Dans quelques heures, un nouvel ouvrage intégrera officiellement l’univers littéraire du Bénin. Il s’agit du recueil de nouvelles « Marie Claire » de l’écrivain Habib Dakpogan qui sera lancé demain samedi à Cotonou. Dans une interview, l’auteur revient en détails sur les six histoires de cette œuvre.
Vous êtes l’une des figures emblématiques de la jeune génération des auteurs écrivains béninois. Dans quelques jours, vous procéderez au lancement officiel d’un nouvel ouvrage.
Ma toute nouvelle œuvre Marie Claire sera lancée demain samedi à Cotonou. Marie-Claire c’est le titre de la nouvelle éponyme du livre, qui est un recueil de six nouvelles. C’est six histoires qui traduisent nos vécus quotidiens et qui décrivent la décadence de notre écosystème social bien qu’elles soient écrites sur un fond d’humour. Généralement, pour rédiger, je vais chercher dans les recoins pas très reluisants de notre société, notamment avec la politique qui détruit le tissu social. Mais disons qu’en général, je décris l’Africain d’aujourd’hui, cet être hybride qui est le résultat d’un véritable désordre issu de l’esclavage, la colonisation, la post-colonisation et les dictatures. Un ensemble d’héritages troublés. Nous sommes donc des êtres tourmentés. Nous avons une culture disparate, des élans politiques dispersés, des convictions religieuses étranges. Nous sommes des êtres uniques. C’est cet être que j’aime écrire à travers mes lignes.
Revenons à Marie Claire, de quoi s’agit-il concrètement ?
Marie Claire est l’une des nouvelles qui parle d’une jeune dame de teint noir qui s’est retrouvée par la force de l’amour en train de se dépigmenter pour plaire à son homme qui avait des élans pour les femmes claires. Elle s’est donc lancée pour défi de gagner le combat même si la clarté est la condition sine qua non. Elle a donc fait le combat de la clarté, mais malheureusement le miroir qui est son interlocuteur l’a amené à adopter des produits qui n’ont fait qu’abîmer son corps.
En parcourant les lignes du recueil de nouvelles, on sent que l’auteur aborde un thème qu’est la femme. Quelles sont les autres thématiques abordées dans votre nouvel ouvrage ?
Vous savez, je n’écris pas mes œuvres en me basant sur des thématiques. J’écris juste ce que je ressens et les thématiques ressortent d’elles-mêmes. Dans la première nouvelle, « Les deux feuillets du diable », j’ai parlé de la corruption policière avec d’autres thématiques connexes telles que la pauvreté, la porosité des barrages policiers et une question fondamentale : l’équation entre l’amour et l’argent. La deuxième nouvelle « La faim des fins » est l’histoire d’un homme politique qui n’ayant plus trouvé son compte dans le nouveau système politique, s’est déclaré opposant dans le but d’attirer l’attention de l’homme au pouvoir afin qu’il soit casé. Il a démarré une grève de la faim qui lui a été fatale. La quatrième nouvelle est « Fesser tard ou jamais ». Cette nouvelle décrit l’ambiance des karaokés où des jeunes femmes sont exposées aux abus sexuels et aux attouchements indécents pour gagner leur vie. Selon la nouvelle, il y a une dans cette kyrielle de jeunes femmes qui ne s’est pas laissée faire. Cependant, elle a reçu, de façon inattendue, un million en ‘’travaillement’’ d’un richissime homme d’affaires qui ne lui a rien demandé en retour. Ce jour-là, elle est devenue une autre personne. Une situation qui amène à se demander si l’amour résiste à l’argent. L’avant-dernière nouvelle, « Gnamblaise » est le récit d’un jeune homme malformé et qui a fini sa vie de façon dramatique. A travers cette nouvelle, j’ai voulu aborder la thématique des enfants demandés aux esprits. Dans la croyance populaire, dès qu’ils sont demandés aux esprits et que leurs parents n’ont pas fait les sacrifices qu’il faut, l’esprit envoie l’enfant dans un corps amoché. Le personnage de la nouvelle est né avec une petite tête, ce qui a fait qu’il était un peu… con. Néanmoins, il a aimé une femme et s’est rendu compte bien plus tard qu’elle aimait quelqu’un d’autre. Le drame est survenu. La sixième et dernière nouvelle est intitulée « Akinata et les 600 violeurs ». C’est l’histoire d’une jeune dame qui s’est donnée tous les moyens pour devenir une influenceuse. Un jour, elle a décidé de dresser la liste de tous les hommes qu’elle a connus ; un moyen pour prendre au piège les hommes politiques. Chose étrange, c’est le seul jeune homme qui n’a pas pu profiter de la jeune fille qui est allé en prison pour harcèlement. Il était le dernier dont le nom figurait sur la liste.
Comment avez-vous pu concocter toutes ces nouvelles ?
Elles ne sont pas venues au même moment. Il y en a que j’ai rédigé depuis des années et la dernière que j’ai écrite récemment. En somme, cet ouvrage est le fruit d’un long parcours. Il n’est pas venu du jour au lendemain.
Est-ce à dire que ce sont des histoires vécues ou elles sont nées juste de vos imaginations ?
Pour l’écrivain, il n’y a plus de frontières entre l’imaginaire et le réel. L’écrivain n’écrit que lui. Ce que j’écris, c’est ce que je suis. Ce que je suis, c’est ce que j’ai vécu ou ce qui est resté réel dans mon imaginaire ou ce dont je rêve. Tout ceci fait partie de l’univers de mon livre, donc je ne peux pas dire que je n’ai pas vécu ou je l’ai vécu formellement. C’est l’exemple de la première histoire « Les deux feuillets du diable » dans laquelle j’ai parlé des contrôles policiers. C’est aussi le cas de « Fesser tard ou jamais » dans lequel j’ai restitué intégralement le cadre des milieux de karaoké que j’ai connus avec le comportement des chanteuses face au pouvoir de l’argent ou à l’influence des hommes puissants. C’est des choses vécues, mais que je n’ai pas restituées intégralement. En somme, c’est tout un mélange. Néanmoins, il arrive parfois que l’auteur prenne l’option de parler de son vécu ou du réel en respectant certaines exigences.
A quelques jours de son lancement officiel, Marie-Claire suscite déjà beaucoup d’attention. Qu’est ce qui explique cet état de choses selon vous ?
Il faut dire que c’est le titre qui incite beaucoup de personnes à vouloir parcourir les lignes de ce livre. Le titre est énigmatique. Les lecteurs veulent avoir une idée du contenu. L’autre chose est la personnalité de l’auteur. Je publie environ tous les 4 ans. Mon dernier livre a été publié en 2020. Cette fois-ci encore, les amoureux des lettres se questionnent sur le contenu de mon nouvel ouvrage. Plusieurs facteurs justifient donc cette effervescence.
Le lancement de l’ouvrage Marie Claire sera couplé à la phase finale d’un concours de lecture. Parlez-nous-en.
Je ne suis pas porteur de cette initiative, mais j’ai voulu m’associer à des jeunes promoteurs de concours de lecture. Ils ont lancé un concours de compte rendu de lecture et pour la première édition, c’est mon recueil de nouvelles Marie-Claire qui a été choisi. C’est une occasion pour parler encore une fois en public de la dépigmentation. C’est le contexte dans lequel se tiennent ces deux événements.
Donnez-nous aujourd’hui votre appréhension de la littérature au Bénin.
La littérature n’a pas de nationalité, elle n’a pas de paternité. La littérature est un héritage sans testament. Nous sommes tous propriétaires de la littérature dans le monde. La littérature qui se fait au Bénin est bien exportable. Lorsque vous avez déjà eu à faire des salons, vous vous rendez compte qu’en réalité, tout ce qui nous manque est la confiance en nous. Très rares sont ces pays africains qui ont un niveau de qualités physiques des livres que nous publions au Bénin. Vous voyez certains ouvrages dans certains pays très reconnus en matière de littérature et vous n’y croyez pas. Nous n’avons rien à envier. Le rayonnement d’une littérature dans un pays est lié à la visibilité des ténors en Occident. C’est le cas par exemple de la littérature congolaise reconnue à cause de l’auteur Alain Mabanckou qui vit en Occident et c’est de là-bas que l’image revient. Quelle que soit la façon dont un auteur écrit ici, s’il n’a pas la patience ou les réseaux pour faire éditer son livre en Occident, il aura l’impression que son ouvrage ne s’exporte pas. Je n’ai aucun doute sur la qualité de ce que les écrivains produisent au Bénin. Le plus grand problème est que nous valorisons moins nos ouvrages au détriment de ceux qui sont édités en Occident. Il y a de très bons auteurs au Bénin.
Votre mot de fin
Beaucoup de ceux qui seront là le samedi, s’attendront à un réquisitoire contre la dépigmentation, mais ils seront déçus. Le recueil de nouvelles n’est pas un réquisitoire contre la dépigmentation, les gens sont libres de se dépigmenter. En réalité, personne n’est légitime pour fustiger la dépigmentation en Afrique. Il n’y a pas un seul Africain qui n’est pas dépigmenté d’une façon, ou d’une autre, de la langue, de la gastronomie, de l’habillement, de la culture ou du mode vie. C’est cela que je veux que les lecteurs comprennent. Nous avons tous renié nos authenticités. Nous n’avons pas de procès à faire à qui que ce soit. La nouvelle Marie-Claire est juste une façon de s’interroger s’il faut aller à certains extrêmes en tenant compte de la volonté de nos partenaires. A-t-on besoin de se mutiler à cause d’un compagnon ou compagne? Pour finir, cette nouvelle soulève le problème de la dépigmentation en son sens propre avec les problèmes de santé qu’elle cause. J’invite donc les lecteurs à faire le déplacement pour savoir ce que cachent les lignes du recueil de nouvelles Marie-Claire.
Propos recueillis par Mohamed Yasser Amoussa (Coll)