Les données fournies par les études statistiques de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae) relatives aux personnes décédées, mais encore inscrites sur la Liste électorale, doivent être prises en compte dans l’appréciation du scrutin du 11 avril et 09 mai 2021. C’est la décision prise par la Cour constitutionnelle à l’issue de l’audience qui s’est déroulée le 11 mars 2021 en réponse à un recours en redressement de la liste électorale permanente informatisée formulé par Ibrahim Arouna. Ci-dessous, l’intégralité de la Dcc 21-074 du 11 mars 2021, qui oblige le Cos-Lépi et la Céna à reconsidérer la liste des électeurs.
Dcc 21-074 du 11 mars 2021
La Cour constitutionnelle,
Saisi d’une requête en date à Kalalé du 22 février 2021, enregistré à son secrétariat le 26 février 2021 sous le numéro n°4/095/Rec-21, par laquelle monsieur Ibrahim Arouna, forme un recours en redressement de la liste électorale permanente informatisée (Lépi) ;
Vu la Constitution;
Vu la loi n °91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
Vu les lois n °2018-31 du 09 octobre 2018 et n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant Code électoral en République du Bénin ;
Vu laloi n°2002-07 du 24 août 2002 portant Code des personnes et de la famille;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle;
Ensemble les pièces du dossier;
Ouï messieurs Sylvain M. Nouwatin et Joseph Djogbénou en leur rapport;
Après en avoir délibéré,
Considérant que le requérant expose qu’après le travail technique d’apurement, de mise à jour et d’actualisation du fichier électoral national réalisé par l’Agence nationale de traitement (Ant) le 10 février 2021, le Conseil d’orientation et de supervision de la Lépi (Cos-Lépi) a transmis à la Commission électorale nationale autonome (Céna) au cours d’une cérémonie solennelle, une liste électorale constituée de cinq millions cinq cent vingt-trois mille cinq cent vingt-quatre (5 523 524) électeurs inscrits pour l’élection présidentielle d’avril prochain; qu’à cette occasion, le président du Cos-Lépi a indiqué à la Céna que, selon une étude de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae), cinq cent soixante-quatre mille six cent soixante-quatorze (564 674) électeurs inscrits sur la liste électorale n’étaient plus en vie et que l’Ant n’a pu prendre cette situation en compte, en raison du fait que l’information lui était parvenue trop tard et lui demande d’en tenir compte dans l’appréciation de la participation à l’élection présidentielle prochaine; qu’il affirme qu’en réponse au président du Cos-Lépi, le président de la Céna a affirmé qu’une telle requête n’entre pas dans ses attributions et qu’elle ne pouvait procéder au redressement de la liste électorale reçue;
Considérant que le requérant demande en conséquence à la Cour, de prendre en compte les données fournies par l’Insae à l’effet de redresser la Lépi ; d’enjoindre à la Céna, d’une part, de prendre toutes les dispositions pour empêcher le vote des électeurs décédés, d’autre part, de se conformer à l’effectif issu du redressement comme base de détermination du taux de participation des électeurs lors de l’élection présidentielle de 2021 ; enfin, d’ordonner aux institutions et autres services de l’Etat en charge de l’état civil et de l’établissement de la Lépi, de tout mettre en œuvre pour radier de la liste électorale informatisée les personnes décédées au lendemain de l’élection présidentielle de 2021 ;
Considérant qu’à l’audience du 11 mars 2021, monsieur Jean-Claude Ahouanvoèbla, représentant le Cos-Lépi affirme que depuis l’année 2011 à laquelle il est procédé à l’actualisation de la liste électorale, les personnes décédées ne sont pas expurgées de cette liste du fait du défaut de déclaration des décès; que l’Agence nationale de traitement (Ant) n’a donc pas pu apurer de la liste les personnes décédées; que selon lui, les chiffres communiqués par l’Insae concernent l’ensemble des personnes décédées alors que l’apurement devrait concerner chacune des personnes décédées et les extraire de la liste électorale; qu’ainsi, si l’Ant n’a pas pu radier les personnes décédées, c’est en raison de ce que la radiation est personnelle et il est impossible pour l’agence, d’identifier individuellement les personnes décédées;
Considérant que monsieur Laurent Hounsa, directeur général de l’Insae, en ce qui le concerne, expose que son institut a effectué une étude sur la base des personnes décédées depuis 2011 par application des méthodes universellement établies de détermination de la liste des personnes décédées ; que la méthode statistique utilisée est basée sur des données démographiques pour déterminer le taux des personnes décédées par circonscription électorale; que cette étude a été faite distinctement dans chacune des circonscriptions électorales et a permis d’établir, sur la base des résultats agrégés, que durant cette période, cinq cent soixante-quatre mille six cent soixante-quatorze (564 674) personnes inscrites sur la liste électorale sont décédées;
Considérant que monsieur Richard Dégbèko, représentant de laCommission électorale nationale autonome (Céna), pour sa part, affirme que celle-ci a toujours pris les dispositions pour éviter de faire prendre part au scrutin les personnes décédées; qu’en ce qui concerne la radiation de ces personnes de la liste électorale, il appartient au Cos-Lépi ou à l’Ant d’y procéder, la Céna n’en ayant pas les prérogatives; qu’en revanche, si la liste reste en l’état de la présence des personnes décédées, le taux de participation en sera impacté ;
Vul’article 117 al. 1 tiret 2 de la Constitution, les articles 6 alinéa 1er, 206 et 218 du Code électoral ; les articles 41, 75 à 82 de la loi n°2002-07 du 24 août 2002 portant Code des personnes et de la famille;
Considérant que l’article 117 al. 1 tiret 2 de la Constitution dispose: « La Cour constitutionnelle… veille à la régularité de l’élection du président de la République et vice-président de la République… », qu’au sens de cette disposition, la Cour constitutionnelle veille à la régularité de tout le processus électora1en vue de sa transparence et sa sincérité ; que l’établissement de la liste des électeurs est un maillon essentiel du processus électoral ; que sa régularité a pour condition l’exactitude de la liste que l’apurement permet de réaliser.
Considérant qu’ainsi, lorsque la liste électorale n’est pas purgée des personnes décédées, la participation au scrutin en sera nécessairement et fictivement impactée, en méconnaissance de l’exactitude de son actualisation.
Considérant qu’en l’espèce, aussi bien l’Agence nationale de traitement (Ant) du Conseil d’orientation et de supervision de la Liste électorale permanente informatisée (Cos-Lépi) que l’Institut national de statistique et d’analyse économique (Insae) ont établi que depuis 2011, l’apurement de la liste électorale n’a pas permis de radier les personnes décédées et, ainsi, de purger la liste de ces personnes conformément aux articles 182 alinéas 1 et 2, 189, 193 et 219 de la même loi n°2018-31 du 09 octobre 2018 portant Code électoral en République du Bénin, maintenus en vigueur par l’article 6 alinéa 1er de la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant Code électoral, et qui disposent que:
« L’apurement, la correction, la mise à jour et l’actualisation du fichier électoral national se fait chaque année ; du 1er octobre ou 31 décembre.
La liste électorale permanente informatisée est publiée le 15 janvier de chaque année ; « Les opérations d’apurement concernent
– la rectification des erreurs matérielles;
– la radiation suite aux décès, aux décisions issues des recours… »; « La nouvelle version de la liste électorale permanente informatisée est arrêtée le 15 janvier de chaque année.
La liste électorale permanente informatisée reste valable jusqu’au 15 janvier de l’année suivante telle qu’elle a été établie, sauf les changements qui y auraient été ordonnés par décision de la Cour constitutionnelle ou par décision judiciaire et, sauf la radiation des personnes décédées qui serait opérée aussitôt que l’acte de décès aura été notifié ou que la Commission communale d’actualisation en aurait établi la preuve…. » ; « L’Agence nationale de traitement procède sans délai à toutes les modifications ordonnées par la Cour constitutionnelle. Elle reprend, s’il y a lieu, les opérations annulées ou mal faites, dans les délais prescrits par la Cour constitutionnelle » ;
Considérant qu’il en résulte que la liste électorale transmise à la Céna le 10 février 2021 n’est pas apurée des personnes décédées ; que selon l’Insae, les personnes décédées qui figurent encore sur cette liste sont estimées à cinq cent soixante-quatre mille six cent soixante-quatorze (564 674) ;
Considérant que si, en raison de la violation des dispositions des articles 41, 75 à 82 de la loi n°2002-07 du 24 août 2002 portant Code des personnes et de la famille, il n’est pas procédé au constat des décès et, consécutivement à la déclaration administrative imposée par ce texte, cette situation qui n’a pas permis au Cos-Lépi de radier de la liste électorale les personnes décédées, ne doit pas conduire à une fausse appréciation de la participation au scrutin par l’organe en charge des élections; qu’à défaut, les données fournies par les études statistiques de l’Insae sur la base de méthodes scientifiquement établies et portant sur les personnes en âge de voter inscrites sur la liste électorale et décédées, doivent être prises en compte dans l’appréciation de la participation au scrutin;
Considérant que dans ces conditions ou le principe constitutionnel de la sincérité du processus électoral doit être observé, il échet de dire que les données fournies par les études statistiques de l’Insae relatives aux personnes décédées mais encore inscrites sur la liste électorale, doivent être prises en compte dans l’appréciation de la participation au scrutin des 11 avril et 9 mai 2021 ;
En conséquence,
Dit que les données fournies par les études statistiques de l’Insae relatives aux personnes décédées, mais encore inscrites, sur la liste électorale, doivent être prises en compte dans l’appréciation de la participation au scrutin des 11 avril et 9 mai 2021.
La présente décision sera notifiée à monsieur Ibrahim Arouna, au président du Conseil d’orientation et de supervision (Cos-Lépi) de la Liste électorale permanente informatisée (Cos-Lépi), au régisseur de l’Agence nationale de traitement (Ant), au président de la Commission électorale nationale autonome (Céna), à monsieur le président de la République et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le onze mars deux mille vingt-et-un
Messieurs Joseph Djogbénou Président
Razaki Amouda Vice-président
Madame Cécile Marie Marie José de Dravo Membre
Messieurs André Katary Membre
Fassassi Moustapha Membre
Sylvain M. Nouwatin Membre
Rigobert A. Azon Membre
Les rapporteurs,
Sylvain Nouwatin Joseph Djogbénou
Le président
Joseph Djogbénou