« Agbotchébou », exclusivement exécuté autrefois dans le couvent des adeptes de la divinité Sakpata, devient un rythme populaire sur le plateau d’Abomey Grâce à sa démystification, plusieurs artistes dont « Gbèdossou » œuvrent au quotidien pour sa valorisation. Malgré les contraintes de foyer, elle essaie d’apporter sa touche particulière pour donner plus de visibilité à cette percussion.
Née vers 1976, Albertine, Ahouian, alias « Gbèdossou » est une héritière de la musique traditionnelle. Son feu père avait, sans grand succès, tenté de valoriser le rythme « Kpatcha » qui, aujourd’hui, a complètement disparu du répertoire des arts vivants du plateau de Danxomè. Ayant découvert très tôt la musique depuis sa tendre enfance, la princesse de Tindji Yadin ne tardera pas à se mettre sur les traces de son géniteur. « Mon père a été une vedette du rythme ‘’Kpatcha’’ de son époque. Faute de soutien, il n’a pas émergé. Mais ayant appris son histoire, nous avons décidé de poursuivre le chantier qu’il avait entamé », confie Albertine Ahouian. Ainsi, elle s’est résolument engagée dans cette aventure à l’âge de huit ans. Elle a fait ses premières armes au sein de la chorale de l’église de l’Union des renaissances d’hommes en Christ puis à la Mission pour la vision du Christ où elle s’est illustrée comme l’animatrice principale. Au bout de quelques années, l’éclosion de son talent artistique s’est réalisée. Elle a mis alors en place son propre groupe folklorique composé de ses enfants, de son époux, de ses frères en Christ et d’autres personnes qui y adhèrent volontairement. Indépendante des injonctions des chorales, elle effectue des séances de répétition avec ses membres tous les mercredis en temps ordinaires et par quinzaine en période des travaux champêtres. Débuté par le « Zinli », l’artiste a fini par adopter le rythme « Agbotchébou ». Ce choix, justifie-t-elle, tient compte des exigences du marché et du souhait des consommateurs de nos produits. Après 22 ans de tâtonnement et d’errance, le « rossignole » de Tindji Yadin a, en 2007, mis sur le marché discographique, son tout premier opus qui n’est que la résultante de plusieurs années de recherche et de labeur. Ce label typiquement traditionnel comporte six morceaux exécutés dans le rythme ‘’Zinli’’. Cette première expérience très peu concluante a amené l’artiste à proposer sur son second album un nouveau « plat » plus digeste à ses fans. Il s’agit du « Agbotchébou », une sonorité très appréciée aussi bien par les animistes que les chrétiens. Sur la demande du public, elle a essayé de réaliser avec ses moyens de bord un clip vidéo qu’elle a mis en vente sur le marché. Auteur, compositeur, « Gbèdossou » aborde dans ses chansons les thèmes relatifs à la louange, la mort, le travail, la paresse, l’éducation et les faits de société. En dehors de la musique, la vedette s’investit également dans l’agriculture et le commerce. Ces différentes activités ne l’empêchent guère d’accomplir ses devoirs au foyer et de bien s’occuper de ses enfants. « Je parviens à concilier toutes les activés parce que j’ai un emploi du temps que je respecte rigoureusement », explique l’artiste. Grâce à une bonne organisation, Albertine Ahouian ne regrette pas d’avoir choisi la musique traditionnelle. « La musique m’a tout donnée. J’ai tiré d’elle tout ce que j’ai pu réaliser dans ma vie », confesse « Gbèdossou » qui estime que l’art peut bel et bien nourrir son homme à condition qu’on mette du sérieux dans le travail. Les efforts et la détermination des artistes béninois sont noyés dans la piraterie de leurs œuvres. Ce fléau, devenu une plaie, s’élargit davantage à cause de l’utilisation des clés Usb et des cartes mémoires. L’artiste déplore la pratique et invite ses pairs à ne pas baisser la garde. Avant cet appel de mobilisation autour de la lutte, l’ardeur de certains artistes s’est émoussé au point qu’ils ont décidé de ne plus produire des Cd. ‘’Gbèdossou’’ pense que la meilleure solution n’est pas à ce niveau. Selon elle, la production des œuvres de l’esprit est indispensable, parce qu’elle permet d’éduquer la population et d’immortaliser leurs auteurs. Par ailleurs, elle clarifie les rumeurs persistantes qui font état de ce qu’elle est acquise à la cause de Parfaite, dieu esprit saint qui a pris chair à Banamè. « Je ne suis jamais allée à Banamè et je n’ai jamais chanté pour louer Parfaite », déclare-t-elle en exhortant les consommateurs de ses produits de lui faire confiance pour la fidélité du partenariat qui les lie.
Les origines d’Agbotchébou
« Agbotchébou » est un rythme sacré. Il est lié à la divinité chthonienne Sakpata qui régit la terre. Redoutable, le Sakpata était très craint et extrêmement virulent au point où personne n’osait prononcer son nom en dehors des couvents. On peut donc aisément comprendre que l’animation d’un tel rythme ne soit pas accessible par tout le monde et à tout moment. Les instruments qui participent à la composition du rythme « Agbotchébou » sont au nombre de trois et de dimensions diverses. Deux de ses tambours sont faits de bois taillés chacun dans un tronc. Chaque tronc est évidé et couvert d’une peau de vache. Le troisième est un « Kpézin » fait de poterie métallique ou en terre de bas recouverte d’une peau d’animal. Les tams-tams sont secondés par deux clochettes, des cloches et des hochets. Les joueurs de tambours sont soit des adeptes de la divinité, soit des joueurs de rythmes dédiés à Sakpata. Auparavant, raconte Gabin Djimassè, Directeur de l’office de tourisme et région d’Abomey (D/Otra), la musique était jouée à l’intérieur du couvent et seuls les initiés et les adeptes, hommes et femmes pouvaient y participer, le couvent étant un espace sacré interdit au non-initié. Par la suite pour permettre à un public plus large de pouvoir participer aux festivités dédiées à la divinité, l’on a commencé à jouer et à danser au son du « Agbotchébou » à la devanture des couvents. Le public profane peut alors assister aux danses qui prennent l’allure de divertissement et y prendre part. Le « Agbotchébou » est joué à la veille des cérémonies prévues en l’honneur de Sakpata, en dehors de ce cadre, la musique n’est pratiquement pas joué. Traduit en langue française, « Agbotchébou » signifierait, à en croire les explications du D/Otra, « Mon bélier est perdu » (Agbo= bélier, tché= mon bou= perdu). Il s’agit alors d’une allusion selon laquelle la divinité serait à la recherche d’adeptes. La musique et la danse grand public pourrait donc apparaître comme une « opération de charme » à l’endroit des populations pour les inviter à rejoindre la famille des fidèles de Sakpata. La danse exécutée à l’endroit de Sakpata par ses adeptes se distingue des autres types de danses profanes, par une certaine gestuelle, surtout des mains et des postures.
« Agbotchébou » dans le cercle populaire
Le « Agbotchébou », bien qu’ayant gagné le cercle populaire, conserve encore son authenticité, son originalité et ses caractères sacrés. Ainsi, souligne Gabin Djimassè, conseiller communal d’Abomey, on ne peut par exemple en jouer publiquement sans référer auparavant au chef de culte de Sakpata. Averti, ce dernier se réserve le droit d’accéder à la requête ou de la refuser. C’est auprès du chef de culte que l’on se procure généralement les instruments pour jouer. Aujourd’hui, fait remarquer l’historien Nondichao, de nombreux groupes de musique traditionnelle possèdent leurs propres instruments. Cependant, dit-il, ils restent tous très vigilants dans le jeu de la musique et la danse qui l’accompagne, car même lorsqu’il s’agit de spectacle profane, il ne saurait être question pour eux d’un quelconque style que ce soit de commettre un impair et de la sorte de passer pour des sacrilèges. Dans ce cas, ces artistes s’exposent au courroux du vodoun réputé pour sa virulence. « Gbèdossou », la star de Tindji Yadin en est bien consciente. Elle y veille scrupuleusement. Pour ne pas avoir des ennuis avec les prêtres de la divinité Sakpata, elle l’a modernisée en y apportant sa touche particulière sans changer le fond. Aussi, ajoute Nondichao, avant chaque jeu, les membres du groupe qui pratique le ‘’Agbotchébou’’ se doivent de « donner à manger et à boire à leur divinité ». Autrement dit, ils doivent impérativement effectuer des sacrifices pour solliciter l’attention de Sakpata et lui manifester leurs hommages, car, selon ses propos, le jeu et la danse attiraient inévitablement la présence du dieu de la terre. Son courroux risquerait alors de se déchaîner s’il n’avait pas été auparavant averti. A ce niveau, Albertine Ahouian ne s’est pas conformée à ces prescriptions. Etant une chrétienne, elle n’a qu’imploré la bénédiction divine pour commencer. « Je ne suis jamais allée solliciter la permission auprès de quelqu’un si ce n’est que mon Dieu Tout Puissant », déclare-t-elle.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)