Administrateur des Affaires, spécialiste en communication et stratégies et acteur politique, Julien Roland Déguénon (photo) a réagi à la polémique du troisième mandat fortement agitée ces dernières semaines dans l’opinion. À en croire ce membre fondateur du parti Union progressiste le Renouveau, la posture du président Patrice Talon en ce qui concerne le troisième mandat est claire.
Le Matinal : La consultation annuelle Tofa 2025 suscite beaucoup de commentaires et d’insinuations en raison de ses multiples interprétations les unes plus tendancieuses que les autres. Qu’en dites-vous ?
Julien Roland Déguénon: S’il est vrai que la consultation annuelle Tofa 2025 reflète l’attachement du peuple béninois à la richesse de son patrimoine culturel et spirituel, il n’en demeure pas moins que celle de cette année intervient dans un contexte de fin de mandat présidentiel. Et qui dit fin de mandat en Afrique, dit incertitudes. Incertitudes sur la posture qui sera celle du Chef de l’Etat quant à un éventuel 3ème mandat. Et c’est là qu’interviennent les courtisans, ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont un quelconque intérêt que le Président s’éternise au pouvoir. Lorsqu’on interroge l’histoire politique de notre pays, ce n’est pas la première fois qu’on appelle un chef d’Etat à briguer un 3ème mandat même si l’on sait que constitutionnellement la chose n’est point possible.
Pour certains, la consultation Tofa 2025 était donc une belle occasion pour relancer la polémique sur un 3ème mandat ?
Mon avis est qu’il est regrettable que certaines interprétations soient exploitées à des fins abusives, alimentant parfois des controverses qui n’ont pas leur raison d’être. Je me félicite du communiqué du Comité des rites vodun qui est quand même venu recentrer le débat. Nous devons garder à l’esprit que Tofa est avant tout un miroir des aspirations profondes de notre peuple, et non un outil partisan. Il est donc primordial d’en encourager une lecture objective et respectueuse des traditions.
Alors que le président Patrice Talon a refusé à maintes reprises qu’il ne fera pas un troisième mandat, certains influenceurs proches de la majorité au pouvoir, suscitent le troisième mandat au nom du développement. Êtes-vous de leur avis ?
Le principal concerné a, à maintes reprises, affirmé qu’il n’aspire pas à un 3ème mandat. Mieux, alors qu’il avait une Assemblée nationale entièrement acquise à sa cause, il a initié une révision constitutionnelle qui renforce la limitation de mandat. Désormais au Bénin, « …nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de président de la République ». Art 44 Constitution béninoise. Notez également avec moi que le porte-parole du gouvernement n’a de cesse rappelé qu’un 3ème mandat n’est pas dans l’agenda du Président de la République. Pourquoi voudriez-vous donc que je partage cet avis ? Le respect de nos textes constitutionnels est un fondement de notre démocratie. Le président Patrice Talon a été clair et constant sur son intention de ne pas briguer un troisième mandat, et cette posture honore notre pays. Le développement durable ne peut se construire au détriment des principes démocratiques et de l’alternance au pouvoir.
Pensez-vous que les partis politiques soutenant les actions du chef de l’État communiquent réellement sur ses réalisations ? Sinon, comment pourront-ils procéder selon vous ?
Les partis qui animent aujourd’hui la vie politique au Bénin sont issus de la réforme du système partisan et sont encore jeunes, en phase de développement ce qui peut expliquer une communication moins visible par rapport aux actions du gouvernement. Leur principal défi est de devenir de grands partis forts et d’envergure nationale, avec une réelle implantation dans toutes les régions du pays. Pour ce qui concerne l’Union progressiste Le Renouveau que je connais le mieux, l’accent est mis sur l’installation et la formation des structures de base. C’est là une excellente occasion pour rappeler aux militants les réalisations concrètes du gouvernement et comment ils améliorent les conditions de vie des Béninois. Si le gouvernement lui-même communique déjà assez bien par l’entremise de sa direction de la communication, les partis ont eux aussi un rôle fondamental à jouer, surtout à la base. En effet, la communication doit être une démarche partagée, où les partis politiques interviennent en complémentarité avec l’action gouvernementale pour garantir une diffusion plus large et plus locale des réalisations. Les partis doivent utiliser leur implantation territoriale pour toucher les électeurs de manière plus directe. Par exemple, l’organisation des rencontres de proximité, des forums et des échanges sur le terrain, où les réalisations gouvernementales sont expliquées et contextualisées, pourrait renforcer l’adhésion de la population et c’est ce qui se fait à travers de nombreuses séances de reddition de comptes organisées conjointement par le gouvernement et les partis soutenant son action. Dans ce cadre, il est important que les partis ne se contentent pas de relayer l’action du gouvernement, mais qu’ils participent activement à la formation de leurs militants sur les enjeux politiques et les progrès réalisés. Cela leur permettra de mieux défendre les actions du gouvernement et d’engager une conversation plus transparente et engageante avec les citoyens.
Avec les élections générales qui s’annoncent pour l’année prochaine, beaucoup de gens parlent de renouvellement de la classe politique. Selon vous, s’agira-t-il d’une recomposition de la vie politique ?
Le renouvellement de la classe politique est une opportunité de recomposition plutôt que de décomposition. Cela dépendra toutefois de la capacité des acteurs politiques à s’adapter aux aspirations des citoyens, notamment en termes de transparence, de gouvernance et de représentativité. Un écosystème politique inclusif, qui favorise l’émergence de nouveaux talents tout en respectant les expériences passées, pourra garantir une transition harmonieuse et bénéfique.
Que doivent faire les acteurs politiques (mouvance et opposition) pour que cette année pré-électorale se déroule dans le calme, la joie et dans le respect des dispositions de la constitution ?
Les acteurs politiques, qu’ils soient de la mouvance ou de l’opposition, ont le devoir de respecter scrupuleusement les règles électorales et d’encourager la transparence dans le processus. Il est également nécessaire de promouvoir un climat de paix et de respect mutuel.
Quel message avez-vous en tant qu’acteur expérimenté de la chose politique à lancer à vos compatriotes ?
Je voudrais appeler mes compatriotes à rester attachés aux valeurs de paix, d’unité et de démocratie. Le Bénin est notre patrimoine commun, et il est de notre responsabilité à tous de le protéger et de le faire prospérer. En cette période pré-électorale, nous devons faire preuve de vigilance, de civisme et surtout participer activement au débat démocratique tout en rejetant la violence et les divisions. Ensemble, nous pourrons continuer à construire un Bénin fort et exemplaire. Je suis tenté de nous dire : maintenons le cap !
Propos recueillis par Sergino Lokossou