Le vendredi 06 mai 2022, le Haut conseil des rois du Bénin (Hcrb) a lancé un appel d’abstention aux réunions politiques aux chefs traditionnels. Si cette décision peut avoir une valeur juridique dans une société monarchique, royaliste ou traditionnelle, elle l’est moins dans un régime démocratique sans aucune loi ne l’admet. Cette décision, bien qu’en conformité avec l’éthique et la morale du statut du chef traditionnel pose un véritable problème constitutionnel subtil, tant que la loi et le décret d’application ne soient respectivement voté et adopté.
Le principe de la hiérarchisation des normes du célèbre juriste austro-américain, Hans Kelsen (1881-1973) est sauf erreur, en souffrance aux mains des rois béninois. C’est ce qu’il convient de dire en passant au scanner constitutionnel et non traditionnel, culturel, cultuel, éthique et moral, la décision prise par le Haut conseil des rois du Bénin (Hcrb). « La constitutionnalisation de la royauté et de la chefferie traditionnelle au Bénin consacre les chefs traditionnels, les rois et reines comme des modèles de probité et de respect pouvant intervenir dans bien de domaines pour travailler à la promotion du progrès social et de la paix », a souligné Gangoro Suambou. Selon le secrétaire général du Hcrb, la présence de chefs traditionnels aux activités politiques froisse leur crédibilité, et constitue un obstacle pour jouer pleinement le rôle qui leur est dévolu en tant qu’une institution de l’Etat. Mais à la lecture de l’article 151 -1 nouveau de la Constitution béninoise du 11 décembre 1991 révisée qui dispose que « l’Etat reconnait la chefferie traditionnelle gardienne des us et coutumes dont les conditions sont fixées par la loi », aucun de ses détails donnés n’y figurent. Peut-être les débats qui ont précédé la reconnaissance de la chefferie traditionnelle. Cela va sans dire que la décision d’interdiction sans que le vote de la loi sur la chefferie traditionnelle et le décret d’application ne soient, pose un problème constitutionnel en l’état. En vertu de la hiérarchie des normes établie par Hans Kelsen pour une cohérence primordiale dans tout Etat de droit, chaque fois qu’une règle de droit est élaborée, il doit être tenu compte des normes qui lui sont directement supérieures et s’assurer qu’elle leur est conforme. Ce qui fait que la Constitution est supérieure aux traités internationaux, à la loi, aux actes règlementaires, etc. et les actes inferieurs selon leur niveau gagnent en suprématie selon le rang. La décision des rois devrait être conforme à la loi ou actes réglementaires mais aucun n’existe. Il faut alors voir entre les traités internationaux et la Constitution. Cet exercice renseigne alors qu’il y a un grain de sable quelque part. En effet, avec la décision, les droits civiques et politiques du citoyen qui devient roi ou chef traditionnel sont en difficultés. Or, ils sont citoyens béninois comme tout le monde. « Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes » dispose l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’Etat. Les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome », a précisé l’article 23 de la Constitution béninoise. Contraindre donc à appliquer cette décision n’aurait pas véritablement une base légale malgré qu’elle soit salutaire.
Les rois trop pressés mais…
Dans tous les pays où la chefferie traditionnelle est admise, ce sont les lois qui fixent les conditions de l’interdiction de participation aux activités politiques des rois et têtes couronnées. A titre illustratif, au Niger l’article 26 de la loi n° 2015-01 du 13 janvier 2015 portant statut de la chefferie traditionnelle en République du Niger dispose que : « les fonctions de chef traditionnel sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat politique ou syndical. Le chef traditionnel est astreint aux obligations de neutralité, de réserve et d’impartialité. Le chef traditionnel, de par l’autorité qu’il incarne, doit se comporter en tout comme un digne et loyal responsable ». Les articles 18 et 19 de la loi organique portant statuts et attributions des autorités traditionnelles et coutumières au Tchad renseignent que : « les autorités traditionnelles et coutumières doivent respect et obéissance aux autorités administratives. Elles sont tenues de respecter la voie hiérarchique. Elles sont soumises à obligation de neutralité dans l’exercice de leurs fonctions. Elles sont interdites d’activités militantes partisanes. Toute intervention des autorités traditionnelles et coutumières dans les activités des partis politiques entraînera des sanctions prévues à l’article 21 ci-dessous. Les autorités traditionnelles et coutumières qui désirent s’engager dans des compétitions électorales doivent au préalable se décharger de leurs fonctions à compter de la date de convocation du corps électoral ».
L’analyse comparative laisse penser que les rois du Bénin ont mis la charrue avant les bœufs en voulant mieux faire. Ils auraient dû éviter l’effervescence de la rencontre du 3 mars 2022 et attendre que la loi soit votée. Et s’agissant de cette loi, le gouvernement de Patrice Talon est à pied d’œuvre. Le mercredi 11 mai 2022, le Conseil des ministres a décidé de la mise en place de la commission chargée de l’élaboration du cadre juridique de la chefferie traditionnelle en République du Bénin. Cette commission est instituée pour engager le travail de définition préalable du concept, explorer toute la problématique qu’elle recouvre avant la saisine de l’Assemblée nationale pour le vote d’une loi organisant son régime juridique. Composée de 15 personnalités ayant des connaissances et des compétences en histoire, géographie, socio-anthropologie, droit et sur le sujet proprement dit, la commission aura spécifiquement pour mission de rédiger l’avant-projet de loi portant composition, attributions, organisation et fonctionnement de la chefferie traditionnelle d’élaborer des avant-projets de textes d’application de la loi. Il faut attendre cette loi sinon contraindre un roi ou un chef traditionnel à respecter la décision aurait fait penser que dans un Etat démocratique, la royauté est au-dessus de la Constitution.
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