La sécurité, qu’elle soit individuelle ou publique, est une affaire de chacun et de tous. Où que l’on se trouve et quel que soit ce que l’on fait, on doit œuvrer à la consolider et à la sauvegarder. Lors d’une causerie-débat, animée par les praticiens du droit, à Bohicon, les garants de la tradition du département du Zou ont été entretenus sur la délicatesse de leur responsabilité dans ce processus au regard de la spécificité de la couche qu’ils constituent dans la société.
Sécurité. Réceptacle, les tradipraticiens, les chefs de couvents et autres acteurs du monde du vodoun en sont un. Agissant sur une matière invisible par la force des plantes, les guérisseurs traditionnels reçoivent des clients de tous acabits notamment ceux qui ont des ennuis de santé liés à la sorcellerie et des problèmes d’ordre spirituel dont ils sont convaincus d’avoir la solution au niveau de la tradition. Dans ce marché qui s’anime chez les garants de la tradition, l’on rencontre des personnes de bonne foi et aussi de mauvaise foi. Ayant occasionné ce pèlerinage, il revient au tradipraticien ou au chef de couvent de prendre les mesures idoines pour garantir à sa famille, à ses clients et à son entourage la sécurité. Malheureusement, le constat est tout autre. Ignorant de la déontologie et des textes qui régissent leur corporation, les gardiens de nos us et coutumes ne prennent souvent pas la mesure des risques de leur métier. Ainsi, au lieu de contribuer à la sécurité, ils deviennent, dans certains cas et par négligence, des portes ouvertes à l’insécurité. D’après la définition de Alain Sossa Amoussou, juge au tribunal de Porto-Novo, la sécurité est un état d’esprit, c’est-à-dire une manière d’être d’une personne qui se sent confiante, tranquille, qui se croit et se sent à l’abri du danger. Importante qu’elle soit, tout le monde en a besoin dans toute autre situation de la vie. Elle est le sous bassement de toute entreprise. « Tout commence par la sécurité » Etant donc sensible, la sécurité est une affaire de chacun et de tous. « Il n’y a pas de sécurité qui puisse venir de l’extérieur », précise Alain Sossa Amoussou, le premier substitut du procureur du tribunal de Porto-Novo. Pour qu’il y ait sécurité, poursuit-il, cela nécessite que chacun joue un rôle. Que chacun soit conscient que s’il ne joue pas son rôle, il y a une responsabilité qui l’attend. C’est-à-dire, le fait de ne pas participer à la sécurité, il doit être sanctionné, même naturellement.
L’implication des tradipraticiens dans la promotion de la sécurité
«Le rôle des tradipraticiens dans la préservation de la sécurité est ce qu’ils doivent faire. C’est ce qui est attendu d’eux. Ce qu’ils peuvent apporter à la Nation», tente de définir le juge pour mieux se faire comprendre. Selon lui, il n’y a pas la paix sans la sécurité qui se veut un travail commun. A ce titre, l’apport des garants de la tradition, vu la couche spécifique qu’ils forment, doit être des constats. Et pour cause. «Vous êtes en contact avec des gens en détresse, soit parce qu’ils sont dans un état de santé fragile, soit vous êtes en contact avec des gens qui ont des informations décisives à vous donner. C’est à ce niveau que tout le pays attend de vous un certain acte, c’est-à-dire une certaine responsabilité. En tant qu’acteur, si vous constatez que des pratiques ou des actes se commettent pour compromettre la paix sociale, votre responsabilité est d’aller dénoncer à vos responsables syndicaux ou aux autorités», explique le substitut du procureur de Porto-Novo. Il poursuit son développement en évoquant les préalables que doivent satisfaire chaque tradipraticien en face d’un client avant toute décision. Il s’agit de la conscience personnelle et de la volonté d’apprécier le travail ou le service qui vous ait demandé pour que cela ne puisse pas se retourner contre vous-même et contre la population. «C’est le premier pas vers la sécurité individuelle et la sécurité publique », souligne-t-il. Autrement dit, un guérisseur traditionnel qui reçoit un client doit obligatoirement faire un examen de conscience, c’est-à-dire, analyser sa requête ou le service qu’il sollicite par rapport à l’âge du client, à la fonction qu’il exercice, au travail qu’il fait et à la fréquence de la demande. Cela, à travers un renseignement ou au pire des cas consulter l’oracle pour avoir plus d’informations sur la qualité du client. Ces informations permettront non seulement au garant de la tradition de bien faire le travail, mais aussi de savoir si le client mérite réellement le service qu’il lui demande si tant. «Ce n’est pas encore la dénonciation et les responsabilités pénales qui vont venir après, mais un travail de conscience et de responsabilité personnelle » Il soutient son argumentaire de quelques exemples de faits courants. « Vous êtes un médecin qui sait soigner une plaie. Quelqu’un vient vous dire d’opérer son pied. Vous-même en tant que médecin qui ne savez pas faire d’opération, est-ce que vous devez penser à cela ? En tant qu’acteur, vous devez à votre propre niveau apprécier ce que vous pouvez faire ou ne pas faire pour tel ou tel. On n’a même pas besoin de vous menacer avec la loi. Ce qu’on recherche, c’est la paix. Si vous aller faire un travail qui va amener du désordre, c’est à votre niveau que vous devez l’analyser. Ce que vous ne pouvez pas donner à vos enfants. C’est cette même conscience que j’aimerais que vous ayez face à vos clients. C’est le premier processus de sécurisation personnelle et publique », insiste Alain Sossa Amoussou.
La responsabilité pénale de l’acteur
L’acteur en tant que tradipraticien a deux niveaux de responsabilités dans le processus de sécurisation. Au premier niveau, il engage sa responsabilité personnelle. C’est-à-dire qu’il a rendu service à un client dont il ne connait pas les qualités ou qui lui a menti sur ses qualités. Ici, il ne sera pas poursuivi pour le service rendu, puisqu’il ne savait pas. Mais il engage sa responsabilité pénale du moment où il continue de rendre service à client qui ne le mérite. Dans ce contexte, le tradipraticien sera poursuivi pour complicité. « Vous avez devant vous quelqu’un pour qui vous travaillez d’habitude et après, vous, vous rendez compte qu’il vous a menti sur sa qualité. Il vous a dit, par exemple, qu’il est un policier alors qu’en réalité il est un braqueur. Donc, il utilise votre produit de protection pour faire du mal à autrui. Il utilise votre science de manière détournée. A ce niveau, on sort de la responsabilité personnelle de l’acteur, c’est-à-dire du tradi-thérapeute parce qu’il a joué son rôle quand il faisait son travail au début. Mais, suite à l’évaluation de conscience, il a constaté qu’il a été dupé. Pour qu’il n’y ait pas une responsabilité pénale, pour que devant la loi, on ne lui reproche pas des choses, il doit s’abstenir de continuer à lui rendre le même service. Il doit, par des astuces, le recaler pour sa sécurité individuelle et pour la sécurité des autres. Si vous l’aidez dans ce contexte à faire plus, alors que vous savez que l’usage qu’il va en faire est dangereux, c’est dire que vous-même vous, vous transportez pour nuire à la population. Donc, vous devenez aussi un danger public et on vous traite comme tel. Vous l’aidez par complicité. Et c’est cela que vous devez éviter. C’est à ce niveau qu’on commence par parler de loi», détaille le juge. Au-delà d’arrêter le service incriminé, le tradipraticien doit aussi porter l’information à la connaissance de la police ou concourir à la manifestation de la vérité au cas où une enquête est ouverte à propos d’une situation dont il est censé détenir des informations. «On dénonce que ce qu’on a vu et dont on est sûr. Je ne vous demande pas de dénoncer tous vos clients. Ce sont les cas dans lesquels la sécurité publique est menacée qu’il faut dénoncer de façon discrète», nuance le substitut du procureur de Porto-Novo.
Les recommandations et mises en garde
A la suite des inquiétudes et préoccupations des acteurs de la tradition, Rodrigue Affognon, le 1er substitut du procureur d’Abomey, revient à la charge pour être plus pointu. «Ne faites pas ce que la loi a interdit ». A l’en croire, ils ne sont pas tenus de donner tout ce qu’on leur demande. «Vous êtes les gardiens de la tradition. Il ne faut pas alors se laisser berner. Vous devez savoir donner », martèle-t-il. Pour qu’ils ne tombent pas dans les mailles de la justice, il leur demande d’être prudents, de faire l’examen de conscience, de consulter le Fâ pour avoir des conseils du monde spirituel afin de savoir la conduite à tenir, avoir un service de renseignement. Informer le malade ou ses parents de la composition d’une caution avant d’en donner. Avant tout traitement, exige d’abord la copie du bilan médical du malade. Il faut être loyal dans ce que vous faites, car vous avez une clientèle à fidéliser. « En cas de décès lors d’un traitement, laissez tout ce que vous avez fait avaler au malade sur-place et faites appel à la police pour les constats d’usage. Mais de grâce, n’acceptez jamais que le corps de la victime soit enterré sans l’avis du procureur de la République. Si vous le faites, vous serez puni par la loi », informe Rodrigue Affognon. Il ajoute en prodiguant un autre conseil. « Si le mari d’une cliente vient vous agacer chez vous parce que sa femme est votre cliente, ne lui répondez pas. Rapprochez-vous de la police.» Il a saisi l’occasion pour leur rappeler les comportements déviants qui peuvent leur créer des ennuis judiciaires. « Lorsque vous décidez de ne pas rendre le service à la personne, ne prenez pas son argent. Si vous le faites, c’est de l’escroquerie punie par la loi. Si vous avez promis de bien rendre un service et qu’à la fin le client constate que vous l’avez floué, s’il porte plainte, vous serez poursuivi pour abus de confiance », prévient le juge au tribunal d’Abomey. Il est aussi revenu sur les infractions courantes souvent inscrites aux rôles des sessions criminelles des tribunaux. Au nombre de celles-ci, on peut noter les Coups et blessures volontaires réciproques, abus de confiance, l’administration de substance nuisible à la santé, l’escroquerie, pratique de charlatanisme, trafics d’organes humains, profanation de tombe, violence et voie de fait, séquestration, enlèvement de mineurs, détournement de mineurs, incitation de mineur à la débauche et viol. Dangou, le fonctionnaire de police et secrétaire administratif à la Direction départementale de la police républicaine du Zou, a pour sa part, mis l’accent sur la co-sécurité. Il salue le rôle très important que joue le Syndicat national de la défense des intérêts des tradipraticiens et cultes du Bénin ayant à sa tête, le Vénérable Dah Sogbè Kpozèhouè. A en croire ses propos, ce creuset aide à assainir la maison du vodoun. «Le Syndi-Tpc nous facilite la tâche sur le terrain. C’est un bon creuset au sein duquel vous devez partager l’information et vos expériences. Avant, vous agissez mal par ignorance », reconnaît-il.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)