Au Bénin, l’accès de la femme rurale au foncier continue d’être un sujet tabou en raison des pesanteurs sociologiques consacrées par le droit coutumier. Dans plusieurs départements du pays, le phénomène s’observe avec acuité, malgré les efforts législatifs qui offrent à la femme des garanties d’accès à la terre et à la propriété foncière.
Soclogbo est un arrondissement de la Commune de Dassa-Zoumé. Nous sommes allés à la rencontre de dame Antoinette Bio, seule héritière des terres de son feu père, mais menacée d’expropriation sous le seul prétexte que la femme n’a pas droit à l’héritage foncier. D’une fratrie de (05) enfants, elle reste la seule survivante après le décès de ses quatre (04) frères. 42 ans, dame Antoinette Bio a hérité de son feu père un domaine d’environ 10 hectares. Mais c’est sans compter avec ses cousins (les enfants du petit frère de son père défunt) pour qui la femme n’a pas droit à l’héritage. « Ils ont dit que la femme n’a pas droit à l’héritage. Quand ils ont fait le partage de l’héritage au décès de mon père, j’ai reçu ma part. Mais mes cousins veulent me l’arracher. Ils ont pris une bonne partie et la seule partie qui me reste, ils sont encore déterminés à me l’arracher et ça fait actuellement objet de polémique entre nous », raconte Antoinette Bio. Mère de 13 enfants, Antoinette Bio gère une exploitation agricole établie sur un domaine d’environ 4 hectares. Elle y produit du maïs, du manioc, du soja, de l’arachide, bref, les produits vivriers pour nourrir sa famille et subvenir à ses besoins et celui de ses enfants. « Ils m’ont déjà pris environ 5 hectares de terre. S’ils m’arrachent le domaine sur lequel je suis actuellement, il ne me restera aucune terre. Si le Chef village leur avait signé les conventions de vente, ils m’auraient déjà exproprié parce qu’ils ont déjà vendu le domaine et n’attendent que de conclure la vente malgré que la collectivité se soit opposée à cette vente », explique-t-elle.
Le Chef de la collectivité à la rescousse
« Ils se sont disputés avec le chef de la collectivité quand ils m’ont arraché une partie de mes terres », raconte Antoinette Bio. Selon son récit, le chef de la collectivité a pris sa défense contre ses cousins et s’est farouchement opposé à eux au point de les faire arrêter par la police pour avoir vendu illégalement l’héritage de dame Antoinette. Pour Pascal A, sage de Soclogbo, la réalité à laquelle Antoinette est confrontée ne date pas d’hier. Selon lui, le père de dame Antoinette était encore vivant quand son oncle, (le petit frère de son père), a vendu une partie du domaine de son père sans l’accord du Chef de cette collectivité. Ce problème est commun à plusieurs départements du pays. C’est le cas par exemple du département du Zou. Dans les communes de Djidja, Zogbodomè, Za-kpota où il y a des familles qui disposent de grands domaines, les femmes n’avaient pas le droit à la terre parce que dans la conception générale, la femme est appelée à aller dans une autre famille. De ce fait, elle ne peut pas hériter d’un bien appartenant à sa famille d’origine. Compte tenu du risque d’insécurité foncière que comporte cette coutume, le législateur a voté la loi 2013-01 du 14 janvier 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin pour harmoniser le droit foncier. Dans les milieux urbains, il n’y a pas de problème. Celui qui dispose de son titre de propriété réel, à son décès, même s’il n’a que des enfants de sexe féminin, ce sont eux qui en bénéficieront. Dans ce cas, personne n’a le droit de dire que parce que ses enfants sont des femmes, ils n’ont pas droit à l’héritage. En revanche dans les milieux ruraux, la réalité est tout autre. Dans les milieux ruraux, la femme a seulement le droit d’exploiter la terre, mais n’a pas le droit de propriété. Aujourd’hui, le législateur a changé la donne de telle sorte que si vous allez devant les tribunaux, s’il est admis que le domaine appartient au père de quelqu’un, même si c’est une femme, le tribunal lui donne toujours plein droit.



Difficile accès des femmes au foncier
A en croire Dorcas Akpo, Secrétaire générale adjointe de la Fédération nationale des femmes agricultrices du Bénin (Fenafab), l’accès à la terre à la femme agricultrice est un véritable problème. L’héritage de la terre n’est pas autorisé à la femme rurale dans certaines régions du pays. « Pour que la femme rurale ait accès à la terre, il faut qu’elle l’achète elle-même », a-t-elle confié. « C’est une méconnaissance des textes, on doit continuer à vulgariser les textes à savoir la constitution, le code des personnes et de la famille et le code foncier domanial. Tous ces textes reconnaissent le droit à la femme d’avoir accès à la terre et de se constituer une propriété. Nul ne peut être privé de sa propriété sauf pour des raisons d’utilité publique. J’estime que malgré les textes, malgré l’évolution de la vie, on veut toujours ramener la femme à la chose. On estime que quand la femme est propriétaire de terre ce n’est pas pour faire profiter à sa famille d’origine », soutient pour sa part Me Alexandrine Bédié, avocate. Pour le juriste Steve Kpoton, les difficultés d’accès des femmes au foncier n’est donc pas un problème de textes de loi, mais plutôt un problème de société qui trouvera certainement sa solution dans l’éducation notamment des filles à connaitre leur droit et la sensibilisation des chefs traditionnels. « La solution à tout problème de société passe souvent par l’éducation. Il faut envoyer beaucoup de filles à l’école et il faut aussi sensibiliser les chefs traditionnels parce que dans le Zou par exemple, il y a cette spécificité que dans chaque famille, il y a les chefs de collectivités communément appelé « Dah » qui sont les administrateurs des biens de la collectivité », préconise le juriste Kpoton. C’est également l’avis de la psychologue Sègbédé Aligbonon qui a fait savoir que contrairement à ce qu’on pourrait croire, « les hommes n’interdisent pas toujours des choses, mais ce sont les femmes elles-mêmes qui s’interdisent des choses. Parce qu’elles ont reçu une certaine éducation et elles n’ont pas l’estime de soi nécessaire, le positionnement nécessaire pour s’approprier certaines questions. Elles ont l’impression qu’on leur a dit non, mais personne ne leur a dit non. Il est question d’éduquer la jeune fille à mieux se positionner pour son propre bien ». On voit bien que l’insécurité foncière est un frein à l’accroissement de l’activité économique des femmes. Le refus à la femme agricultrice d’accéder à l’héritage est un problème à l’augmentation de sa capacité de production. Dame Antoinette s’est plusieurs fois heurtée au refus des institutions bancaires de lui accorder de prêt pour l’achat des machines agricoles afin d’augmenter sa capacité de production. La raison avancée est qu’elle ne dispose pas des documents qui attestent qu’elle est la propriétaire des terres.
Un tableau acceptable et encourageant
Le gouvernement du président Talon fait du foncier un puissant levier de la mise en œuvre du programme d’action gouvernementale et une ressource territoriale pour le développement économique de la nation. La loi n°2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial a créé l’Agence nationale du domaine et du foncier (Andf) qui est un établissement public à caractère technique et scientifique en l’investissant, en son article 418, « d’une mission de sécurisation et de coordination de la gestion foncière et domaniale au plan national. ». Suivant le décret 2015-010 du 29 janvier 2015 portant attributions, organisation et fonctionnement de l’Andf, elle est chargée entre autres de fournir toutes les données sur le foncier à toute institution publique qui en ferait la demande sur la base des conditions qu’elle définit ; de donner son approbation préalable à tout projet de mise en valeur à des fins agricoles, halieutiques, pastorales, forestières, sociales, industrielles, artisanales ou de préservations de l’environnement qui sous-tend toute demande d’acquisition de terre rurale dont la superficie est supérieure à vingt (20) hectares et inférieure ou égale à cinq cent (500) hectares ; d’étudier et de donner son avis technique au conseil des ministres sur les projets de mise en valeur relatifs à l’acquisition des terres rurales de superficie supérieure à cinq cent (500) hectares d’exercer son droit de préemption sur toutes les transactions opérées sur toutes les terres rurales d’au moins deux (2) hectares et de donner son visa à toute vente de terres rurales.
Selon Landry Adélakoun, juriste spécialiste des droits de l’homme, il y a quelques années, le Bénin était dans une situation où les femmes n’avaient pas accès à la terre du fait des réalités culturelles, coutumières ou encore traditionnelles. Il soutient qu’avec l’adoption en 2013 du code foncier domanial qui après a été modifié en 2017, le Bénin a fait un pas en avant en reconnaissant aux femmes les mêmes droits d’accès à la terre que les hommes et c’est d’ailleurs ce que l’on voit dans cette loi à travers les articles 6 et 14. Parce que nous allons constater que déjà même au niveau de l’article 6, le législateur nous enseigne que l’Etat et les collectivités territoriales veillent au respect de l’approche dans l’accès au foncier en République du Bénin. C’est dire que dans le processus d’accès à la terre dans notre pays, le législateur fait de l’intégration des différentes couches, de la prise en compte des différentes couches un élément fondamental. Plus loin, souligne le juriste, à l’article 14 de la même loi, nous allons voir que le législateur dit toute personne physique ou morale en République du Bénin a droit d’acquérir un immeuble ou encore des terres. C’est dire que l’on soit de sexe masculin, féminin ou autre, tant que l’on est un citoyen béninois, de nationalité béninoise, l’on est obligatoirement en droit d’accéder à la terre. « Malgré le fait que nous ayons fait un pas, on a du mal à voir les femmes accéder à la terre dans certaines régions de notre pays. Mais l’Etat continue de faire des efforts, les partenaires au développent continuent de faire des efforts en implémentant des projets dans le cadre de la sensibilisation et de la vulgarisation de la loi. Au Bénin, plus de 60% des femmes se retrouvent en milieu rural et donc, ce sont les femmes en milieu rural qui sont confrontées à la difficulté d’accès à la terre. Parce qu’en milieu rural, nos us et coutumes, nos réalités traditionnelles semblent toujours prendre le dessus sur la légalité. Du point de vue du droit, tout a été fait, tout n’est pas parfait. Le travail va continuer tant du point de vue de la législation, de la sensibilisation et du plaidoyer. Le tableau est mieux qu’hier et on ne peut pas se satisfaire de ce qui se passe en milieu rural, car il y a la possibilité d’aller de l’avant et de faire mieux. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), si les femmes agricultrices avaient le même accès aux ressources que les hommes, la production agricole pourrait augmenter de 20 à 30 % en Afrique subsaharienne. Les femmes constituent 43% de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement. Or, moins de 15% des terres agricoles dans le monde sont détenus par des femmes. L’Etat doit continuer, les organisations non gouvernementales et autres acteurs doivent continuer le plaidoyer afin que le droit des femmes à l’accès à la terre soit davantage effectif. »
Changement de Mentalité
Face à ce problème de société qui entrave les activités champêtres de la femme rurale, il urge un changement de mentalité. Il est nécessaire d’informer les femmes sur le contexte juridique et les moyens de recours en cas de violations de leurs droits d’accéder à la propriété foncière ; d’amener les élus locaux, des agents de l’administration, les autorités traditionnelles à prendre en compte les droits des femmes dans l’attribution de l’exploitation des terres et dans le cas d’expropriation, procéder à des réparations ; d’amener les décideurs politiques à prendre plus en compte les intérêts et les besoins des femmes dans les réformes de la loi foncière et d’amener les décideurs politiques à faire appliquer les textes pour la jouissance effectives des droits que les textes confèrent à la femme et enfin d’amener les femmes à connaitre les dispositions qui leur sont favorables dans les textes afin de s’organiser pour en jouir.
Sergino Lokossou