Le remaniement ministériel attendu depuis la fin des dernières élections législatives n’aura pas lieu. Les propos du chef de l’Etat tenus le 13 mars 2023 à l’occasion de la visite officielle du président du Niger Mohamed Bazoum au Bénin ont définitivement mis fin à la polémique. Mais au sein des acteurs politiques, même si l’on a pris acte de cette décision, l’on se permet de faire quelques commentaires sur le choix de Patrice Talon.
« Je ne l’ai pas envisagé. On ne change pas une équipe qui gagne. Jusqu’à nouvel ordre, les principaux chevaliers de notre dynamique resteront en place parce qu’ils me donnent satisfaction », tel est le bout de phrase dont l’écho résonne dans l’esprit de beaucoup de Béninois depuis 72 heures où, au travers d’une question qui lui a été posée lors de la conférence de presse qu’il a conjointement animée avec son homologue nigérien, Patrice Talon a mis fin à la polémique sur le remaniement ministériel. Entre indifférence, déception et espoir, l’opinion publique est partagée autour de cette option du président de la République qui, pour certains a fait le choix de la stabilité et de la continuité. Pour l’observateur averti, le chef de l’Etat est resté dans sa ligne tracée depuis son avènement au pouvoir en 2016. C’est du moins ce que pense le politologue Eugène Allossoukpo. A l’en croire, cette option est stratégique. « Notons cette faiblesse ou cette force du président Patrice Talon à ne pas se séparer de ses proches collaborateurs. Il est plus ou moins dans une démarche purement technique. Changer ceux-là, c’est changer peut-être le cours des choses, c’est ralentir l’exécution des projets parce qu’il a une vue très futuriste des choses », a-t-il confié. Cette lecture est partagée par l’expert en gouvernance locale et membre du parti Union progressiste Le renouveau Gildas Aïzannon. « Le président Talon a lui seul la légitimité de remanier son équipe gouvernementale. Il a choisi de ne pas le faire parce que ses ministres lui donnent satisfaction. On connaît le président Talon pour son obsession de l’efficacité et donc de la stabilité. Il a besoin des gens qui maîtrisent les enjeux et sa façon de travailler mais, rassurez-vous : ceux qui sont là ne vont pas s’éterniser. Peut-être même que certains éprouvent le besoin d’aller vers d’autres challenges hors du gouvernement. Le président Talon sait qu’il y a aussi d’autres compatriotes compétents qui, de bon droit, nourrissent l’ambition de servir la République au plus haut niveau. Je pense que le président veut rassurer ses ministres et demeurer maître du planning d’un futur remaniement peut-être dans quelques mois quand il faudra se lancer dans la bataille politique pour les futures échéances électorales », a laissé entendre l’ancien secrétaire général de l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (Udbn). Pour Antoine Guédou Vissétogbé, président du parti Grande solidarité républicaine (Gsr), « Aucune disposition légale, ne l’enferme (Patrice Talon ndlr) pour le remaniement de son équipe. C’est lui qui est élu, il est politiquement responsable du comportement de chaque collaborateur sur cette responsabilité », tranche l’acteur politique pour qui cette actualité est d’un intérêt mineur. Jean-Claude Kouagou, membre et porte-parole du parti Les démocrates ne se surprend pas non plus de cette annonce quoiqu’il préfère mettre Patrice Talon devant ses responsabilités. « Ce n’est pas surprenant parce que lui-même a justifié qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Je pense qu’il faut lui donner acte de ses propos », a-t-il confié. Quoique légalement, aucune disposition ne contraint le chef de l’Etat à remanier son gouvernement, beaucoup estiment cependant que Patrice Talon pourrait en l’état actuel des choses, faire bouger les lignes. C’est l’avis de l’ancien ministre Alain Adihou, membre du parti Force cauris pour un Bénin émergent (Fcbe). « La logique c’est que presque tout le monde s’attend à voir faire pour tenir compte un peu de ce que nous vivons opposition-mouvance, concorde nationale pour peut-être avoir un gouvernement un peu plus à l’image de ce que nous essayons de vivre actuellement au plan politique », pense Alain Adihou.
Une option technique
D’autres font carrément une autre lecture de l’option de Patrice Talon. Outre la dynamique de stabilité et de constance de l’équipe gouvernementale, certains estiment que le président Talon ne veut prendre aucun risque pour bousculer l’homogénéité du groupe qui lui donne satisfaction selon ses dires. Néanmoins, beaucoup voient dans cette volonté de maintien de l’équipe gouvernementale, l’environnement politique favorable au chef de l’Etat. C’est du moins l’analyse que fait Jean-Claude Kouagou du parti Les démocrates. L’acteur politique pense qu’ayant une majorité confortable au Parlement, le président de la République a les coudées franches pour mener à bout ses ambitions au sommet de l’Etat. Remanier un gouvernement dans un tel cas de figure n’est pas forcément pertinent. L’analyste politique Alphonse Moïse Soudé pense pour sa part, que la dévolution de certaines missions et attributions techniques des ministères aux agences créées dans plusieurs domaines, pourrait expliquer le désintérêt lié à un quelconque remaniement. « Depuis un certain temps, beaucoup de responsabilités ne relèvent plus du domaine des ministères. On a créé beaucoup d’agences qui sont liées directement à la présidence de la République. Donc, le travail technique se fait déjà par des spécialistes nommés à la tête des agences. Aujourd’hui, la plupart des ministres ont perdu 50% voire 60% de leurs responsabilités au profit des agences. Du coup, le chef de l’Etat contrôle les ministères à partir des agences qui font le travail technique», a soutenu Alphonse Moïse Soudé.
Gabin Goubiyi