(La bonne foi de l’Etat voisin à rude épreuve)
L’interpellation de l’activiste béninois Steve Amoussou, connu sous le pseudonyme de « Frère Hounvi » continue d’alimenter la polémique. Celle-ci s’est même exacerbée suite au communiqué rendu public, dimanche 25 août 2024, via la télévision nationale togolaise, par le procureur de la république près le tribunal de Lomé. Un communiqué qui, a bien des égards, cache mal la volonté des autorités togolaises, de se dédouaner dans un dossier qui met à nu, la fébrilité du système de sécurité du pays.
Ç’aurait été un rebondissement de taille dans l’affaire qui défraie la chronique entre Cotonou et Lomé depuis quelques semaines mais hélas. Le communiqué du procureur de la République près le Tribunal de Lomé au Togo, Talaka Mawama, censé indiquer de plausibles pistes en vue de la manifestation de la vérité dans cette affaire, a plutôt mélangé les pinceaux. Ce communiqué intervenu seulement quelques heures après les dénonciations des Organisations de la société civile (Osc) du Togo, dans un contexte où les soupçons de deal entre les autorités béninoises et togolaises fusent de toutes parts, apparait comme une manière de jouer à l’innocent dans un dossier qui devient de plus en plus agaçant. Sinon comment comprendre que c’est pratiquement deux semaines après l’interpellation du cyberactiviste de nationalité béninoise, Steve Amoussou, qu’on enregistre une première réaction officielle du Togo, pays où le chroniqueur manipulé s’est établi depuis qu’il a quitté le Bénin. Pourquoi c’est maintenant que la justice togolaise réagit au moyen d’un communiqué plat, dans le vile dessein d’indexer la partie béninoise ? Pourquoi a-t-il fallu la pression des Organisations de la société civile basées au Togo et même de l’opposition béninoise avant que le tout puissant procureur de la République du Tribunal de Lomé, ne vienne au-devant de la scène pour livrer des résultats d’une prétendue enquête qui visiblement aurait été menée dans la précipitation au regard des contestations auxquelles elle est sujette. Déjà, le procureur se serait mélangé les pédales sur les identités et fonctions des personnes annoncées comme ayant participé à l’interpellation du « Frère Hounvi ». C’est notamment le cas du nommé Géraud Gbaguidi que beaucoup ont démenti être le manager de l’artiste Vano contrairement aux insinuations du procureur de Lomé.
La bonne foi des autorités togolaises à rude épreuve
Loin de dissiper les doutes et de blanchir le Togo dans ce sulfureux dossier, le communiqué du procureur de Lomé vient au contraire alimenter les doutes sur la bonne foi de ces autorités dans cette affaire. Le Togo est en effet réputé être une Nation où un point d’honneur est mis sur la question de la sécurité. Lomé, la capitale qui abrite le palais de la République, est une ville ultrasécurisée et où les mouvements des uns et des autres sont contrôlés. Adidogomè, un des quartiers de Lomé et où réside l’activiste béninois Steve Amoussou, offre inéluctablement des garanties de sécurité pour ce dernier. Ce qui a contribué à son établissement en ce lieu sans être inquiété depuis cinq ans. Au regard de la sécurité dont bénéficie la ville, il serait risqué d’entreprendre des actions devant aboutir à l’interpellation d’un résident de la trempe de Steve Amoussou sans courir le risque d’être dissuadé par le dispositif sécuritaire. Dans un tel contexte, comment comprendre, que l’interpellation du célèbre chroniqueur à charge contre le régime Talon, ait été menée par des individus venus Bénin avec un véhicule d’immatriculation béninoise, sans la complicité de la partie togolaise ? Est-il possible, au regard de l’évolution du droit, d’aller « enlever » un citoyen dans un territoire étranger et passer la frontière en toute sérénité comme l’a prétendu, le 14 août dernier, Maître Aboubacar Baparapé, un des avocats du sieur Steve Amoussou ? Comment ne pas soupçonner une complicité des unités policières et de renseignements des deux Etats dans ce cas ?
La légèreté du dispositif policier mise à nu
Afin de dédouaner entièrement les autorités togolaises dans ce dossier, il faudrait à tout le moins s’attendre à des mesures qui auraient dû être prises dans les 24 heures. D’abord, une protestation officielle du gouvernement togolais, ensuite, le limogeage immédiat de certaines autorités dans la Pyramide de sécurité telles que le directeur de la Police nationale, le directeur de la Gendarmerie nationale, le directeur des services de renseignements intérieurs, le directeur général des renseignements extérieurs et même le directeur des Douanes, sans oublier tous les officiers, sous-officiers et soldats en poste à la frontière et sur l’axe Lomé-Hillacondji qui auraient prétendument facilité le transfert du cyberactiviste à la Police béninoise. Ce dossier met à nu la légèreté du dispositif policier et au-delà, la porosité de la frontière entre les deux pays quand on sait que l’avocat a clairement indiqué lors de sa conférence de presse qu’« aucune formalité n’a été observée par les ravisseurs à la frontière Togo-Bénin ».
La réaction du procureur de la Criet toujours attendue
Quoique suscitant moult interrogations, le communiqué incendiaire pondu par le procureur de Lomé, s’apparente à une provocation et une manière de ternir l’image du Bénin et de sa justice. Il appelle de facto une réaction immédiate des autorités judiciaires béninoises notamment celle du procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) pour montrer que le Bénin s’est, depuis plusieurs années, débarrassé de cette étiquette d’Etat voyou que tente de lui coller un pays reconnu policier et où les violations des droits de l’homme sont monnaie courante.
Abdourhamane Touré