Les maladies infectieuses émergentes représentent un défi majeur pour la santé publique mondiale. Tychique Nougbodé, expert en santé publique, lève dans cet entretien accordé à Le Matinal, un coin de voile sur leurs manifestions et propose des mesures de prévention essentielles pour atténuer leur impact sur la société.
Le Matinal : Que doit-on comprendre par une maladie infectieuse émergente ?
Tychique Nougbodé : Une maladie infectieuse émergente est une maladie qui apparaît soudainement dans une population, ou qui existe déjà mais dont l’incidence augmente de manière significative. Ces maladies peuvent résulter de l’émergence de nouveaux agents pathogènes, de la propagation de maladies existantes dans de nouvelles populations ou de l’évolution de souches résistantes aux traitements existants.
Pouvez-vous citer quelques exemples de maladies infectieuses émergentes ?
Elles sont légions. Nous avons le Vih Sida, les hépatites virales A, B, C, Chikungunya, Covid-19, Mers Et Sras (maladies à coronavirus), Ebola (virus), Fièvre de la vallée du Rift (virus), Fièvre catarrhale ovine (Fco ; maladie de la langue bleue), Grippe aviaire (virus), Maladie de Lyme (bactérie) et la Maladie de Newcastle (virus). Parlant de ces maladies infectieuses émergentes, certaines sévissent sous silence. Il s’agit de la tuberculose, la pneumonie à pneumocoque, la coqueluche, la peste, l’hépatite C, l’hépatite E, la grippe, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), le paludisme, la schistosomiase, la toxoplasmose, la crypto sporidiose, la blastocystose…. Ces maladies sont considérées comme émergentes en raison de leur apparition récente ou de l’ augmentation rapide de leur incidence, souvent associée à des changements écologiques, à des comportements humains ou à d’autres facteurs.
Quels sont les facteurs qui contribuent à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses ?
Les maladies infectieuses émergent généralement en raison d’une combinaison complexe de facteurs. Nous avons donc les facteurs biologiques (âges, sexe, poids, l’hérédité…) les facteurs physiologiques (l’état immunitaire du sujet, l’état sérologiques, les antécédents médicaux et non médicaux….) et psychologique (perception de la pathologie, perception de soi …) des individus. Dans les facteurs liés à l’individu, il faut citer aussi le niveau d’instruction en général et le niveau de connaissance sur la pathologie en question. Les facteurs comportementaux liés aux individus et leurs pairs (le comportement alimentaire, les comportements à risque, le comportement sexuel, les mesures barrières ….) ; les facteurs environnementaux (le climat, l’hydrographie du milieu, la densité de la population, les croyances sur la pathologie, l’environnement social, économique, culturel, l’influence des pairs, le niveau d’éducation des pairs,….) ; les facteurs liés aux systèmes de santé ( existence ou non de structures de santé et de soins adaptés à la pathologie, existence ou non d’informations en communication et éducation sur la pathologie, existence ou non de personnel qualifié pour la prise en charge de la pathologie,…..). Il est important de noter que ces facteurs ne sont pas nécessairement indépendants les uns des autres et peuvent interagir de manière complexe pour influencer l’émergence des maladies infectieuses.
Comment les autorités sanitaires peuvent-elles prévenir la propagation des maladies infectieuses émergentes ?
Pour prévenir la propagation des maladies infectieuses émergentes, les autorités sanitaires peuvent mettre en place plusieurs mesures, notamment la surveillance et la détection précoce. Il s’agit concrètement de surveiller les épidémies potentielles, les foyers infectieux et les maladies émergentes pour détecter rapidement les nouveaux cas. Le renforcement des capacités des maladies infectieuses peut aussi palier au mal. Je propose à cet effet une communication de masse, une communication individuelle, une communication éducation et informations pour la santé en fonction de la pathologie cible. Il faut aussi miser sur la vaccination, c’est-à-dire encourager la vaccination contre les maladies infectieuses pour réduire la prévalence des agents pathogènes et protéger les populations à risque. La mesure de surveillance des voyages et des échanges internationaux est aussi facilitatrice. Elle permettra de surveiller les déplacements internationaux et mettre en place des mesures de contrôle aux frontières pour limiter l’importation de maladies infectieuses. Il faudrait aussi que l’Etat mette à la disposition des centres de santé des équipements adéquates et renforcer le plateau technique. Il faut également investir dans la recherche pour mieux comprendre les agents pathogènes émergents et développer des outils de diagnostic, de traitement et de prévention efficaces. Il faut aussi faire la promotion des gestes barrières car en terme d’infection, le plus important, c’est de briser la chaîne de transmission avant que l’infection n’atteigne le corps humain. Et si c’est déjà le cas, il faut éviter sa transmission d’homme à homme ou d’animal à homme. En mettant en œuvre ces mesures de manière coordonnée et proactive, les autorités sanitaires peuvent contribuer à prévenir la propagation des maladies infectieuses émergentes et à protéger la santé publique.
Quel est le rôle des médias dans la sensibilisation du public relativement aux maladies infectieuses émergentes ?
Les médias jouent un rôle crucial dans la sensibilisation du public vis-à-vis des maladies infectieuses émergentes. Leur capacité à diffuser rapidement des informations et à atteindre un large public en fait un outil essentiel pour informer, éduquer et mobiliser les populations face aux menaces sanitaires. Les médias jouent un rôle d’explication de persuasion et surtout de changement de comportement face aux pathologies infectieuses émergentes. Ils ont le pouvoir de surveiller et d’alerter sur les flambées épidémiques de pathologies infectieuses, et de veille communautaire. Les médias ont également un rôle essentiel dans la sensibilisation du public aux maladies infectieuses émergentes en diffusant des informations précises, en éduquant le public et en mobilisant les ressources nécessaires pour lutter contre ces menaces sanitaires.
Quelles mesures individuelles peut-on prendre pour se protéger contre les maladies infectieuses émergentes ?
La prévention de toutes maladies infectieuses repose d’abord sur les méthodes efficaces pour rompre la chaîne de transmission. A partir du vecteur vers l’hôte intermédiaire et l’hôte définitif. Ainsi, la première mesure consiste à adopter les gestes barrières. Par exemple, pour le Vih/Sida, il faut pratiquer l’abstinence sexuelle, ou la fidélité absolue entre 2 partenaire+s, éviter tout contact avec les liquides physiologiques d’une personne infectée et éviter de se blesser avec les objets piquants, coupants ou tranchants souillés. Pour la Covid, il faut porter convenablement son cache-nez, se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon ou au gel hydro alcoolique, maintenir une distance de sécurité d’au-moins 1 mètre entre deux individus. La deuxième mesure, c’est le dépistage, qu’il faut faire régulièrement ou sur une périodicité convenable en fonction de l’infection mise en cause. La troisième mesure, c’est la chimio-prophylaxie adaptée à l’infection mise en cause. La quatrième mesure est d’éviter de toucher votre visage, en particulier vos yeux, votre nez et votre bouche, car cela peut faciliter l’entrée des virus dans votre organisme.
Quelle est l’importance de la recherche scientifique dans la lutte contre les maladies infectieuses émergentes ?
La recherche scientifique est la boussole de la prévention et de prise en charge adéquate de toutes les pathologies, et en particulier, les pathologies infectieuses, dans la mesure où la recherche scientifique apporte des solutions contextuelles aux problèmes de santé causés par la maladie. La recherche scientifique fait le contraste entre l’individu vivant dans son milieu et évoluant dans un système. Elle tire des solutions basées sur des preuves scientifiques (évidence bases) applicable à l’individu dans son environnement et son cadre de vie. La recherche est inévitable si nous voudrions endiguer les maladies infectieuses ici sous nos cieux.
Comment les pays peuvent-ils collaborer pour faire face aux maladies infectieuses émergentes à l’échelle mondiale ?
A l’échelle mondiale, il faut d’abord des partenariats concrets basés sur les objectifs de développement durable applicables à tous les pays, prenant en compte l’équité et de justice sociale pour tous les peuples. Au niveau de nos pays, il faut tenir compte des besoins réels des populations à la base et cadrer l’aide au développement en priorisant le bien-être des peuples et non le profit et l’intérêt. Il faut également réaliser l’intégration des différents bailleurs agissant dans les mêmes domaines. Je vais loin pour aussi proposer de mettre en place et promouvoir des systèmes et politiques de santé répondant aux réels besoins des populations dans tous les pays du monde.
À votre avis, quelles sont les principales leçons que nous pouvons tirer des pandémies passées pour mieux nous préparer à l’avenir ?
En prenant les 100 dernières années, on s’aperçoit que l’Afrique et le monde ont été secoués par plusieurs crises sanitaires qui portent chacune, son lot de conséquences et d’avancées. Cependant, les pertes en vies humaines sont énormes. L’analyse de ces catastrophes sanitaires nous amène à nous questionner sur les causes premières qui souvent viennent de mauvaises manipulations scientifiques entre les hommes ou entre l’homme et la nature ou même entre l’homme et les animaux. En somme, il faut que nous sachions mettre un peu plus de conscience dans la science, car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme disait Rabelais.
Quel est l’impact économique et social des maladies infectieuses émergentes sur les communautés et les nations ?
Partons du milieu familial vers le mondial. Au niveau de la famille, c’est des dépenses catastrophiques de santé. Ici en Afrique, c’est assez régulier de voir toute une maison s’effondrer financièrement parce qu’une seule personne est malade. Au plan public, la morbidité des maladies s’exprime en décès, handicap causant pauvreté et paupérisation, destruction du tissu social et aliénation. Notre contexte est marqué par la rareté des ressources en santé (ressources humaines, financières, matérielles, technologiques, spatiales et informationnelles), ce qui aggrave la situation et influence l’état de santé des populations. C’est dire que la charge des maladies est l’une des principales causes du sous-développement du continent noir et des pays du tiers monde.
Pensez-vous que les mesures de prévention actuelles sont adéquates pour faire face aux défis posés par les maladies infectieuses émergentes ?
Les mesures de prévention actuelles sont mises en place en fonction des ressources disponibles (financières, matérielles, technologiques, spatiales et informationnelles). Ces mesures sont bien adéquates car elles ont été éditées par des experts de Santé publique pétris d’expériences et de professionnalisme. Cependant, le problème se pose dans l’application à l’échelle de la population et le suivi. Par exemple, combien de béninois de 15 à 49 ans sont totalement abstinent des rapports sexuels ? C’est dire que la responsabilité incombe à la population à qui il revient de respecter au mieux les prescriptions des experts que nous sommes.
Votre mot de fin
Je conclus pour dire que les mesures de prévention actuelles sont importantes pour faire face aux maladies infectieuses émergentes, mais il est également crucial de continuer à les améliorer, à les adapter aux nouveaux défis et à investir dans la recherche pour mieux les comprendre et les combattre.
Propos recueillis par Estelle Vodounnou (Coll)