(Enseignant, sociologue et juriste proposent leurs thérapies)
Au Bénin, l’application Tiktok draine des millions d’abonnés et de vues. De nombreux utilisateurs partagent des vidéos créatives et humoristiques sur cette plateforme chinoise. Malheureusement, des diffamations, des injures grossières, des dérapages sexuels et autres harcèlements s’enregistrent également sur ce réseau social. Bien que certains tiktokeurs aient été mis aux arrêts pour des déviances, les dérapages sont toujours observés sur cette plateforme. Des directs sont faits à longueur de journée et de nuit avec à la clé, des propos orduriers, parfois même attentatoires à l’honneur et à la dignité d’autrui. Pourquoi et comment y mettre fin? Expert en droit du cyberespace, sociologue et juriste posent leurs regards nuancés sur la problématique.
De l’avis de plusieurs experts, Tiktok est un réseau social numérique qui se veut un espace de socialisation et d’interaction. Il permet à plusieurs personnes de tisser des liens et d’échanger. C’est en quelque sorte le rôle et la mission qui étaient assignés à ce réseau à sa création. En dépit des nombreuses possibilités qu’offre le réseau en matière d’interaction, de téléchargement, de partage et d’enregistrement vidéo, il est constaté un laisser-aller au Bénin sur fond de dérives et de dérapages saisissants au point où l’on se demande à raison s’il n’y a pas de textes qui encadrent cet espace cybernétique. « Généralement, ceux qui s’adonnent à ces dérapages sur Tiktok ne savent pas toujours que c’est un espace encadré notamment au Bénin par le Code du numérique. », a confié Docteur Marius Dossou-Yovo, enseignant-chercheur et expert en droit du cyberespace.
Dr Marius Dossou-Yovo, expert en droit du cyberespace : « L’éducation aux médias et à l’information constitue la panacée »
« Nous voyons aujourd’hui des sextapes. Nous voyons de plus en plus de personnes qui se dénudent, qui tiennent des propos vraiment vulgaires et condamnables. Mais je pense que les autorités publiques sont en train de s’organiser ou du moins le font déjà en interpellant certains, en les faisant condamner parfois. Les dérapages sur Tiktok sont des dérapages de droit commun qui peuvent être connus par les institutions que nous avons en place c’est-à-dire l’Office central de répression de la cybercriminalité (Ocrc) et la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) qui va se charger de prononcer les peines. Pour mettre fin aux dérapages, il faut l’éducation aux médias et à l’information. Il faut sensibiliser les gens à l’utilisation de ces outils numériques et surtout enseigner aux gens tout le tort qu’ils sont capables de faire à partir de ce réseau. Du tort pour eux-mêmes mais également du tort pour les autres. Ce n’est pas parce que vous avez acheté la connexion avec votre propre argent que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Il y a des textes qui encadrent les publications sur les réseaux sociaux numériques. Il faut que nos concitoyens soient informés de ces textes, parce que si on ne le faisait pas, nous allons avoir plus de dérapages et nous allons avoir plus de dommages. Je pense que l’éducation aux médias et à l’information constitue la panacée pour pouvoir résoudre ce problème. Aussi, faut-il sanctionner. On dit qui aime bien châtie bien. Lorsqu’on se rend compte qu’après des séances de sensibilisation, il y a des récidivistes, il faut sanctionner pour que cela serve d’exemple aux autres »
Joël Tchogbé, sociologue :« Il y a un travail de tenue et de retenue qu’il faudra faire sur soi-même »
« Tiktok un peu comme les autres réseaux sociaux, nous replonge dans un espace virtuel que nous pourrions bien entendu utiliser à bon escient dans le cadre par exemple de ce processus de démocratisation du savoir. On peut s’informer grâce à Tiktok, parce qu’il y a une communauté assez dense sur Tiktok. Parce que les ressources à la fois actives et passives se retrouvent sur Tiktok. Les gens, les acteurs les plus futés savent aujourd’hui que la tendance jeune se retrouve sur cette plateforme et donc nous pourrions faire un usage saint et responsable de ce réseau social pour pouvoir grandir, acquérir le savoir et bonifier les compétences que nous avons et capter les flux d’information que nous pouvons transformer en opportunité pour progresser dans tel domaine, faire reculer l’ignorance dans tel autre domaine. Puisque le monde fonctionne selon une dualité, là où il y a le bon, se trouve immédiatement le moins bon ou le mal, et le mal peut paraître un préjugé ou un jugement de valeur, ça peut paraître aussi sévère et prétentieux. Le mal aujourd’hui, la tendance lourde que nous observons, les usages sociaux qui sont faits de Tiktok dans le contexte africain ou dans le rang des acteurs de la mobilisation sociale en ligne dont notamment les influenceurs et les autres curieux, les amateurs qui exploitent essentiellement Tiktok pour pouvoir marquer leur présence, pour pouvoir affirmer leur présence, pour pouvoir nourrir leur soif d’étalage de leur identité, nous remarquons que dans ses usages sociaux, il y a bien de faits qui relèvent de la déviance, de la déviance sociale, de la déviance comportementale qui enfreignent les mœurs et les valeurs saines de vie, les valeurs qui ont toujours solidifié les liens en communauté, les valeurs qui ont toujours contribué à renforcer notre identité communautaire, les valeurs d’éducation, les valeurs de respect, les valeurs qui proscrivent l’injure facile, les valeurs qui interdisent les affronts les plus intolérables, les valeurs qui structurent simplement le vivre en paix et qui nous tracent des couloirs de passage selon que nous soyons enfant, adolescent ou jeune ou adulte. Nous remarquons que toutes ces valeursqui constituent le substrat culturel de chez nous et qui projettent notre culture, notre identité sur le toit du monde, nous constatons malheureusement que les usages sociaux qui sont faits de Tiktoket des autres plateformes socio-numériques sont en train de mettre à rude épreuve ces valeurs de vie qui nous singularisent et qui définissent en tant qu’homme béninois, en tant qu’homme relevant de différents sous espaces culturels sur ce territoire que nous appelons le Bénin. Beaucoup de personnes se cachant derrière donc le virtuel, les Smartphones et les ordinateurs, font ce qu’ils ne pouvaient pas faire dans la vie réelle, et tiennent des propos orduriers, parfois même attentatoires à l’honneur et à la dignité d’autrui. Il est important de rappeler aux utilisateurs de Tiktok et par extension de toutes les autres plateformes, qu’il y a un travail de tenue et de retenue qu’il faudra faire sur soi-même. Il s’agit de se réconcilier avec les valeurs de vie que nous avons héritées de nos ascendants, que nous avons héritées de nos traditions, lesquelles traditions continuent aujourd’hui, malgré les assauts de la mondialisation, de nous singulariser, continuent de nous protéger contre la déstructuration absolue de ce qui fait la particularité ou le bonheur de la vie en communauté, ce que nous appelons la cohésion sociale.
Il est important que les utilisateurs de Tiktok, les influenceurs et autres, puissent se réconcilier avec ces valeurs de vie, puissent faire l’effort de transposer tout simplement ces valeurs de vie dans leur comportement quotidien, dans les pratiques ou les usages sociaux qu’ils font sur les plateformes sociales numériques notamment Tiktok. Si nous réussissons à faire cette transposition des valeurs de vie des espaces physiques où il y a le brassage, le contact d’une façon permanente; si nous réussissons à faire opérer cette transposition des valeurs de l’espace physique de vie vers les espaces virtuels de vie, vous verrez que les craintes auxquelles vous faites allusion, les injures faciles qui mettent à mal la cohésion sur les réseaux sociaux ; vous verrez que nous allons atténuer, voire réduire ou aller vers l’effacement total des dérives que nous observons sur les plateformes socio-numériques dont Tiktok. Les acteurs utilisateurs de Tiktok et des réseaux sociaux en général doivent savoir que les cycles de violence peuvent commencer dans les espaces physiques et aller s’exporter dans les espaces virtuels comme les cycles de violence procédant des injures, des propos qui portent atteinte à l’honneur et à l’honorabilité d’autrui, les comportements et les attitudes qui consistent à exporter la vie privée des gens sur les plateformes numériques, à avoir recours de façon frauduleuse à leur image à des fins peu recommandables, ces violences peuvent commencer sur les réseaux sociaux et s’exporter dans les espaces physiques de vie et lorsque nous nous retrouvons dans l’un ou l’autre des cas, les conséquences, les revers et les séquelles seront difficiles à porter. »
Landry Adélakoun, juriste :« Tiktok n’échappe pas à l’application du Code du numérique »
«Depuis 2017, les députés ont adopté la loi n°2017-20 portant Code du numérique en République du Bénin. Cette loi encadre toutes les activités qui se font à travers l’utilisation d’internet ou d’outils informatiques du numérique et tout. Cela voudrait dire que l’on soit sur Tiktok, sur Facebook, sur Instagram, Linkedin ou toute autre plateforme ou tout autre réseau social, tout ce que l’on fait sur ces plateformes est encadré par le Code du numérique. C’est alors que le Code du numérique encadre tout ce qui se passe sur Tiktok. Nous allons voir que tout ce que l’on fait dans la vie réelle est aujourd’hui du fait donc d’internet transposé dans la vie virtuelle. Le Code du numérique va donc prévoir et sanctionner tout ce qui a trait par exemple à la contrefaçon de marque ou de nom commercial ou d’indication géographique, parce que sur Tiktok l’on assiste à des questions de publicités par exemple. Ce ne sont pas seulement des questions d’injures ou de diffamations mais il y a également des questions de publicités. Les publicités par exemple en faveur de jeux d’argent ou encore de jeux de hasard illicite sont interdites par le Code du numérique en vigueur au Bénin. Dès lorsque le jeu d’argent, le jeu de hasard n’est pas autorisé par les autorités et que vous en tant que créateur de contenus vous êtes sur Tiktok et que vous faites la publicité de ces jeux, alors vous êtes sous le coup de la loi pénale. Dans la même veine, nous allons constater que aujourd’hui, l’apparition ou encore la naissance des réseaux sociaux fait le lit à certaines infractions du fait que certaines personnes pensent pouvoir jouir de la liberté d’expression autrement sans respecter le cadre légal. Dès que vous êtes sur Tiktok et que vous appelez à haïr l’autre, à détester l’étranger, lorsque vous menacez les gens sur fond de xénophobie ou encore de racisme, lorsque vous harcelez les gens à travers vos productions où votre plateforme ou votre compte Tiktok ou autres alors vous êtes sous le coup de la loi. Lorsque vous proférez des injures ou des menaces à l’endroit des autres, qu’ils soient des particuliers ou des gouvernants, vous êtes sous le coup du Code du numérique. Lorsque vous incitez à la haine ou à la provocation d’un crime ou d’un délit tel qu’on le voit à travers les agissements, les propos que l’on écoute sur les réseaux sociaux, vous êtes également sur le coup du Code du numérique. C’est nous dire que le Code du numérique en vigueur au Bénin a prévu et a encadré tous les agissements bien ou en mal à travers le numérique. Tiktok n’est pas un no man’s land, il n’échappe pas à l’application des dispositions du Code du numérique ou encore du Code pénal en vigueur au Bénin. Malheureusement nous constatons la méconnaissance aigue de l’ordonnancement juridique béninois quant à l’utilisation de ces réseaux sociaux. L’encadrement juridique est bien fait, nous allons inviter les uns et les autres à mieux s’outiller davantage sur le cadre légal qui encadre l’utilisation, la présence sur les réseaux sociaux avant de se transformer en influenceurs, en producteurs de contenus et autres, et nous allons par la suite inviter les organes chargés de veiller à la mise en œuvre des dispositions du Code du numérique de faire convenablement leur travail tout en respectant bien sûr l’abécédaire des droits fondamentaux. »
Sergino Lokossou