Danxomè, l’un des plus puissants royaumes du Bénin, a connu une kyrielle de traditions dont la plupart se perpétuent à nos jours. Parmi celles-ci, l’on distingue la cérémonie royale dite « Ganmèvo ». Elle s’organise à la fin des moissons et annonce toutes les autres cérémonies de Dada ou du souverain en l’honneur des ancêtres et des divinités du royaume.
La lame de houe, devenue plus tard un gong gémellaire doit son nom à la cérémonie royale ‘’Ganmèvo’’. Un instrument en l’absence duquel des hommages ne pourraient être rendus aux rois de Danxomè. Bien qu’inventé pour faire l’éloge des hauts faits des rois défunts et de celui en exercice, le Kpanligan établit, lors de Ganmèvo, la connexion entre le monde physique et le monde spirituel. Au regard de son rôle prépondérant, le roi Agadja a estimé, qu’à chaque fois que l’occasion lui est donnée d’honorer ses ancêtres, le Kpanligan doit retentir.
« Rien désormais ne pourra être fait à Danxomè en l’absence de cet outil », avait décidé le souverain. Cette décision prise par le roi Agadja au 17ème siècle, traduit à suffisance le sens donné à Ganmèvo, la porte d’entrée de toutes les autres cérémonies royales à la charge de Dada. « Le nom Ganmèvo tire son essence de deux syllabes ‘’Gan’’ qui signifie le fer ou le métal. ‘’mèvo’’ en langue fongbé rejoint l’expression en l’absence de. En conclusion,‘’Ganmèvo’’ veut dire alors : « Pas de cérémonie d’hommage ou de libations en l’honneur de l’esprit des rois défunts du royaume sans le métal et son utilisateur», explique Gabin Bernard Djimassè, l’un des experts de la tradition orale de l’histoire de Danxomè.
En effet, dans sa réflexion de trouver des moyens pour honorer de temps en temps ses ancêtres afin de bénéficier de leur grâce, le roi Agadja (1711-1741) a institué la cérémonie Ganmèvo. Après les premières éditions de cette cérémonie qui n’avait pas un nom au départ, la reine Tassi Hangbé, la sœur jumelle d’Akaba, a fait découvrir au roi, une innovation : l’introduction du Kpanligan dans les cérémonies royales.
De l’exposé de Gabin Bernard Djimassè, on retient que le Kpanligan n’est rien d’autre que la lame de houe dont se servait son utilisateur Awèssou pour faire son propre éloge. C’était tout au début de la création du royaume de Danxomè. Informé de l’existence d’une telle compétence dans son royaume, Agadja a alors sollicité cet instrument de Awessou qui fut envoyé au palais dans le but de rehausser l’éclat des manifestations. A la grande stupéfaction de Awessou, ni le ‘’Kpan’’ (l’utilisateur de la lame de houe), ni la lame de houe elle-même ne sont plus retournés au propriétaire à l’issue des cérémonies. Le roi a préféré les mettre définitivement au service du royaume.
Ainsi, il disait : «Rien désormais ne pourra être fait à Danxomè en l’absence de cet outil».La conservation du Kpanligan au palais n’est pas du goût de Awessou qui a réclamé sa propriété. Face à la pression du propriétaire de Kpanligan, le palais s’est exécuté.« Malheureusement, les deux n’ont pu atteindre leur destination. Kpanligan a été fauché par une mort tragique dans un accident à Awovislamè, actuel quartier Ahouaga », raconte-t-il. Surprenant n’est-ce pas ! Awessou a fait les frais de son manquement à l’égard du grand souverain. Dans la monarchie, à l’époque, seul le roi est détenteur de tout. Nul n’a le droit de réclamer quoi que ce soit au roi même s’il en est l’inventeur. Awessou a alors enfreint à ce principe sacro-saint de Danxomè qui lui a coûté son Kpanligan.
De la lame de houe au gong gémellaire
La décision du roi étant irréversible, le souverain du Danxomè d’alors, après la mort inattendue du Kpanligan de Awessou, a demandé à ses sujets de lui trouver une substitution.
Ainsi, la lame de houe a été transformée en un gong gémellaire. Même si l’outil a été transformé, le nom du joueur (Kpan) a été cependant conservé. Au palais, les fonctions de Kpanligan furent alors confiées à Agbowadan bô zo xa d’Adandokpodji devenu la maison mère de tous les Kpanligan de Danxomè où se trouve leur Dieu Gou, qui reçoit une offrande avant toute sortie de ce gong dont la confession est cédée à Agbogantountô d’Adjaxitô. Ayant doté le royaume d’un nouveau Kpanligan, l’hommage des ancêtres à travers le Ganmèvo se poursuit de génération en génération.
« La cérémonie Ganmèvo est la porte d’entrée de toutes les autres cérémonies qu’organise le roi en exercice sur le trône de Houégbadja, père fondateur du royaume de Danxomè.» tente d’expliquer Dr Romuald Mitchozounnou. « Instituée sous le règne du roi Agadja, elle intervient après la moisson et annonce l’organisation des autres cérémonies de la saison. Sa date est fixée par le roi en exercice.», avance Bah Bachalou Nondichao, un haut dignitaire d’Abomey. Elle consiste à donner à manger aux ancêtres et à implorer leurs bénédictions sur les sujets du royaume. « C’est une cérémonie qui permet à Dada de demander des choses ou de communiquer avec les ancêtres. C’est pourquoi elle se déroule en un lieu sacré », ajoute Romuald Mitchozounnou, modérateur.
Plusieurs grandes étapes ponctuent cette cérémonie qui s’apparente à une véritable retrouvaille. Sur invitation (Yôlô) du souverain, les princesses à la première loge, les princes, les ministres, les dignitaires de la cour royale et les gens du peuple prennent place pour la veillée d’armes. Sur la cour extérieure du palais où elle va se dérouler, ils échangent les civilités et quelques plaisanteries. Le chœur en charge de l’animation vespérale s’installe et lance les hostilités de la soirée récréative par une note introductive faite de l’instrumental. Les percussionnistes donnent symboliquement trois fois le top en manipulant leurs instruments. Les princesses, parées de leurs plus beaux bijoux prennent la relève en fredonnant le chant de la sortie des premières ignames qui annonce également l’été. Au terme de ce rituel qui marque l’ouverture de Ganmèvo, tout le monde se retire à l’exception de ceux qui viennent de loin. Ceux-ci passent la nuit dans le palais. «Cette première étape se déroule sans la présence physique du roi », souligne Bah Bachalou Nondichao.
Immolation et sacrifice en présence des Sinouka
Au lendemain, les manifestations sont essentiellement consacrées à la prière et aux sacrifices en l’honneur de l’esprit des rois défunts devant le Djèxô. Vers 18heures, comme à la veille, tout le monde se mobilise autour du cérémonieux (le souverain) sur la cour intérieure du palais où se dresse le Djèxô, la case ronde qui abrite l’esprit des rois défunts. Avant que le roi ne s’installe avec sa cour, les autels portatifs soigneusement recouverts d’étoffe sont exposés devant le Djèxô de même que les ‘’sinnouka’’ ou les calebasses renversées. Celles-ci servent à boire.
« En réalité, les calebasses ne sont pas des représentations mais plutôt des couverts. Si on les renversait, c’est parce que l’esprit ne s’émue mieux que dans l’obscurité et s’était sous ces calebasses qu’on donnait à manger aux esprits avant l’avènement des autels portatifs. Aujourd’hui elles font office de verres à boire », nuance Gabin Bernard Djimassè.
A proximité du Djèxô sont attachés le ou les bœuf (s) et les cabris qui seront immolés les minutes à suivre. Décrivant le dispositif mis en place pour ce type de cérémonie, Bah Bachalou Nondichao explique que les princesses et les filles descendantes du roi s’asseyent dans le Tassinonxô. Les ministres, quant à eux, prennent place dans le Atchassouxô ou Lèguèdèxô et les princes, s’asseyent en vrac.
S’installent ensuite le souverain et sa cours dans le Adjalala sous escorte du Kpanligan.L’installation des invités ordinaires et du public autorisés à rentrer au palais boucle la mise en place et enclenche la deuxième phase de la cérémonie par le même cérémonial que la veille. Animation culturelle et danses cérémonielles sont exécutées dans une chorégraphie majestueuse. Les louanges et les panégyriques conduisent tout doucement vers la prière.
Le roi est le premier à passer son message. Loin des regards du public, il invoque les mânes de ses ancêtres, formule des souhaits, des vœux et des doléances en faveur de l’épanouissement de son royaume. Les prêtresses et ceux habilités à exécuter un tel rituel font de même. Les bêtes offertes en sacrifice aux mânes des ancêtres sont par la suite immolées par Gbamènou, le boucher du roi. Le sang du sacrifice est versé sur les autels portatifs, représentant l’esprit des rois défunts. C’est alors que les griots de la cour royale et le collège des musiciens font le tour du Djèxô. Quand on finit la libation, on procède à une communion de repas avec les ancêtres. « Tous ceux qui sont présents doivent goûter au moins à l’un des plats présentés qui ne sont rien d’autres que les dérivés des céréales dont l’élément principal est le haricot parce qu’on l’assimile à nos reins. Les reins à la forme d’une graine du haricot. Les reins sont pour nous le siège de la conscience. D’où l’expression « Daïxomè’’ souvent prononcée en fongbé qui signifie : « Attention ! Prend conscience » en faisant allusion à ce céréale. Ce n’est pas le sens que la science a donné aux reins qui est exploité dans ce contexte mais plutôt le siège de notre conscience. Les éléments constitutifs des offrandes sont appelés ‘’Djinou sôgbé’’.
« Woxon » ou le repas communautaire
Le troisième jour des festivités est consacré au renforcement de la fraternité. A cette étape, les descendants des lignées royales constituant le Danxomè, les alliés et les sympathisants participent au repas communautaire que le roi offre à tous ses invités. Ceux-ci peuvent aussi contribuer en amenant depuis leur maison le plat fumant des mets traditionnels ou non selon le sens et la portée que chacun accorde à la cérémonie. La viande des animaux tués à la veille est servie à tout le monde ainsi qu’aux ancêtres. Les convives du roi se régalent et sablent le champagne en l’absence du souverain. Tout le dispositif de son accueil est installé mais, il ne participe à cette réjouissance populaire. Incarnant l’autorité morale et traditionnelle de Danxomè, le roi est astreint à certains comportements. C’est ce qui justifie son absence souvent constatée à la communion fraternelle. « Le roi ne mange pas. C’est pour cette raison qu’il ne participe pas au festin », renchérit Gabin Bernard Djimassè. Au quatrième jour, l’autorité royale prononce la clôture des manifestations culturelles et cultuelles et congédie tout le monde.
Zéphirin Toasségnitché
(Br Zou-Collines)