La traque implacable menée à l’encontre des filles de joie, par le préfet du département du Littoral dans la ville de Cotonou est diversement appréciée au sein de l’opinion. Dans une interview au groupe de presse Le Matinal, Bob Yaovi Liassidji, enseignant à l’Université de Parakou revient ici sur le fondement juridique de l’action d’Alain Orounla.
Le Matinal : Quelle différence peut-on faire entre racolage et prostitution ?
Bob Yaovi Liassidji : Par rapport au sujet qui défraie actuellement la chronique dans le département du Littoral, nous pourrons d’entrée de jeu dire que ce soit le délit de prostitution ou le délit de racolage, ce ne sont pas des vocables que notre droit pénal reconnait. Autrement dit, si on doit suivre le principe de la légalité des délits et des crimes, la prostitution et le racolage ne sont pas des délits en République du Bénin. Mais des pratiques, des manœuvres et des circonstances peuvent entourer la commission de ces actes qu’on peut qualifier de délits en République du Bénin. Lorsque vous prenez le Code pénal actuellement en vigueur en République du Bénin avec la loi n°2018, vous comprendrez aisément qu’en République du Bénin, ne sont punies que les pratiques liées au proxénétisme et à l’excitation habituelle de mineure à la débauche.
Qu’est-ce qu’il faut comprendre par proxénétisme?
Le proxénétisme c’est le fait que quelqu’un tire un profit pécuniaire ou un avantage quelconque des pratiques sexuelles qu’il entretient avec une autre personne. De façon claire, c’est plus ou moins du racolage mais du racolage sur fond de prostitution. C’est-à-dire quoi ? Vous avez une femme ou des femmes qui sont prêtes à passer à l’acte sexuel avec quelqu’un afin d’en tirer un profit mais ce profit est partagé suivant un certain taux ou un quota de pourcentage entre la personne qui se livre à l’activité sexuelle et la personne qui offre le cadre, le moyen ou l’occasion à ces deux personnes de se rencontrer. Et c’est dans ce sens que le Code pénal en République du Bénin intervient. Alors, pour revenir au cas d’espèce, il faut se référer à l’article 560 du Code pénal pour comprendre de quoi il s’agit. Je vous lis in extenso cet article : « Est puni des peines prévues à l’article 556 du présent Code pénal, tout individu qui détient directement ou par personne interposée, gère, dirige, fait fonctionner, finance ou contribue à financer un établissement de prostitution », première cause. Deuxièmement cause : « tout individu qui détenant, gérant, faisant fonctionner, finançant, contribuant à financer un hôtel, une maison meublée, une pension, un débit de boissons, un restaurant, un club, un cercle, un dancing, un lieu de spectacle ou leurs annexes ou lieu quelconque ouvert au public ou utilisé par le public, accepte ou tolère habituellement qu’une ou plusieurs personnes se livrent à la prostitution à l’intérieur de l’établissement ou dans ces annexes ou y recherchant des clients en vue de la prostitution ». Et troisième cause: « Tout individu qui assiste les individus visés au point 1 et au point 2 ci-dessus cités ». En clair, qu’est-ce que le Code pénal en vigueur en République du Bénin réprime ? C’est le délit de proxénétisme. Toute personne qui tient un avantage de l’acte de prostitution causé par une autre personne. Pour être davantage plus clair, vous avez trois personnes : la personne prostituée, la personne qui vient se satisfaire et troisième personne, celle qui permet que les deux premières personnes puissent se rencontrer, pour passer à l’acte. Donc, parmi ces trois personnes, c’est la troisième catégorie de personnes, c’est-à-dire la personne qui met tous les moyens en œuvre pour que quelqu’un puisse se satisfaire avec quelqu’un d’autre par l’entremise du désir sexuel.
Comment apprécie-t-on cette atteinte aux mœurs, c’est-à-dire quelles sont les attitudes définies comme atteinte aux mœurs ?
Ce que le législateur béninois prévoit, c’est l’atteinte aux mœurs. Cependant, il faut relativiser pour dire que la prostitution, lorsqu’elle est commise par une personne majeure, c’est-à-dire qui a 18 ans révolus, elle n’est pas en infraction mais lorsqu’on met à contribution des personnes qui sont en dessous de l’âge légal de la majorité, c’est un délit. Ce qu’il faut aussi rappeler dans le contexte qui est le nôtre, ce qui se passe dans le département du Littoral actuellement avec le préfet Orounla, c’est beaucoup plus en principe les responsables des lieux, des centres, des maisons qui permettent d’aller à l’acte sexuel par l’entremise de la prostitution. Ce sont ces personnes responsables de ces centres, de ces lieux qui devraient en principe être poursuivies et non nos sœurs, nos mères, nos filles qui s’adonnent à l’acte de prostitution que tout le monde qualifie du plus vieux métier du monde.
La détermination du préfet peut-elle aboutir à une condamnation des filles ?
En vérité, la détermination du préfet ne peut pas conduire à la condamnation des filles qui font l’objet d’interpellation ou d’arrestation puisque l’acte de prostitution par lui-même ou en lui-même n’est pas constitué de délit prévu et puni par le Code pénal en vigueur en République du Bénin. Or, nous sommes régit par un texte tout à fait clair qui postule le principe de la légalité des crimes, des délits et des peines. Tant que le fait n’est pas prévu et puni par la loi, aucune autorité fut-elle un préfet de département, ne peut procéder à l’interpellation ou à l’arrestation aux fins de présenter au procureur de la République des personnes qui s’y adonnent.
Propos recueillis par Angèle Toboula