L’organisation mise en place au sein du royaume de Danxomè par les monarques a conféré aux femmes certaines responsabilités dans le but de mettre en exergue leurs potentialités. Le roi Glèlè en a donné l’exemple en faisant de Nan Gbèïton, la première femme griot du royaume communément appelée ‘’Kpanligan’’. Pour perpétuer la mémoire de cette illustre Reine de la cour royale des Ahomlanto, dame Cécile lui a emboîté les pas. Ainsi, elle devient la deuxième femme Kpanligan depuis l’avènement de Danxomè.
Le bégaiement émis sous la rythmique des gongs géminés annonce le plus souvent l’apparition du cortège officiel d’un haut dignitaire de la cour royale ou l’annonce d’un important message du royaume à l’endroit des sujets. Cette noble tâche est confiée spécialement à des familles qui s’y connaissent. Suivant l’arbre généalogique de la collectivité des Ahomlanto, c’est-à-dire les laudateurs des souverains, on retrouve les familles Agboglo, Agonzan, Kakèssa, Adissin, Kpatakpè qui sont les tout premiers. Elles sont respectivement le Kpanligan des Rois Tégbéssou, Kpengla, Glèlè, Agadja et Akaba. Chacune d’elle est implantée dans un quartier à Abomey. Par exemple, la famille Agonzan est à Ahouaga. La colonie des familles exerçant cette fonction au sein du royaume est baptisée Ahomlanto. C’est-à-dire les laudateurs des princes et princesses. Griot du Roi, le Kpanligan constitue également la mémoire du royaume. N’exercent donc cette fonction que les descendants de cette lignée. Parmi les Kpanligan, on note la présence remarquable d’une femme. Cécile Ahomlanto, femme griot. Cela pourrait paraître étonnant étant donné qu’il est très rare de retrouver la femme dans cet exercice. Sans complexe, elle évoque les débuts de son apprentissage dans cet art. « C’est un patrimoine de mes aïeuls. Ayant vu mon père à l’œuvre, il m’a plu aussi de le faire. D’après mes enquêtes, j’ai appris qu’une femme l’avait fait. Elle s’appelle Nan Gbéïton. C’est ainsi que je me suis lancée dans cette aventure avec mon petit frère comme étant mon maître. A l’aide d’un gong géminé en bois, il m’entrainait. Ayant la main au bout de quelques mois d’exercice, j’ai pu obtenir mon parchemin sous forme d’une autorisation. Ce qui m’a permis d’accéder au vrai gong géminé sous la bénédiction de mon père, sa Majesté Dah Agbowadan, le chef de la lignée des Ahomlanto », raconte-t-elle. Admise alors dans Le cercle restreint des Kpanligan, Cécile Ahomlanto suit les hommes partout dans les cérémonies traditionnelles au palais ou lors des sorties officielles du roi.
Un apprentissage contraignant
Cécile Ahomlanto, la femme griot confirmée, a reçu sa formation professionnelle dans une école informelle dont la famille Agbowadan est la seule responsable qui assure le renforcement de capacités des jeunes désireux. « Vous ne pouvez pas entendre le gong géminé du Kpanligan résonner les jours ordinaires dans une maison autre que chez Agbowadan à Abomey. Dans cette concession, vous pouvez l’entendre à n’importe quel moment, même dans la nuit, car elle est la seule autorisée à former les gens », a confié Bah Nondichao, historien et ancien guide au musée d’Abomey. Cécile Ahomlanto bien qu’elle soit de la lignée, s’est inscrite dans ce centre de formation traditionnelle. Des décennies après, elle partage ses amertumes avec les nouveaux qui s’aventurent aussi dans le domaine. « Des difficultés, on en a connu, des sacrifices, on en a fait. Mais notre foi de rivaliser coûte que coûte avec les hommes dans cet art a rendu inébranlable notre volonté », nous a-t-elle confié. Selon elle, ses premiers pas dans l’apprentissage ont été une rude épreuve parce qu’ils ont bousculé ses vieilles habitudes. « L’apprentissage des louanges exigent un milieu calme. Je les assimile à l’aube ou au coucher du soleil. C’est ainsi que j’ai pu avoir la main », se souvient-elle. « Sun lihouéli lé lé kpééto ! Kingo ! Mintingbé, matinsè ! Kingo ! Edanhoun kaka Esèkpon nasin allanou min wéé !Kingo ! Ahodo mèdji madjètéé ! Kingo ! Edaho noumin zanfonnou !Kingo ! Gbadanou sou bèyi swè sin ! Kingo ! Bakalaaa délé !Kingo ! » Malgré tout, les attentes ne sont pas encore comblées. D’après les suggestions de Bah Nondichao, il faut se référer aux anciennes pratiques, aux archives et mettre à profit les connaissances de ceux qui sont encore vivants parmi les anciens avant de prétendre redresser la pente. Adulée aujourd’hui de tous, Cécile Ahomlanto est fière d’elle-même. « Tout au début de mes expériences dans le domaine, j’éprouvais de la gêne en tant que femme au regard des stigmatisations de mes paires. Mais avec le temps, j’ai su transcender cette période et transformer les préjugés en détermination grâce au soutien des sages de la cour royale et des conseils de sa Majesté Dédjalagni Agoli-Agbo, roi du Danxomè », confesse-t-elle. Sans attendre sa vieillesse avant d’assurer sa relève, Cécile Ahomlanto initie déjà sa fille âgée de 6 ans à la chose. A l’image des Amazones, ces femmes guerrières dont la bravoure est encore chantée, Cécile fait la fierté de sa famille et l’admiration de ses congénères, mais elle écrit surtout sa page de l’histoire, celle qui fait d’elle la deuxième femme Kpanligan depuis la création du royaume de Danxomè.
Dieu ‘’Gou’’, le totem des Ahomlanto
Gardé à « Gougbadji », dans le temple de la divinité ‘’Gou’’, dieu du fer, le gong géminé n’est pas un gong comme les autres. Il est sacré. Sa sortie et son entrée sont subordonnées à une cérémonie d’offrande en guise de promesse et de reconnaissance à la divinité protectrice. « On lui sacrifie un coq blanc et un repas sans piment accompagné de boisson pour le libérer. Tout ceci se fait en guise de reconnaissance. Ce sacrifice se fait au retour d’un voyage. Mais si la personne a un litige en vue, il peut faire des promesses à Gou avant le voyage et au retour il fait le sacrifice. L’œsophage de l’animal sacrifié est remis au « Kpanligan » pour lui permettre d’avoir la gorge libre et être efficace », détaille Nondichao. Il poursuit en indiquant qu’au retour d’un voyage avec le Roi, le « Kpanligan » rentre toujours avec son instrument parce que le gong géminé en question ne passe jamais la nuit au palais ni chez le Roi. Justifiant l’importance du rituel, il fait remarquer que la divinité ‘’Gou’’ est en fait l’éclaireur qui balise le chemin, éloigne tout esprit maléfique. Donc, il est important de l’implorer avant de la prendre pour ne pas attirer sa colère. « Outrepasser cette cérémonie, c’est mettre la vie des Kpanligan en danger », souligne Charlemagne Agonzan. Par rapport aux interdits, ils sont surtout liés à ‘’Gou’’. Entre autres, il ne faut pas abuser de la femme de son prochain ; ne pas envoûter, ne pas menacer des proches par des gris-gris, ne pas tenir des relations intimes durant la période d’une cérémonie de la Cour royale. Dans la même période, il est interdit de se faire servir l’eau de bain et le repas. Pas d’injurie ni de menace à cause du verbe sacré du « Kpanligan ». En cas de violation de l’un de ces principes, l’auteur risque des maladies et même la mort.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)