Les partis de la mouvance présidentielle ne se font plus de cadeau. L’ambiance de précampagne électorale est caractérisée par une montée inhabituelle de l’adrénaline entre des partis politiques soutenant les actions du président Patrice Talon. Un constat désolant qui, loin d’être perçu comme une preuve de la vitalité du débat politique, révèle plutôt la fragilité de ces chapelles politiques.
L’actualité politique au Bénin est marquée depuis quelques semaines par des démissions, adhésions, dissolutions, fusions mise en commun ou encore mariage entre acteurs et partis politiques. Le fait est loin d’être nouveau car il est symptomatique de la nécessaire reconfiguration de la classe politique à la veille d’une élection. Ce qui inquiète cependant est la virulence du débat entre acteurs politiques de l’écurie présidentielle. La tension est montée d’un cran depuis quelques semaines où le jeu des ralliements, démissions et fusions semble créer un déséquilibre au niveau de l’échiquier politique, un espace que se disputent depuis les Législatives du 28 avril 2019, les deux partis politiques de la majorité présidentielle que sont l’Union progressiste Le renouveau et le Bloc républicain. Ces deux chapelles que d’aucuns qualifient à tort ou à raison de « frères siamois » étalent de plus en plus leur adversité sur le terrain au regard des enjeux liés aux prochaines joutes électorales. Dans cette guerre larvée, tous les coups sont permis. Certains n’hésitant pas à en donner au-dessous de la ceinture. Débauchage, transhumance, marchandage, achat de conscience, médisance et calomnie. Tout s’y passe pour la cause. Médias, réseaux sociaux sont mis à contribution dans cette entreprise. Après avoir jeté leur dévolu sur la Force cauris pour un Bénin émergent (Fcbe) en la dépouillant de certains de ses membres influents, les deux blocs siamois se font face maintenant dans cette guerre de tranchées. Il ne se passe pas de semaine sans qu’on entende qu’un tel militant a quitté son parti d’origine pour rejoindre le second bloc de la mouvance présidentielle. Ainsi, ils sont plusieurs à quitter le Br pour l’Up Le renouveau et l’Up le renouveau pour le Br. Et la saignée n’est pas prête de se terminer car nous n’en sommes qu’au début.
Tirs croisés
Au Bloc républicain, on prête à l’Union progressiste Le renouveau, des velléités malveillantes de fragiliser ce parti à travers des démissions suscitées ou négociées au profit de celui dirigé par Joseph Djogbénou. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la récente démission de deux députés du Br, Awaou Bissiriou et Hilaire Adoun, au profit du plus grand parti du Bénin. Ces deux démissions ont déclenché l’ire du député Rachidi Gbadamassi, président de la commission des relations extérieures, de la défense et de la sécurité de l’Assemblée nationale. « Le comportement de nos amis, les collègues députés, c’est un comportement qui viole l’esprit du système partisan parce que nous avons souffert pour élaborer ce système. C’est pour éviter la prostitution politique, c’est pour assainir la classe politique que nous avons décidé de ces réformes », a dénoncé l’élu de la 8ème circonscription électorale au travers d’un entretien accordé à un média privé de la place. Si l’Union progressiste Le renouveau est perçue comme la formation politique qui se taille la grosse part du mercato. Et pourtant, il s’agit d’un jeu de rapport de forces. Ce qui se joue entre les deux partis politiques proches du pouvoir est guidé par la perspective des prochaines élections législatives. Au niveau de l’Union progressiste Le renouveau, l’ambition de maintenir l’hégémonie sur l’échiquier politique est clairement affichée. La directrice de l’administration du parti, Christhelle Houndonougbo Alioza, l’a clairement martelée au travers d’un entretien. A l’en croire « Les calculs et les données politiques qui nous concernent à savoir que nous travaillions à grandir plus notre parti politique, faire de notre parti le plus grand et le plus fort de la République, ces objectifs ne changeront pas. Les objectifs que nous avons à savoir gagner et bien gagner les élections législatives de 2023, ces objectifs ne pourront pas changer. Les objectifs que nous visons en disant qu’après les élections, nous structurerons statutairement notre parti politique, ces objectifs ne changeront pas. Continuer la formation de nos militants et militantes cela ne changera pas. Travaillez pour qu’en 2026, l’Up Le renouveau aille aux élections et s’en sorte victorieuse et gère la République du Bénin, ces objectifs ne changeront pas. ». Du côté du Bloc républicain, on perçoit cette ruée vers l’Up Le renouveau comme une source de problèmes qui pourraient profiter au parti au cheval blanc cabré dans la perspective des prochaines élections législatives. C’est du moins ce que pense le député Janvier Yahouédéou qui a exposé son analyse au cours d’une émission sur la télévision nationale le dimanche 25 septembre 2022. « Tenez-vous tranquille, lorsque vous rentrez dans un système où il y a surdose, il faut vous méfier du retour de la manivelle sur le terrain », a confié l’élu de la 24ème circonscription électorale avant d’indiquer que le Bloc républicain réfléchit à tout cela. Prenant l’exemple de la 19ème circonscription électorale, le porte-parole du Br estime que la guerre de positionnement à l’Up Le renouveau et les inévitables frustrations qu’elle va engendrer vont inéluctablement profiter au Br. Une manière à peine voilée de tourner en dérision ce que le parti présidé par Joseph Djogbénou pense être un avantage.
La guéguerre Br-Udbn, l’autre gangrène qui pourrit le débat politique
Les vagues que ne cesse d’alimenter la suspension par l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (Udbn), depuis le 17 août 2022, date de la rupture de sa mise ensemble avec le Bloc républicain, restent l’autre tâche noire de la fièvre préélectorale. Les diatribes ont pris une allure virulente du côté des deux partis au point où l’opinion se demande comment ils ont pu acter leur mise ensemble qui finalement n’a fait l’effet que d’un feu de paille. « Nous ne sommes pas encore allés à une seule élection avec l’Udbn. Les résultats que nous avons acquis à ce jour, c’est sans l’Udbn. Mais cette demande peut être aussi une opportunité pour le parti. Quand des gens qui ne sont pas tout à fait en phase avec le parti sont à l’intérieur, ils peuvent constituer un virus pour le parti. Si d’eux-mêmes, ils décident de s’en aller, c’est plutôt mieux pour le parti », avait déclaré Eugène Dossoumou, le secrétaire administratif permanent du Bloc républicain au lendemain du retrait de l’Udbn. Pour Abdoulaye Gounou, président du groupe parlementaire Br à l’Assemblée nationale, ce retrait est un épiphénomène. Et au député d’enfoncer le clou en révélant que l’Udbn n’était en réalité qu’une coquille vide qui n’a pas un ancrage véritable au plan national. Telle une réponse du berger à la bergère, Claudine Prudencio a réagi aux nombreuses injures dont est affublé son parti depuis son divorce d’avec le Br.
Talon invité à mettre fin à la bataille des coqs
Face au spectacle hideux qu’offrent à l’opinion les partis se réclamant de sa chapelle, le chef de l’Etat reste le seul qui détient encore les manettes et est à même de discipliner sa troupe. En sa qualité de chef d’orchestre, l’homme est donc invité à siffler la fin de la récréation afin que les uns et les autres se consacrent à l’essentiel. Visiblement, les partis de la mouvance présidentielle se trompent de combat car leur adversaire le plus redoutable, c’est bel et bien l’opposition, qui telle une spectatrice silencieuse, doit se réjouir de la bataille de coq à laquelle se livrent ses vis-à-vis.
Gabin Goubiyi