Pour que le monde entier puisse vivre en paix et connaître la prospérité, il est indispensable d’assurer et de maintenir des approvisionnements en eau de façon équitable pour l’avenir. À tous égards, on peut dire que l’inverse est également vrai puisque la pauvreté et les inégalités, les tensions sociales ainsi que les conflits peuvent exacerber l’insécurité hydrique.
Dans un récent rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2024, il est exposé les relations complexes d’interdépendance qui existent entre la gestion durable de l’eau, la paix et la prospérité, tout comme il décrit la manière dont les progrès réalisés sur l’un de ces aspects ont des répercussions positives, souvent cruciales, sur les deux autres. L’utilisation d’eau douce dans le monde, a augmenté de près de 1 % par an, sous l’effet conjugué du développement socio-économique et de l’évolution consécutive des modes de consommation, notamment des régimes alimentaires. Alors que l’agriculture exploite environ 70 % des volumes d’eau douce prélevés, les usages industriels (environ 20 %) et domestiques (environ 10 %) constituent les principaux facteurs d’augmentation de la demande en eau, au fur et à mesure que les économies s’industrialisent, que les populations s’installent en ville et que les systèmes de distribution d’eau et d’assainissement s’élargissent. La croissance démographique, en revanche, a un impact moins marqué sur cette demande, étant donné que les endroits où la population augmente le plus rapidement sont souvent ceux où la consommation en eau par habitant est la plus faible. On estime que près de la moitié de la population mondiale est confrontée à de graves pénuries d’eau pendant au moins une partie de l’année. Un quart d’entre nous est exposé à des niveaux « extrêmement élevés » de stress hydrique alors que nous utilisons plus de 80% des réserves annuelles renouvelables d’eau douce. Dans les pays à faible revenu, la mauvaise qualité de l’eau ambiante résulte principalement d’un traitement insuffisant des eaux usées tandis que dans les pays à revenu élevé, les eaux de ruissellement agricoles posent le problème le plus grave. Malheureusement, les données relatives à la qualité de l’eau restent rares à l’échelle mondiale. Ce constat vaut particulièrement pour nombre de pays parmi les moins développés en Asie et en Afrique, où les capacités de surveillance et de suivi sont les plus faibles. Les contaminants émergents suscitent l’inquiétude, notamment les substances per- et polyfluoroalkylées (Pfas), les produits pharmaceutiques, les perturbateurs endocriniens, les produits chimiques industriels, les détergents, les cyanotoxines et les nanomatériaux. Dans toutes les régions du monde, on trouve des concentrations élevées d’antimicrobiens, dues au traitement insuffisant des eaux usées domestiques, à l’élevage et à l’aquaculture. Au niveau mondial, les précipitations extrêmes ont atteint des niveaux records tout comme la fréquence, la durée et l’intensité des sécheresses. Le changement climatique devrait avoir pour effet d’intensifier le cycle de l’eau sur Terre comme d’accroître encore l’intensité et la fréquence des inondations et des sécheresses. Les conséquences les plus graves de ces phénomènes toucheront les pays les moins avancés ainsi que les petits États insulaires et l’Arctique.
Progrès réalisés pour atteindre les cibles de l’Odd 6
À l’heure actuelle, aucune des cibles du sixième objectif de développement durable (Odd) n’est en passe d’être atteinte. En 2022, 2,2 milliards de personnes n’avaient toujours pas accès à des services d’approvisionnement en eau potable gérés de façon sûre. Parmi les personnes ne bénéficiant pas de services de distribution d’eau potable, quatre sur cinq vivent en zone rurale. En ce qui concerne l’assainissement géré de façon sure, la situation reste précaire quand 3,5 milliards de personnes n’en disposent pas. La croissance des populations urbaines ne cesse de s’accélérer sans que les villes et les municipalités ne parviennent à suivre le rythme. En raison des déficiences en matière de surveillance et de suivi, il est extrêmement difficile de procéder à une analyse approfondie de la plupart des autres indicateurs des cibles de l’Odd 6-1.
Les liens entre les ressources en eau, la prospérité et la paix
La prospérité inclut d’avoir la possibilité et la liberté de s’épanouir en toute sécurité. Les ressources en eau contribuent à la prospérité en ce sens qu’elles répondent aux besoins humains fondamentaux, contribuent à la santé, aux moyens de subsistance et au développement économique, renforcent la sécurité alimentaire comme énergétique et préservent l’intégrité environnementale. La mise en place de véritables systèmes de gestion des infrastructures d’approvisionnement en eau favorise la croissance et la prospérité, car ils permettent de stocker de grandes quantités d’eau et de les mettre à la disposition des secteurs économiques comme l’agriculture, l’énergie, l’industrie de même que le commerce et les services, dont dépendent des milliards de personnes pour vivre. Il en va de même pour les systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement qui, lorsqu’ils sont sûrs, accessibles et opérants, permettent d’améliorer la qualité de vie, en apportant aux personnes et aux communautés des avantages qui se reflètent dans les domaines de l’éducation et de la santé.
Qu’elle prenne la forme d’initiatives concertées, organisées par les communautés pour permettre d’apaiser les tensions locales, ou celle d’un règlement des différends et d’une consolidation de la paix dans des situations d’après-conflit ou au sein des bassins hydrographiques transfrontaliers, la coopération en matière de ressources hydriques donne des résultats positifs. Toutefois, les inégalités dans la répartition des ressources en eau, dans l’accès aux services d’approvisionnement et d’assainissement comme dans le partage des avantages sociaux, économiques et environnementaux peuvent compromettre la paix et la stabilité sociale.
En outre, le changement climatique, les troubles géopolitiques, les pandémies, les migrations massives, l’hyperinflation et d’autres crises peuvent exacerber ces inégalités d’accès. En règle générale, les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables sont ceux dont le bien être et les moyens de subsistance sont les plus menacés. Aujourd’hui, il semblerait que les ressources en eau ne comptent pas parmi les principaux « déclencheurs » de conflit. Cependant, toute attaque ciblant les infrastructures civiles d’approvisionnement en eau, notamment les stations de traitement des eaux, les systèmes de distribution ainsi que les barrages, viole le droit international et doit être sévèrement condamnée par la communauté internationale.
Les indicateurs de prospérité et de paix en lien avec l’eau
Rien ne permet d’établir avec certitude une relation entre le produit intérieur brut (Pib) par habitant d’un pays et les ressources en eau à sa disposition. Cela tient notamment au fait que les ressources en eau influent sur l’économie de bien des manières et les dynamiques du commerce mondial comme les adaptations au marché peuvent avoir des effets directs sur la manière dont les économies régionales et locales emploient l’eau. S’il n’existe actuellement aucun système de mesures permettant de clairement caractériser la relation entre eau et prospérité, certains indicateurs indirects fournissent néanmoins des indications précieuses. Dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, on estime que 70 % à 80 % des emplois dépendent de l’eau du fait que l’agriculture et les industries gourmandes en eau, qui concentrent la plupart des emplois, sont fortement tributaires de cette ressource. Partout dans le monde, il a été montré que le rapport coûts-bénéfices des investissements dans les services d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (Wash) est largement positif, notamment du fait des avantages connexes qui en découlent dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’emploi, mais aussi évidemment pour la dignité humaine.
Il n’existe actuellement aucune base mondiale de données ou d’informations empiriques concernant directement la relation entre les ressources en eau et la paix, probablement parce que cette dernière est difficile à définir, en particulier si l’on tient compte de facteurs tels que l’égalité et la justice.
Sergino Lokossou