Au cours de sa séance du mercredi 11 mai 2022, le Conseil des ministres a décidé de la transmission à l’Assemblée nationale, pour examen et vote du projet de loi portant création de la Cour spéciale des affaires foncières. Expert foncier-fiscaliste-juriste, Daouda Moussé donne son appréciation de cette décision et décline les avancées qu’induira la mise en place de cette juridiction spéciale. Lire ci-dessous, ses explications.
Le Matinal : A la faveur du Conseil des ministres du 11 mai 2022, l’Etat béninois entrevoit de créer une Cour spéciale pour les affaires foncières. En votre qualité d’expert foncier, fiscaliste-juriste, comment appréciez-vous une telle décision ?
Daouda Moussé : A la lecture du Code foncier et domanial en vigueur et de tous les autres textes qui régissent le foncier au Bénin, j’ai constaté un vide ou une insuffisance des dispositions qui permettent à la justice de traiter avec efficacité et efficience, les contentieux fonciers et domaniaux dont ont connaissance nos cours et tribunaux. Les populations sont confrontées à une difficulté à l’accès à l’information. Le 04 décembre passé, j’ai publié un ouvrage intitulé « Bréviaire du foncier béninois : des paroles aux actes », un ouvrage connu des administrations foncières (Andf-Communes), des notaires, des géomètres experts, des urbanistes et des populations en général. Dans cet ouvrage, j’ai fait des recommandations aux gouvernants pour qu’un Ministère en charge du foncier exclusivement et composé essentiellement des juges fonciers formés pour ce travail soit créé. Aujourd’hui, les faits me donnent raison car j’ai le sentiment d’avoir été écouté par gouvernement. Cela témoigne de la volonté des gouvernants à faire de ce pays, en tout cas en matière de gouvernance foncière, un pays de référence.
Trouvez-vous opportune cette décision du gouvernement ?
L’essentiel des affaires civiles pendantes devant nos juridictions sont liées au foncier. Elles sont multiples et multidimensionnelles. Du coup, les citoyens ne sont plus en paix, les investisseurs continuent d’hésiter à investir, le gouvernement peine à implanter des projets de grande envergure. Nous sommes encore à l’étape de projet. La loi n’est pas encore votée. Les décrets d’application, les arrêtés et circulaires viendront nous éclairer davantage et nous permettront de faire une analyse plus approfondie en liaison avec le Code foncier et domanial en cours de modification à nouveau et envoyé aux députés.
Qu’est-ce que l’avènement de cette Cour spéciale va véritablement changer en matière foncière au Bénin ?
Le Conseil des ministres a fait cas d’abord des actions réelles immobilières. Cela veut dire que toute personne qui estime avoir été brimée ou lésée dans son droit de propriété (l’usus- le fructus- l’abusus) aussi bien par un citoyen, un groupe de personnes ou même par la collectivité publique (Etat central et collectivités territoriales), peut saisir cette Cour pour que cette propriété foncière lui soit reconnue et protégée. C’est pour dire que cette Cour est d’abord née pour la protection des intérêts des citoyens et pour décourager les mafieux. On va donc assister, si tout fonctionne bien, à une diminution des litiges fonciers et la mise en place d’un espace rassurant pour les investisseurs ;
Le compte rendu du Conseil des ministres précise que la Cour va également connaître des affaires relatives à l’expropriation. Doit-on comprendre que les populations seront toujours dépossédées de leurs terres ?
Vous savez, exproprier est quelque chose de grave car la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 stipule en son article 17 que la propriété privée est sacrée et inviolable. Porter atteinte à ce qui est porté par un texte à valeur constitutionnelle ne se fait pas sans un certain nombre de garanties (inscrites dans la constitution et dans le Code foncier) au bénéfice du propriétaire et d’un certain nombre de procédures qui ont pour effet la protection de ces garanties. C’est quasiment la mort dans l’âme que le gouvernement prend souvent la décision d’exproprier car ce sont des opérations qui coûtent extrêmement chères à l’Etat. Ne vous limitez pas aux détenteurs de petites portions de terres, rapprochez-vous des détenteurs de deux hectares et plus par exemple. Ils vous parleront des millions de francs qu’ils empochent. Parfois, l’Etat est obligé de se faire aider par des bailleurs pour ces opérations. C’est donc une opération qui requiert tout un professionnalisme et un savoir-faire, parce qu’elle doit être bien faite dans un but d’intérêt général. Lorsque la procédure est biaisée, lorsque le droit d’exproprier est exercé dans le but de satisfaire un proche ou un caprice, lorsque c’est dans un but de nuire à une personne jugée gênante, lorsque les superficies expropriées ont été mal évaluées, lorsque l’expropriation porte les germes d’abus de pouvoir, le juge sera dans l’obligation d’annuler cette procédure et d’ordonner une nouvelle procédure. Ce sont des actions qui durent dans le temps et là, ce sont les projets du gouvernement, des collectivités qui prennent un coup. L’objectif est aussi de protéger les droits des citoyens et de garantir l’état de droit. C’est donc normal de confier ces opérations à des personnes qui ne joueront que ce rôle.
Votre mot de la fin
J’apprécie déjà en l’état, la décision ou le projet de création d’une Cour spéciale des affaires foncières. Nous ne pouvons pas avancer dans les analyses car il ne s’agit pas de spéculer, nous allons attendre le texte législatif et les règlements tels que les décrets d’application, les arrêtés, les circulaires pour apprécier objectivement et tirer les conséquences. De toutes les façons, j’estime que c’est au grand bonheur des populations qui seront mieux écoutées et mieux servies, à travers la protection de leur droit de propriété. La création de cette Cour spéciale constitue un ouf de soulagement pour ceux qui sont victimes des abus fonciers. Les affaires déférées devant cette juridiction seront diligemment traitées. C’est aussi une assurance pour les opérateurs économiques et les investisseurs.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi