(La minorité parlementaire face à l’épreuve de la realpolitik)
Le nouveau porte-parole du président de l’Assemblée nationale, Vitali Boton, a animé pour la première fois depuis sa nomination, une conférence de presse mercredi 15 novembre 2023. Entre autres sujets, le con-férencier a annoncé la programmation à l’ordre du jour de la 2ème session ordinaire de l’année 2023, de la loi spéciale d’amnistie proposée par les députés du parti « Les démocrates » au profit de Réckya Madougou, Joël Aïvo et d’autres opposants condamnés, en détention ou en exil. Cette annonce fait dire à certains ob-servateurs que les députés de la minorité parlementaires sont mis devant leurs responsabilités.
Plusieurs mois après sa gestation, la proposition de loi spéciale portant amnistie et/ou abandon des poursuites judiciaires au profit de personnalités politiques pour des faits criminels pourrait être pour la première fois débattue en plénière à l’Assemblée nationale. La programmation de cette proposition de loi à l’ordre du jour de la 2ème session ordinaire de l’année 2023, permet en effet d’envisager des débats autour de cette question au sein de l’hémicycle. Elle vient mettre fin aux suspicions et velléités prêtées au président de l’Assemblée nationale et à la majorité parlementaire, de bloquer la proposition de loi et de ne pas vou-loir la programmer. Désormais, les députés de la minorité parlementaires sont mis devant le fait accompli et devront démontrer à la face du monde de quoi ils sont capables en terme de stratégie politique eux qui ont fait de la libération de Réckya Madou-gou, Joël Aivo et autres opposants condamnés ou en exil, une question de vie de mort. Le sujet a pratiquement été au cœur de la campagne électorale des dernières élections législatives pour le parti de l’opposition qui a vu son rêve d’obtenir la majorité au Parlement brisé au regard des résultats ayant sanctionné le scrutin. En effet, Eric Houndété et Cie n’ont pu obtenir que 28 députés, un score qui les met en situation de minorité. En dépit de ce statut qui ne leur permet pas d’avoir assez de marges de manœuvre, ces députés ont présenté à la presse vendredi 24 mars 2023, une proposition d’une loi spéciale d’amnistie. La proposition est rédigée pour faciliter la décrispation, la pacification et la réunification, affirment-ils. Ils ont d’ailleurs à l’occasion invité « son Excellence Patrice Talon, Président de la République et père de toutes les Béninoises et de tous les Béninois d’œuvrer pour l’aboutissement heureux de cette loi, toute chose qui renforcera son bilan économique, politique et social ». Quoique cette initiative confirme leur détermination à œuvrer à la libération de leurs compatriotes en conflit avec la justice, il n’en demeure pas moins que pour réaliser leur ambition, réitérée d’ailleurs lors de la constitution de leur groupe parlementaire et à plusieurs autres occasions, le parti de l’opposition radicale devra composer avec ses pairs de la majorité parlementaire. Ils devront faire dès lors montre d’un sens de management et de diplomatie en persuadant leurs collègues de la majorité d’adhérer à l’initiative. Ce qui semble assez difficile pour le parti au regard non seulement des rapports de force mais aussi et surtout des avis tranchés sur la question.
Des signes avant-coureurs d’un échec de l’initiative
L’initiative d’une proposition de loi spéciale d’amnistie pour la libération de Réckya Madougou, Joël Aivo et d’autres opposants condamnés, en détention ou en exil risque de faire flop et pour cause. Les députés de la majorité parlementaire dont le soutien est capital pour l’aboutissement du projet, semblent ne pas être sur la même longueur d’onde que leurs pairs de la minorité sur le sujet. Des déclarations du député Lazare Séhouéto sur un media en ligne de la place, il y a quelques mois, on peut déduire que le député n’est pas favorable à cette proposition de loi. En effet, l’élu de la 24ème circonscription électorale a confié ne pas être favorable au vote d’une loi d’amnistie en faveur de Réckya Madougou. Il dit être cependant disposé à accorder son vote au profit du professeur Aivo puisqu’il estime « qu’il n’y a pas eu de preuves directement liées à lui qu’on pourrait rattacher aux actes criminels qu’on lui reproche. On peut dire qu’il est le commanditaire », a-t-il nuancé. Une position qui montre la réticence de l’homme qui visiblement n’est pas en phase avec ses collègues porteurs de la proposition de loi. Avant lui, son collègue Gérard Gbénonchi avait exposé son approche. En effet, face à la proposition de loi d’amnistie, le député a fait une autre pro-position. Il estime que cette proposition de loi n’a pas sa raison d’être. Pour lui, il y a déjà eu un précédent en 2019 avec le vote d’une loi d’amnistie pour permettre la libération des personnes incarcérées dans le cadre des violences pré et post-électorales de cette année-là. Le gouvernement, par l’entremise de son porte-parole a également été invité dans une de ses sorties média-tiques à se prononcer sur sa position vis-à-vis de cette loi. A l’occasion, Wilfried Léandre Houngbédji avait indiqué que «si la loi arrive sur la table du chef de l’État, il va apprécier. Mais en amont, je ne sais pas » et d’ajouter qu’« ils (les députés toutes ten-dances confondues ndlr) n’ont qu’à régler leurs problèmes à l’Assemblée ». Le dernier avis sur le sujet est celui du député Eustache Akpovi pour qui l’initiative de la loi d’amnistie vient de mauvais côté. Il préconise carrément le retrait de la proposition de loi. « Ils n’ont qu’à retirer leur loi. S’ils retirent, la mouvance prendra l’initiative. Ce sont eux-mêmes qui bloquent tout. Ils ne veulent pas que Madougou et Aivo sortent de prison », a indiqué le parlementaire. Des propos diversement appréciés au sein de l’opinion. Face à ces différentes approches, on se demande si véritablement les députés du groupe parlementaire «Les Démocrates » parviendront à convaincre leurs collègues de la mouvance pour obtenir leur adhésion autour de la proposition de loi portant amnistie générale des prisonniers politiques.
Gabin Goubiyi