’exploitation massive que l’on en fait de nos jours. Sans trop aller dans les détails, il informe que ces boîtes de lait, de tomate, de café et de Milo sont achetées actuellement à 25f pièce au lieu de 10f par le passé. « La rareté des boîtes de conserve induit la cherté de nos produits. Ce qui n’est souvent pas du goût des clients », renchérit Valentin Atinkpasso. Pour lui, ce travail de collection est l’une des plus importantes étapes du processus de fabrication. Il évite la pollution de l’environnement dans la mesure où ces emballages qui autrefois se retrouvaient dans la rue après usage servent autrement la population. Au regard de toutes ces difficultés, le produit fini revient cher et en fin de compte ne coule pas pour permettre aux artisans d’amortir les dépenses effectuées. Ce qui fait dire à Valentin Atinkpasso que ce métier n’est plus rémunérateur qu’avant. En se référant aux années 69, quand il a reçu sa libération, il a estimé que la ferblanterie ne nourrit plus son homme. Cependant, il assume parce que c’est un choix de ses parents qui ne l’avaient pas inscrit à l’école coloniale. A cela s’ajoutent les risques encourus. Ils se résument aux blessures, aux brûlures et aux pertes de la vue résultant de la mauvaise manipulation des outils. En somme, la ferblanterie ne vit plus à Bohicon. Ceux qui l’avaient choisi comme métier professionnel, le regrettent. La plupart au chômage peinent à retrouver leur équilibre. La contribution de ce métier à l’économie locale et au volet social, est dérisoire. Conséquence, le nombre de chômeurs s’est accru.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)