Alors qu’elle a été sommée par le gouvernement de quitter la zone commerciale de Ganhi au plus tard fin 2022, la Société des ciments du Bénin est bien en place et poursuit ses activités au nez et à la barbe des autorités. La présence de cette cimenterie dans la zone est perçue par nombre de personnes comme une défiance de ses responsables vis-à-vis du gouvernement du président Patrice Talon.
En Conseil des ministres le mercredi 28 juillet 2021, le gouvernement a décidé de faire délocaliser l’usine de production de la Société des ciments du Bénin (Scb) de la zone commerciale de Ganhi pour des raisons environnementales. Le Conseil des ministres a rappelé que la Scb était informée depuis juin 2020 de son obligation de quitter cette zone. « L’existence de cette société dans une zone de grande concentration urbaine est source de désagréments causés aux riverains de même qu’à l’environnement », justifie le gouvernement. Ainsi, la société est appelée à déménager au plus tard le 30 juin 2022. Au cas où la délocalisation ne s’opérait pas dans le délai imparti, la société pourra bénéficier de six mois supplémentaires, soit jusqu’au 30 décembre 2022 pour libérer les lieux. Il s’agit d’une décision du Conseil des ministres. Si la Scb n’a pas jusqu’ici obtempéré, l’on est en droit de se demander s’il y a une main invisible qui agit dans l’ombre et donne aux responsables de ladite société, le courage d’un roi-lion. Plus de deux ans se sont écoulés depuis la date butoir de délocalisation. Mais la Scb est bien là sans être inquiétée.
Risques sur l’environnement
Dans un entretien, Armel Hinvi, toxicologue au laboratoire nationale d’analyse biomédicale (ministère béninois de la Santé), a signifié que depuis 2013, les particules de l’air extérieur sont classées comme cancérigènes pour l’Homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). « La toxicité de ces particules proviennent à la fois de leur composition et de leur taille. Plus les particules sont fines, plus elles sont capables de pénétrer profondément dans l’organisme et de passer par la circulation sanguine vers d’autres organes », a-t-il soutenu.
Tout comme les autres industries de cimenterie, la CimBénin et la Scb émettent abondamment des polluants tels le dioxyde de soufre et ces particules fines – Pm10 et Pm 2,5. Le dioxyde de soufre est un gaz incolore pouvant devenir suffocante à forte concentration. Quant aux particules fines Pm 10 et Pm2,5, elles sont constituées d’un ensemble très hétérogène de composés : sels, composés carbonés organiques, éléments traces ou encore carbone élémentaire. En plus de ces polluants, les industries de cimenterie et brasserie émettent des oxydes d’azote, des hydrocarbures et composés volatiles tels que l’acétaldéhyde, le benzène, le dichlorométhane, le formaldéhyde, le perchloroéthylène, le toluène et le xylène. L’exposition prolongée à ces gaz constitue des sources de problèmes sanitaires et environnementaux. La conséquence la plus visible sur l’environnement est l’effet de salissure sur les bâtiments, le patrimoine historique notamment, entraînant des coûts pour leur remise en état. Les dépôts de poussière sur les feuilles des arbres, limitant les échanges gazeux. Ils ont ainsi un impact sur le développement de la végétation.
Le contenu en substances toxiques que contiennent les particules (composés organiques, métaux) peut se retrouver dans l’environnement et polluer ainsi les eaux de surface ou souterraines, les sols. C’est le cas à Xwlacodji, Cotonou, où la berge de l’océan atlantique (à 500 m environ de la Scb) est régulièrement couverte de poussière avec une menace pour la population aquatique. Sur le plan climatique, certaines particules contribuent au refroidissement alors que d’autres comme le carbone noir participent au réchauffement. Ils ont donc des impacts sur les écosystèmes tels que les pluies acides et l’eutrophisation (une forme singulière, mais naturelle, de pollution de certains écosystèmes aquatiques).
Les dangers sur la santé
Sur le plan sanitaire et selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms) (Rapport Who global air quality guidelines 2022), neuf citoyens sur dix, vivant en milieu urbain, sont exposés à un air chargé en particules fines, ce qui représente un risque pour la santé des individus. Dans un rapport de la Banque ouest-africaine de développement (Boad), l’institution se penchait sur les impacts négatifs des cimenteries. Ces impacts négatifs de la fabrication de ciment sont liés à la manipulation et à l’entreposage des matériaux (particules), à leur broyage (particules) et au fonctionnement des fours et des dispositifs de refroidissement du clinker (particules ou « poussières de four » et gaz de combustion contenant du monoxyde et du dioxyde de carbone, des hydrocarbures, des aldéhydes, des cétones, des oxydes de soufre et de l’azote). Les rejets de charges des fours (pH élevé, matières en suspension, solides dissous, principalement du potassium et des sulfates) et les eaux de refroidissement (chaleur résiduelle) sont des sources de pollution de l’eau. Les lixiviats qui s’écoulent des matériaux entreposés et des aires d’évacuation des déchets polluent les eaux superficielles et souterraines.
Les émissions de poussière, et en particulier de silice, constituent un grave danger pour la santé du personnel de l’usine. Les niveaux sonores auxquels les employés sont exposés représentent également un risque. Le bruit et le passage des camions peuvent être source de désagrément pour les communautés avoisinantes. « Si le gouvernement a parlé et que la société refuse de partir, qui sommes nous, nous pauvres populations pour aller forcer les gens à partir d’ici », a confié un des riverains en colère et visiblement fatigué. L’impuissance des pauvres riverains ne saurait être admise au sommet de l’État. Si le Chef de l’État a présidé un conseil des ministres qui a pris une décision aussi forte avec des délais précis, il n’y a pas de raison qu’une société passe outre.
Qu’est-ce qui pourrait motiver le maintien sur-place de la Scb à Ganhi ? En l’absence d’une réponse adéquate et face aux désagréments causés par cette unité de production aux populations, on peut dire sans prendre le risque de nous tromper que la Scb défie le Président de la République qui travaille à faire de la ville de Cotonou une ville lumière du pays. Il urge de que le président Talon prenne les taureaux par les cornes dans un dossier où des vies sont menacées en pleine ville.
Sergino Lokossou