Après l’indépendance, des agriculteurs de l’ethnie Holli venus principalement de Pobè où les terres riches se faisaient de plus en plus rares, à cause d’une démographie galopante, ont envahi la forêt de la Lama pour y pratiquer une agriculture extensive et itinérante. En dépit de la pression de leurs activités sur l’environnement, ils demeurent tout de même indispensables dans le dispositif de protection de la biodiversité mis en place par l’Office national de bois (Onab).
L’histoire de la Lama et du peuple Holli est un mariage parfait entre un homme et une femme qui, malgré leurs divergences, ont du mal à se séparer. L’un n’existe pas sans l’autre et il serait bien difficile de conter leur histoire en occultant quelqu’un parmi eux. En effet, la Lama, est un massif forestier naturellement constitué sur un vertisol. Elle s’étend de la Commune de Zogbodomey à Toffo en passant par Glo-Djigbé dans Abomey-Calavi sur 16.250 hectares. Elle comprend les secteurs de Massi, de Koto et d’Akpè. Quinze villages ceinturent les forêts classées de la Lama et profitent de ses bienfaits. Au regard de l’importance de ce gisement, l’Etat l’a inscrit sur le registre des forêts classées le 24 décembre 1946. Mais malheureusement, elle sera abandonnée pendant plusieurs années encore aux mains des autochtones fon qui, plus tard, ont été rejoints par les allochtones, essentiellement des Holli, venus de Pobè et environs à la quête des terres arabes. Ce fut l’occasion pour eux d’occuper l’espace et de faire de l’agriculture. La pression anthropique de leurs activités a alors contribué à la dégradation de l’héritage colonial. De 1946 à 1989, la superficie des forêts de la Lama s’est réduite de 16. 250 ha à 4.770 hectares, à en croire les estimations de Gauthier Ayélo, capitaine des eaux et forêts et directeur technique (Dt) de la sous-section du bois de l’Onab. Selon lui, cette perte importante met en péril la survie d’espèces animales rares telles que le singe à ventre rouge, dont il ne reste aujourd’hui qu’entre 800 et 1000 individus. Face à ce désastre, le gouvernement d’alors a dû prendre ses responsabilités en protégeant le noyau central de la forêt, riche de faune et de flore. Des travaux de reboisement et d’ouverture de pistes pour faciliter la circulation ont été réalisés. Cependant, la gestion durable de cette surface étendue ne pouvait se faire sans les populations riveraines. C’est pourquoi une gestion participative de la forêt est pensée et mise en place par l’Office national du bois (Onab).
Cogépaf, l’homme au centre de l’aménagement forestier
Dans ses mécanismes d’aménagement, l’Onab a estimé nécessaire d’intégrer les populations. « Lorsque vous voulez faire l’aménagement, vous avez besoin des ressources humaines, vous avez besoin de la main d’œuvre. C’est cela qui explique l’implication de la population déjà sur-place dans le processus et à toutes les phases d’aménagement. Dès lors que les plantations qui sont installées sont arrivées à maturité, ces populations participent à l’élaboration du plan d’aménagement participatif depuis les premières activités, jusqu’au processus de négociation. De ce fait, elles sont organisées en structure de cogestion appelé Comité de gestion participative des forêts (Cogépaf). Ces comités sont bien organisés, ils sont bien structurés. C’est avec ces communautés que le contrat de cogestion est signé. Ces contrats dédient certaines activités aux populations et certains produits également. Les produits de première éclaircie et de la deuxième éclaircie (les perches, les chandelles) sont laissées aux populations qui les exploitent à leur guise. En dehors de cela, il y a les rémanents, c’est-à-dire, les branches et les parties qui ont des défauts rédhibitoires. Ces produits sont transformés en bois de chauffage prisé sur le marché des grandes villes», détaille Gauthier Ayélo. Dans ce partenariat public-privé profitable à toutes les parties, le modèle d’aménagement a prévu trois zones distinctes. Une zone agroforestière, réservée à la population agricole, une zone de production forestière destinée à la production de bois d’œuvre de qualité et une troisième pour la promotion de la biodiversité. «Cette stratégie est d’amener la population à trouver son mieux-être en faisant l’agriculture et en participant aux activités forestières qui constituent un vivier d’emplois et de ressources pour lutter contre la pauvreté », souligne le directeur technique de l’Onab. L’activité qui se mène actuellement sur la parcelle n°19 confirme bien les propos du Dt/Onab. Ici, explique Bernardin Wagblé, président de la Fédération des comités de gestion participative des forêts classées sous gestion de l’Onab, la population est en train de dégager la bande qui a subi une coupe de régénération. « Une fois la bande n°19 nettoyée, les graines tombées repoussent et l’Onab reprend leur entretien jusqu’à maturité. Cette méthode permet à l’Onab de renouveler sa forêt », ajoute-t-il. Le Cogépaf sert donc de transmission entre l’Onab et les Communautés à la base. Chaque village autour de la forêt a son domaine d’intervention. Comme contrepartie, ils ont des rémunérations qui sont déterminées en fonction des activités. Collette Dotin et ses paires, armées de coupe-coupe, se ruent sur les brindilles de fagots. A chacune est destinée une superficie bien délimitée qu’elle doit dégager, nettoyer et rendre propre de manière à ce que personne ne soit lésée. A la fin, elles en sortent heureuses. Les rémanents et autres déchets que nous concède l’Onab constituent notre salut. Ils nous permettent de subvenir à nos besoins vitaux et de s’occuper de nos familles », témoigne Colette Dottin. En dépit de cette largesse, elles suggèrent que l’Onab fasse mieux à leur endroit en leur réduisant les frais liés aux formalités administratives.
Le peuple sylvestre collé à ses Us et coutumes
Le Holli est un peuple aimant la nature, la forêt et tout ce qui s’y trouve. Son habitat traditionnel très caractéristique et adapté au sol constitue une particularité dans la Lama. Il se compose d’une case faite exclusivement en matière végétale avec des côtés rectangulaires et ses extrémités arrondies. «La Lama est un sol mouvant et hautement argileux. Donc, construire avec des matériaux définitifs comme des briques n’est pas approprié. C’est pourquoi ils utilisent des matériaux qui conviennent à ces genres de sol», explique le Dt/Onab. A l’Ecole primaire publique (Epp) de Zalimey, l’Etat a tenté d’aller contre ce principe. Mais hélas ! Peine perdue. Le module de deux salles de classe construites dans cette école en matériaux définitifs est devenu un risque permanent pour les enfants. Complètement lézardé à cause de la nature du sol, le bâtiment mérite d’être rasé. Autrement dit, seul l’habitat traditionnel est de mise dans la Lama. Peuple conservatoire, le Holli ne se déplace jamais sans ses connaissances endogènes et ses croyances religieuses. Dans cette forêt de la Lama, on y rencontre la danse « Guélèdè », et d’autres pratiques animistes dont Abiodoun Okotchè en est le garant. Il totalise dans la Lama, une cinquantaine d’années de vie. Guérisseur traditionnel, devin, tradi-thérapeute, il est le plus souvent consulté pour des questions liées à la sorcellerie, l’envoûtement et la protection. Selon ses confidences, il puise sa force des plantes, donc de la forêt. «Ils vivent des produits champêtres. Ils se donnent aussi plus aux activités sylvicoles qu’à celles champêtres. Ils font un peu de tout. Mais ils se nourrissent de la forêt», confirme Bernardin Wagblé. Leur labeur alimente les marchés de Bohicon, de Cotonou et d’ailleurs en produits vivriers. A l’intérieur, ils ont aussi leur marché, Oba, qui déssert les petits marchés environnants. Très animé chaque cinq jours, ce marché draine des clients qui viennent de divers horizons s’approvisionner des produits agricoles. De Pobè à leur terre d’accueil, leurs habitudes alimentaires et vestimentaires n’ont pas changé ; même pas au niveau des leurs enfants nés dans la Lama. «C’est toujours difficile lorsqu’il y a une communauté de personnes qui ont leur particularité dans leur culture, dans leur manière de vivre, de leur imposer sur le plan social la manière dont ils doivent enterrer leurs morts. De sorte que, selon leur convenance, il y en a qui inhument leurs parents dans la forêt. D’autres, par contre, l’amènent dans leur village d’origine. », fait savoir Gauthier Ayélo. En d’autres termes, les Holli, maîtres de la Lama, sont libres de vouer des cultes à leurs divinités protectrices traditionnelles, ou modernes. Ils ont importé leur culture du village au niveau ces centres de recasement. «Une fois que la terre leur est concédée, ils sont libres de réaliser des infrastructures qui contribuent à leur mieux-être », martèle le directeur technique de l’Onab. Mais malheureusement, elle commence par abuser de cette confiance et de cet honneur que leur fait l’administration forestière de l’Onab. N’étant pas des propriétaires terriens, des Holli de la forêt de la Lama ont commencé par mettre en vente les terres qui leur ont été provisoirement concédées. L’administration forestière de l’Onab veille au grain et n’entend pas se laisser faire.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)