Journaliste et spécialiste du football africain, Patrick Juillard était récemment au Bénin. Lors de son séjour sur le territoire national, l’homme a été témoin de plusieurs rencontres de l’élite du football béninois. Dans une interview accordée à un organe de presse locale, le Français a abordé plusieurs sujets concernant le sport roi local. Ci-dessous, lisez l’intégralité de ses propos.
Journaliste : Nous vous connaissons en tant que journaliste et analyste du football africain. Mais en réalité, qui est Patrick Juillard ?
Patrick Juillard : C’est une question à laquelle il n’est pas simple de répondre, mais je vais tenter. Avant tout, je suis un passionné de football, d’Afrique et des peuples qui la composent. Les voyages que j’ai la chance de faire aujourd’hui me permettent de combiner ces trois passions. C’est d’ailleurs une réflexion que je poursuis constamment sur moi-même. J’aime le partage et les échanges, ce qui explique le plaisir que je prends à intervenir sur des plateformes comme Rfi (Radio France Internationale). Mon ambition est de découvrir l’Afrique dans toute sa profondeur, en me débarrassant des préjugés ou des perspectives européennes. Mon approche se veut ouverte, sincère et respectueuse des réalités locales.
Pourquoi avoir choisi de vous consacrer au sport, et plus précisément au football africain ?
J’ai toujours été passionné par le football. Un moment charnière dans ma carrière m’a permis de faire un choix : j’ai eu l’opportunité de travailler dans la presse spécialisée. J’ai saisi cette chance, et aujourd’hui, je m’en réjouis. Cela a donné un sens à mes passions et m’a permis de les partager avec un large public. C’est ainsi que mon parcours a pris cette direction.
Quel est l’objet principal de votre visite au Bénin ?
Il s’agit principalement d’une visite de loisir. Je ne suis pas venu pour travailler, mais j’en ai profité pour m’intéresser à quelques matchs du championnat local. Cela m’a permis d’observer de plus près, la réalité du football béninois.
Quelle est votre appréciation du niveau du championnat béninois, notamment la Celtiis Ligue Pro de football ?
J’ai assisté à un match entre Sobemap et l’As Police à Avrankou. J’ai perçu un travail tactique et une certaine réflexion sur le jeu. La qualité des sorties de balle et des mouvements m’a semblé prometteuse. Cela témoigne des efforts des entraîneurs pour développer des principes de jeu. Cependant, à mon sens, le championnat gagnerait à être resserré. Une élite composée de moins de clubs permettrait l’émergence de locomotives capables de tirer l’ensemble vers le haut. La réduction de l’élite et l’instauration d’une poule unique l’année prochaine sont déjà des mesures encourageantes. Pour que le football béninois progresse davantage, il faut que les clubs parviennent à atteindre régulièrement dans les phases de poule des compétitions continentales. Il reste encore du chemin à parcourir, mais les bases actuelles sont plus solides qu’il y a quelques années. Aujourd’hui, le championnat est organisé de manière régulière, ce qui n’était pas le cas par le passé.
Avez-vous remarqué des joueurs béninois ayant des qualités susceptibles d’intéresser des recruteurs internationaux ?
Oui, assurément. Toutefois, pour évaluer un joueur, il est essentiel de l’observer sur plusieurs matchs. Lors de cette visite, il m’est donc difficile de citer des noms précis. Cependant, pour faire progresser le championnat, il est nécessaire que chaque année, quelques joueurs soient exportés vers d’autres pays. Cela permet de libérer de la place pour les jeunes talents locaux, créant ainsi une dynamique vertueuse. Il est cependant primordial que ces joueurs soient bien conseillés afin d’éviter les erreurs. Certains talents partis à l’étranger ont malheureusement vu leur carrière stagner ou régresser en raison de choix inadéquats. Je pense notamment à Charbel Gomez, mais il n’est pas un cas isolé. La maturité et la lucidité sont essentielles. Un joueur doit être conscient de son niveau réel pour planifier judicieusement sa carrière. Croire que l’on peut immédiatement intégrer des compétitions comme la Ligue des champions est illusoire.
Quelles mesures prendre pour rendre le championnat béninois plus attractif ?
Ce qui a été accompli jusqu’à présent constitue un premier pas encourageant. Certains clubs attirent déjà des joueurs venus du Niger, du Togo ou de la Côte d’Ivoire. Cela démontre un certain sérieux dans l’organisation. Toutefois, pour aller plus loin, il faut resserrer l’élite et renforcer les dotations des rencontres. Cela va accroitre la motivation et permettra d’augmenter l’intensité des enjeux. Il faut également encourager des luttes acharnées pour le titre, tout en favorisant l’émergence de clubs solides et réguliers. A l’heure actuelle, avec deux groupes de 18 clubs, l’émulation reste limitée.
La formation des joueurs et encadreurs est souvent citée comme un enjeu crucial. Quelle importance accordez-vous à ce volet, et quelles pistes d’amélioration proposez-vous ?
La formation est effectivement un élément fondamental. Les clubs devraient être obligés d’avoir des équipes de jeunes. Ce n’est pas suffisant de disposer de moyens financiers pour acheter les meilleurs jeunes. Il faut que les dotations accordées aux clubs soient conditionnées au développement d’académies et d’équipes de jeunes. Ainsi, un système vertueux pourrait se mettre en place : les meilleurs jeunes intègreraient les équipes premières, et les meilleurs éléments de ces dernières s’expatrieraient, créant un effet d’entraînement. Cela exige un encadrement de qualité et des formateurs compétents. Ces efforts financiers représentent un investissement qui pourrait porter ses fruits sur le long terme. En somme, pour structurer le football béninois, il faut une vision claire, des moyens et de la persévérance.
Avec les réformes récentes, pensez-vous que le public sportif béninois peut nourrir de grands espoirs pour l’avenir de son football ?
Je pense qu’il est tout à fait possible de réaliser de belles choses. Le Bénin n’aura jamais le réservoir de talents du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, en raison de sa plus petite population. C’est un fait mathématique : une population moindre implique un vivier de jeunes talents plus réduit. Cependant, avec une organisation rigoureuse et un travail sérieux, il est tout à fait envisageable d’élever le niveau du football national.
Le Bénin a peu de joueurs évoluant dans les grands championnats européens. Quels leviers peuvent être actionnés pour augmenter la présence de nos joueurs au plus haut niveau ?
Je pense qu’il faut mettre en place des filières de formation sur le long terme. Les meilleurs clubs locaux devraient établir des partenariats avec des clubs européens pour faciliter l’intégration des jeunes talents. Il est essentiel de leur offrir un cadre propice à leur adaptation lorsqu’ils arrivent en Europe, afin qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes. Cela nécessite une certaine patience : il ne faut pas chercher à tirer immédiatement un bénéfice financier des transferts. Parfois, il est préférable de reculer pour mieux sauter, c’est-à-dire permettre aux joueurs de se perfectionner en Europe avant de viser le plus haut niveau. Les clubs européens recherchent principalement des jeunes joueurs, souvent âgés d’une vingtaine d’années. Les joueurs plus âgés, même talentueux, ne les intéressent pas toujours. Il est donc primordial d’identifier ces talents très tôt, de les préparer localement, puis de les accompagner dans leur développement à l’étranger. Cependant, cette approche demande une vision à long terme, ce qui peut être un défi pour certains dirigeants de clubs, souvent trop pressés d’obtenir des résultats immédiats.
Malgré l’absence de « grands noms », le Bénin s’est qualifié pour la Can 2025 au Maroc. Comment jugez-vous le parcours des Guépards du Bénin lors des éliminatoires ?
Les Guépards ont démontré une grande résistance et beaucoup de ténacité. Ils ont décroché leur qualification lors de la dernière journée, à l’extérieur, dans des conditions difficiles. Le match décisif contre la Libye a été très disputé, avec une préparation et un contexte tendus, notamment en raison d’un accueil peu chaleureux de la part des Libyens. Malgré ces obstacles, le Bénin a su faire preuve de résilience. Ce parcours est marqué par des performances intéressantes, avec notamment 7 buts inscrits lors des éliminatoires. L’attaque a été au rendez-vous, portée par un Steve Mounié en véritable leader offensif. Cependant, il reste des marges d’amélioration, notamment au milieu de terrain. La transition entre la défense et l’attaque peut encore être optimisée. Globalement, l’équipe est sur la bonne voie, et le retour à la Can, après avoir manqué deux éditions, est très encourageant. Si le Bénin avait échoué une troisième fois, cela aurait pu engendrer un certain découragement, comme ce fut le cas pour le Togo. Cette qualification met donc fin à une mauvaise série et redonne de l’espoir au football béninois.
Pensez-vous que l’équipe béninoise a les moyens de briller au Maroc, comme elle l’avait fait en 2019 en atteignant les quarts de finale sous Michel Dussuyer ?
Je pense même que le Bénin peut faire mieux, pour une raison simple. En 2019, l’équipe avait atteint les quarts de finale sans remporter un seul match, grâce à une défense solide. Aujourd’hui, l’équipe a évolué. Bien que Saturnin Allagbé ne soit plus le gardien qu’il était à l’époque, et que certains cadres en défense aient quitté la sélection, le Bénin propose désormais un jeu plus dynamique, notamment dans les transitions. L’objectif principal devrait être de remporter un match. Cela constituerait déjà la meilleure performance historique du Bénin en phase finale et augmenterait considérablement les chances de qualification pour le tour suivant, puisque les quatre meilleurs troisièmes sont retenus. Il est important de progresser étape par étape, sans brûler les étapes. Une victoire, dans un premier temps, serait une avancée significative. Par la suite, sous la direction de Gernot Rohr, qui saura aborder chaque rencontre avec stratégie, le Bénin pourra aspirer à d’autres succès.
Propos recueillis par Karol B. Sékou (Coll)