Le procès de Reckya Madougou, ancienne ministre et candidate à l’élection présidentielle, s’est tenu vendredi dix décembre et a débouché sur une condamnation à 20 ans de prison pour « complicité d’actes terroristes ». La polémique fait déjà rage sur les réseaux sociaux et par voie de presse. Au risque de confondre Justice et tribunal médiatique.
Et si l’affaire Madougou n’était pas politique ? Celle-ci est bien une ancienne candidate, et son arrestation a bien eu lieu pendant la campagne présidentielle. Néanmoins, il s’agissait d’une campagne dont elle ne faisait plus partie, son dossier ayant été retoqué par la commission électorale nationale autonome (CENA). En d’autres termes, Reckya Madougou n’était plus candidate à cette élection. Hormis, naturellement, via des déclarations polémiques.
Loin d’être “vide” selon les mots de la défense, l’instruction a effectué son travail et soulevé des éléments tangibles, et ce même si les critiques concernant la brusquerie de l’intervention de la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) en mars 2021, et la mise sous mandat de dépôt, sont audibles. De plus, Reckya Madougou est loin d’être seule, elle dispose d’une équipe d’avocats de haut niveau. Parmi lesquels Antoine Vey, l’un des ténors les plus en vue (et les plus chers) du Barreau de Paris à réputation internationale. Il est notamment célèbre pour avoir assuré la défense d’Abdelkader Merah, condamné en France en 2019 pour complicité de terrorisme et d’assassinat.
La condamnation s’appuie sur des éléments tangibles. On rappelle que l’arrestation a fait suite à la dénonciation du Colonel Ibrahim Mama Touré, avec qui elle aurait projeté des attentats terroristes, dans le but de suspendre le processus électoral.
Alors que les groupes djihadistes venus du Sahel tentent de s’implanter dans le nord du pays : peut-on réellement reprocher à la Criet son intervention très (trop ?) énergétique et rapide ? On rappellera que cette compétence de réaction rapide fait partie de ses attributions. C’est d’ailleurs la menace terroriste grandissant dans le Sahel qui a motivé la création d’un arsenal juridique agile et réactif.
La Criet : cour sous influence ?
Sauf à verser dans les théories du complot, on voit mal comment la sphère politique pourrait influer sur le fonctionnement de la Criet.
Celle-ci est dirigée par un président permanent, nommé à l’issue d’une longue procédure, consistant en une enquête de moralité et de compétences. En outre, il n’est pas seul, étant accompagné de magistrats, assesseurs et suppléants. Une commission d’instruction, distincte, est dirigée par un autre magistrat et d’autres juges assesseurs.
Il s’agit donc d’une institution juridique moderne fonctionnant avec des magistrats dont le travail est contrôlé par leurs pairs. Une précaution qui est censée garantir l’impartialité et l’indépendance de l’institution.
De fait, la Criet traite de centaines de dossiers chaque année et n’a donc de fait pas pour objet de réprimer l’opposition. Elle fait partie d’un vaste arsenal juridique destiné à lutter efficacement contre la corruption qui a longtemps gangrénée le Bénin. Son utilité et sa compétence ne font donc pas de doutes.
Défendre l’Etat de Droit
L’Etat de Droit implique un contrat social, qui lui-même suppose une certaine confiance dans les institutions. On ne peut pas reprocher à l’Afrique de ne pas respecter la justice et en même temps remettre systématiquement en doute l’impartialité des institutions.
On retrouve ce même paradoxe dans les élections présidentielles et la critique de la démocratie. Les oppositions utilisent trop souvent l’arme du boycott pour contester la légitimité du résultat d’un scrutin. Ce qui revient à prendre en otage les institutions.
Reckya Madougou a d’ailleurs joué une partition similaire lors de la campagne. Elle avait refusé le système de parrainage. Avant de présenter, sciemment, un dossier incomplet, en arguant qu’elle n’avait pas réussi à trouver suffisamment de parrainages d’élus à cause des pressions gouvernementales, sans pour autant présenter de preuves. Cette posture a semblé calculée, traduisant une volonté de ne pas s’inscrire dans un processus légal et démocratique.
Pour autant, le temps juridique n’est pas le temps médiatique. Et le tempo, depuis mars, indique clairement que l’agenda n’est pas politique. Il importe donc de sortir du tribunal médiatique. Pour cela, il faut commencer par cesser de refuser à l’avance, et par opportunisme, le jugement qui sera émis par la cour.