Bien que les funérailles n’accompagnent pas le mort dans l’au-delà, elles mobilisent, cependant les énergies des citoyens béninois. Ils s’y investissent au point où elles deviennent, pour bon nombre, une source d’endettement, de précarité et de déboires judiciaires. Le phénomène gagne du terrain et mérite que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités en vue de limiter les dégâts.
« Les funérailles, c’est l’ensemble des cérémonies civiles et ou religieuses accomplies pour rendre les honneurs suprêmes à un mort », essaie de définir, le Révérend pasteur Innocent Golou. « C’est l’ensemble des rituels organisés pour l’ultime adieu en mémoire d’un défunt », renchérit pour sa part Fortunet Béhanzin, prince de la dynastie royale Béhanzin de Djimè. A la mort d’un païen, d’un chrétien, ou d’un musulman, les funérailles sont organisées par chaque communauté en fonction du sens que cela leur revêt. Le Révérend Pasteur Innocent Golou a eu recours à la bible en rappelant qu’au temps jadis, les premiers serviteurs de Dieu, les apôtres et consorts, après leur mort, étaient inhumés simplement sans les funérailles. « Depuis les premiers morts, il n’y avait pas d’attachement aux morts. Quand les gens mouraient, on les enterrait seulement. Et Jésus Christ l’a même dit : « Laissez les morts enterrer leurs morts ». Cela voudra tout simplement dire que Jésus n’attache pas du prix aux funérailles d’un mort. La bible est restée muette à ce sujet », précise-t-il. C’est donc plus tard que l’homme a initié des rituels funéraires pour rendre hommage à son parent défunt. De cette pratique, l’église a puisé sa manière pour célébrer un défunt. Selon les analyses du Rev. Pasteur, si l’Eglise organise les funérailles à l’intention d’un fidèle qui a rendu l’âme, c’est pour rendre témoignage à sa vie chrétienne. C’est-à-dire, commenter la vie chrétienne qu’il a eu à mener ici-bas. Dire comment il a servi Dieu, comment il a adoré le Christ. Quelle était sa vie sur terre, en dégager les leçons qui permettront à ceux qui sont encore vivants dde changer d’attitude et si possible de vie. « En réalité, ce témoignage ne sert plus au mort, mais plutôt sert de modèle de vie aux vivants. Ce sont les vivants qui intéressent le Christ. C’est pourquoi, il a l’habitude de dire qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il aime le pécheur. Malgré nos péchés, il nous porte et il veut qu’on change. C’est le sens que l’Eglise donne aux funérailles », détaille l’homme de Dieu. Il poursuit en indiquant que ceux qui pensent que sans les funérailles, le mort n’est pas bien accueilli par ses ancêtres se font d’illusions. « Si l’Eglise enterre le mort, c’est bon. Mais il n’y a rien de spirituel qu’il y gagne. De l’autre côté, chez les animistes, c’est pareil. Le reste, c’est l’homme qui a tout crée pour ne pas avoir la paix », a fustige le Rev. pasteur Innocent Golou. Père Jean-Marie de l’Eglise catholique romaine épouse cet avis, mais apporte d’autres précisions. A en croire ses propos, la mort d’un proche provoque toujours un choc. Les funérailles permettent alors d’humaniser ce moment par le rassemblement des proches, l’évocation de celui qui vient de les quitter et, les gestes d’amitié. Pour un chrétien, les funérailles sont de même l’occasion de rappeler que, malgré le deuil, la vie ne s’arrête pas à la tombe. Autrement dit, la célébration des funérailles consiste non seulement à faire mémoire de la vie qu’a vécu le défunt sur la terre mais aussi à en faire une action de grâce à Dieu et à se tourner vers l’avenir où le défunt attend ses proches. Pour l’Imam de la mosquée centrale de Bohicon, les funérailles ne sont pas nécessaires pour le mort. Elles l’encombrent plutôt que de lui baliser le chemin menant vers le Père céleste. « Tout ce qui se passe, est une organisation humaine. Lors des funérailles, les gens utilisent, par exemple, les boissons alcoolisées. Ce qui est contraire aux principes prônés par l’Islam. Cette pratique, constate l’imam, augmente la souffrance du mort dans l’au-delà. Pour alors éviter de soumettre le défunt à un autre supplice, il faut respecter les recommandations du prophète en la matière. « L’essentiel après le décès, c’est de tout faire pour enterrer le mort, ni plus ni moins », confie El Hadj Idrissou Boukari. Il ajoute que suite à l’inhumation, le mort a plus besoin de prières des vivants pour bénéficier de la miséricorde de Dieu. « Après l’enterrement, le prophète demande de prier intensément pour le défunt. Il en a besoin parce que dans l’au-delà, il est soumis à un rude interrogatoire relatif au bilan de sa vie. Ce sont les prières des vivants qui l’accompagnent afin qu’il gagne la miséricorde de Dieu », renseigne-t-il. Le dignitaire religieux va plus loin en rappelant ce qui doit être fait. D’après lui, avant sa mort, le musulman peut donner des directives claires par rapport à ses obsèques. Il doit chercher à respecter les préceptes de la religion. « Devant certaines situations, chacun doit faire un examen de conscience sur l’acte qu’il entend poser. Chercher à savoir si ce qu’il veut faire, est prescrit par l’Islam. Il faut essayer de chercher cela. Si l’islam ne l’a pas recommandé, donc cela n’a pas d’intérêt », conseil El Hadj Idrissou Boukari. Fortunet Béhanzin pense le contraire. Selon lui, les funérailles sont importantes pour le défunt. « Les funérailles sont nécessaires pour un défunt dans la mesure où à sa naissance il a été accueilli dans la famille par des rites traditionnels. De même, à sa mort, il doit être raccompagné par le biais des rituels funéraires en guise d’au revoir», soutien-t-il.
Bataille juridique après des funérailles onéreuses
Animistes, chrétiens et musulmans s’accordent tous qu’il faut organiser les funérailles en mémoire des morts soit pour leur dire adieu, soit pour témoigner de leur vie chrétienne ou pour inhumer le corps qui ne servira plus à rien. Si ces cérémonies ne peuvent par ramener le défunt à la vie ou lui permettre d’être reçu au paradis, qu’est-ce qui justifie, alors, l’intérêt qu’accordent les citoyens qui y engloutissent toute une fortune ? Certains, même sans capacités financières, vont s’endetter pour paraître aussi comme les autres. Quel paradoxe ! Inhumer son parent défunt sur des prêts. Cette pratique est bien en vogue au Bénin. La première raison qui pousse certains à s’endetter pour pouvoir inhumer leur parent défunt est l’humiliation. « Les funérailles constituent le dernier hommage qu’on puisse rendre à un défunt pour lui témoigner son attachement. Ne pas le faire est un aveu d’incapacité et une honte », crache Léocadie Lokonon. « C’est le dernier moment que l’on a à passer avec son parent qui n’est plus de ce monde. Alors, il faut faire tout ce qui est en son pouvoir pour marquer cette rupture », complète Vincent Adoumadougan. « Lorsque dans une communauté tout le monde marche sur la tête, tu es tenu de le faire aussi. Si non, on te traitera d’incapable », explicite Benoît Hountowadan. Au nom de ses raisons fallacieuses venant du raisonnement de l’homme, beaucoup font recours aux prêts pour s’acquitter de ce devoir que leur impose la société. Par conséquent, ils se retrouvent derrière les barreaux. Fortunet Béhanzin, bat en brèches ces arguments développés pour justifier l’organisation exagérée des funérailles. D’après lui, la tradition avait établi des règles qui sont aujourd’hui extraverties au nom de la modernité. « Au temps jadis, les funérailles étaient organisées dans la stricte sobriété. Il n’y avait pas de dépenses exorbitantes autour des funérailles. Les rituels étaient confiés à des personnes averties qui s’en occupent sans contrepartie. Ce sont les cauris qui servaient de monnaie bien avant les pièces et billets. En principe, 20.000F suffisent pour effectuer l’inhumation », se souvient le prince de la dynastie royale Béhanzin de Djimè. L’imam de la mosquée centrale de Bohicon abonde dans le même sens. Selon les estimations de Idrissou Boukari, les frais des funérailles tels que recommandés par l’Islam varient de 15 à 20.000 FCfa. Sans proposer un coût, le Rev. Pasteur Innocent Golou est aussi du meme avis. De nos jours, l’on assiste à un gâchis. « Ce que je reproche à l’organisation des funérailles de nos jours, c’est la gabegie financière dans la mesure où le défunt, dans ses derniers jours, n’a pas bénéficié de l’assistance, des soins de ses enfants ni de sa famille. Mais juste à sa mort, on organise des cérémonies pompeuses, des funérailles à coût de millions. On cherche à construire d’abord avant les obsèques alors que le défunt a vécu de son vivant dans la poussière. Je pense qu’il y a quelque chose qui ne va pas », dénonce Innocent Golou. Idrissou Boukari fait le même constat et ajoute que les funérailles sont devenues un fond de commerce pour certains et un business pour d’autres. « Beaucoup profitent des funérailles. Comptant sur ces cérémonies, ils souscrivent plusieurs parts dans des tontines », regrette l’Imam. Fortunet Béhanzin a également fait remarquer que le deuil n’est plus respecté dans les familles comme avant. « Auparavant, c’est un silence qui règne dans une maison mortuaire. On vit le deuil, la douleur occasionnée par la séparation brutale et inattendue du défunt. Aujourd’hui, en lieu et place du deuil, c’est l’euphorie, la bouffe. On dirait que le monde tourne à l’envers », s’indigne-t-il.
L’Etat doit recadrer
Pour éviter que le pays tombe dans la précarité liée à des dépenses inutiles exorbitantes, le Rev. pasteur Innocent Golou suggère que l’Etat actualise l’ordonnance N° 11 Pr/M.j.l. publiée au Journal officiel du 15 mai 1967 à la page 343. Elle dispose en ses articles 2, 3 et 4 que tout rassemblement, à l’occasion d’événements autres que les mariages et les décès, doit prendre fin au plus tard à vingt et une heures lorsque plus de dix personnes adultes ne vivant pas habituellement avec l’organisateur sont appelés à y participer.
Le montant total des dépenses en denrées, boissons et services de toute nature, effectuées tant par l’organisateur que par les participants, ne peut être supérieur à dix mille francs.
Les décès et inhumations ne peuvent donner lieu à aucun rassemblement autres que ceux prescrits par les rites religieux ou tendant à manifester l’affliction, causée par la disparition du défunt.
Tout rassemblement ayant pour effet des réjouissances à cette occasion est interdit. La consommation de boissons alcoolisées au cours des rassemblements autorisés ou non autorisés est strictement interdite.
Les personnes dont la présence n’est pas indispensable aux proches et aux parents du défunt ne peuvent séjourner plus de vingt quatre heures consécutives après l’enterrement dans la maison mortuaire ou dans ses dépendances. Des sanctions sont prévues pour châtier les contrevenants.
En effet, selon les articles 8 et 9 de cette ordonnance : « Sera puni d’une amende de vingt mille francs à deux cent mille francs et d’un emprisonnement d’un mois à trois mois :
1° Quiconque aura, dans les cas prévus aux articles 2 et 3, procédé ou sciemment contribué à des dépenses dont le montant excède le maximum légal c’est-à-dire plus de dix mille FCfa pour les événements autres que les mariages et les décès et plus de vingt mille FCfa pour le mariage ;
2º Quiconque aura, dans les cas prévus à l’article 4, organisé une manifestation interdite ou servi des boissons alcoolisées au cours d’un rassemblement autorisé ou non autorisé ;
3º Quiconque aura séjourné dans la maison mortuaire ou ses dépendances, en infraction à l’article 4, alinéa 3 ou aura autorisé ou facilité ledit séjour ;
4° Quiconque sera trouvé en état d’ivresse manifeste sur les lieux d’une cérémonie familiale. Autrement dit, la nécessité de réprimer les cérémonies ruineuses est encore d’actualité. C’est dans le souci d’actualisation de cette ordonnance que le député Nazaire Sado avait fait, en juillet 2017 une proposition de loi visant à limiter les dépenses lors de certaines cérémonies, notamment des funérailles et des mariages, qui, selon lui, déplument et ruinent les populations. Malheureusement, cette loi n’a pas reçu l’adhésion de toute l’Assemblée nationale qui l’a mise en veilleuse. « Nous encourageons l’He Nazaire Sado à poursuivre son lobbying afin que sa proposition de loi soit étudiée et votée. N’en déplaise aux oiseaux de mauvais augures », conseille le pasteur.
Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)