Un groupe de cinq juristes béninois a introduit un recours en inconstitutionnalité contre la requête d’Enock Christian Lagnidé, déposée le 27 janvier 2025, auprès de la Cour constitutionnelle. L’ancien ministre avait sollicité l’avis de la Haute juridiction sur des questions constitutionnelles importantes, notamment sur la révision de 2019. Selon les requérants, cette démarche viole les principes de la Constitution et les règles procédurales en vigueur, estimant que seule l’autorité compétente, le Président de la République, peut saisir la Cour pour ce genre de demande. Ci-dessous l’intégralité de leur recours en date du 1er février 2025.
Abomey-Calavi, le 01 Février 2025
Objet : Recours en inconstitutionnalité contre la requête pour avis sur des questions constitutionnelles majeures déposée par Enock Christian Lagnidé le 27 janvier 2025.
LES REQUÉRANTS
Landry Angelo ADELAKOUN, Romaric ZINSOU, Miguèle HOUETO, Fréjus ATINDOGLO et Conaïde AKOUEDENOUDJE tous Juristes de nationalité béninoise, demeurant et domiciliés à Abomey-Calavi (Bénin) Tel : (+229) 62 70 50 46 ; 06 BP : 3755 Cotonou (BENIN) ; E-mail : [email protected]
ONT L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER
Que telle une traînée de poudre, l’opinion nationale et internationale a appris dans la journée du 27 janvier 2025 le dépôt et l’enregistrement de la demande d’avis signée de l’ancien Ministre, Conseiller Spécial du Président de la République Enock Christian Lagnidé ;
Que la demande d’avis de Monsieur Enock Christian Lagnidé a été enregistrée au secrétariat de la Cour constitutionnelle sous le numéro à 09h56 sous le numéro 0164 ;
Que Monsieur Enock Christian Lagnidé sollicite l’avis de la Haute juridiction sur des questions constitutionnelles majeures visant à savoir si le Bénin avec la révision intervenue le 07 novembre 2019 est désormais dans une nouvelle République ;
Que Monsieur Enock Christian sollicite également de la Haute juridiction la compréhension a avoir de certaines dispositions de la Constitution notamment les articles 42 et 157.1 ;
Que la Cour constitutionnelle à sa séance du 30 janvier a renvoyé le dossier au 06 Février 2025 pour rapport ;
Que toute cette situation et la célérité de la Haute juridiction sont perçues par une opinion importante nationale et internationale comme une tentative de coup de force constitutionnel en gestation en toute violation de l’abécédaire du droit constitutionnel et du procès constitutionnel ;
Que la requête de Monsieur Enock Christian est un réceptacle de violations de dispositions constitutionnelles et du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Qu’il revient dès lors à tout citoyen épris de paix et du respect des règles du procès constitutionnel de soumettre cet état de chose à la dextérité de la Haute Juridiction afin que le droit soit dit dans toute sa beauté conformément aux exigences constitutionnelles des règles procédurales devant la Haute juridiction.
DISCUSSION
Qu’il échet de discuter d’abord de la recevabilité et de la compétence de la Haute juridiction avant de discuter du bien-fondé de la présente action.
Sur la recevabilité de la requête
Que la présente action est initiée en vertu des articles 3 et 122 de la Constitution du 11 décembre 1990 modifiée par la loi N° 2019 – 40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi n° 9032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin et 28 de la loi 2022, articles 28, 35 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle ;
Que l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 modifiée par la loi N° 2019 – 40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi n° 9032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin dispose en son dernier alinéa :
« … Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » ;
Que les requérants sont tous des citoyens béninois qui défèrent devant la Cour une requête formulée par un citoyen en toute violation des dispositions de la Constitution ;
Que l’article 28 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que : « La Cour constitutionnelle est saisie par requête, dans les formes et suivant les modalités fixées au règlement intérieur » ;
Que l’article 28 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle précise que « la Cour est saisie par une requête. Celle-ci est déposée au Greffe de la Cour qui l’enregistre suivant la date d’arrivée. La requête peut être aussi déposée par voie électronique » ;
Que l’article 35 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que « De même, la Cour constitutionnelle est saisie soit par le Président de la République ou tout citoyen, association, organisation de défense des droits de l’Homme, des lois et actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, les violations des droits de la personne » ;
Que l’article 37 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose que « Tout citoyen peut, par une lettre comportant ses nom, prénoms et adresse précise, saisir directement la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois » ;
Que la présente action remplit toutes les conditions de recevabilité et de compétence posées par la Constitution, la loi organique sur la Cour constitutionnelle et le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Qu’il y a donc lieu de discuter de son bien-fondé.
Sur le bien-fondé de la requête
Que le peuple béninois puisant dans son passé tumultueux a réaffirmé avec vigueur en 1990 dans sa loi fondamentale son « …opposition fondamentale à tout régime fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel » ;
Que notre pays le Bénin a volontairement adhéré à une communauté de normes et de principes.
Que c’est ainsi que nous avons, dans le préambule de notre Constitution, réaffirmé « solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle » ;
Qu’en tant que juridiction constitutionnelle, comme nous l’enseigne Xavier Magnon, la Cour constitutionnelle est un organe indépendant en charge de résoudre les litiges portant sur la conformité à la Constitution ;
Que si le Professeur Magnon réduit cette résolution à la conformité de la loi à la Constitution, la Professeure Dandi Gnamou en ce qui concerne le contexte béninois, soutient que la Cour constitutionnelle est « un organe indépendant en charge de résoudre des litiges portant sur la conformité à la Constitution de dispositions, législatives ou réglementaires, d’actes ou d’omission » ;
Que l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 modifiée par la loi N° 2019 – 40 du 07 Novembre 2019 portant révision de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin dispose en son dernier alinéa :
« … Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » ;
Que la compréhension à avoir de cette disposition qui est une des deux portes d’entrée du requérant devant la Cour constitutionnelle est limpide et ne porte aucune sur une hypothétique possibilité de demande d’avis ou d’interprétation de dispositions constitutionnelles par les citoyens ordinaires comme l’a fait Monsieur Enock Christian Lagnidé dans sa requête ;
Que pour comprendre le fondement juridique de la demande d’avis, il importe de convoquer les articles 52 et 53 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle et 119 voire 100 et 104 de la Constitution ;
Que l’article 52 du Règlement intérieur de la Constitution précise que la Haute juridiction “donne ses avis dans tous les cas où son intervention est prévue par la Constitution et/ou par les dispositions législatives et réglementaires” ;
Que cette disposition porte sur le champ de compétence matérielle de la Haute juridiction en ce qui concerne les demandes d’avis ;
Que les dispositions à consulter en la matière sont entre autres les articles 100 ; 104 et 119 de la Constitution ;
Que à la suite de l’article 52 du Règlement intérieur de la Cour, l’article 53 précise que lesdits avis sont notifiés à “l’autorité” qui a saisi la Cour ;
Que le requérant Enock Christian Lagnidé n’est pas “l’autorité” à laquelle renvoie l’article 3 du Règlement intérieur de la Cour, ni aux yeux de l’article 53 du Règlement intérieur de la Haute juridiction ni aux yeux de l’article 119 de la Constitution en ce sens que Monsieur Enock Christian Lagnidé n’est pas Président de la République tel que prévu à l’article 119 ;
Que la lecture croisée de toutes les dispositions évoquées permet de conclure sans une aucune invention que l’autorité habilitée à saisir la Haute juridiction pour l’exercice initié par le requérant Lagnidé c’est bien le Président de la République;
Que lorsqu’une requête est adressée à la Cour en violation de cet abécédaire, la Cour rejette, en respect des textes sus-évoqués, ladite requête ;
Qu’hormis les dispositions de la Constitution et du Règlement intérieur qui ont toujours si bien délimité le champ d’action de chaque citoyen dans le procès constitutionnel ou les demandes d’avis, une petite lecture de la jurisprudence de la Cour conforte davantage cette position du Constituant béninois ;
Que le 14 février 2022 le Président de la CENA a saisi la Haute juridiction pour solliciter son avis sur les dates des élections législatives et que la Cour a rappelé que le Président de la CENA n’a pas les prérogatives de solliciter une demande d’avis de la Haute juridiction ;
Que le Président de l’Assemblée nationale un an plus tôt avait saisi la Cour constitutionnelle pour solliciter l’interprétation d’une disposition et que la Cour a déclarable la demande irrecevable au motif qu’il n’est pas de la prérogative du Président de l’Assemblée nationale de solliciter un avis pour interprétation ;
Qu’il échet de constater que le défaut de qualité est une condition limpide, constante et indiscutable de rejet des requêtes allant dans ce sens sans que la Cour ne puisse, par quelconque alchimie, aller au fond pour connaître de l’affaire.
PAR CES MOTIFS
Et tous autres à déduire, suppléer ou développer par devant la Cour, les requérants sollicitent qu’il plaise à la Cour de :
Sur la forme :
Se déclarer compétente
Déclarer la requête recevable
Au fond :
Constater que le Monsieur Enock Christian Lagnidé a violé la Constitution en ses articles 3 ; 35 et 122 ;
Dire et juger que la requête de Monsieur Enock Christian Lagnidé est irrecevable car violant les articles 3 ; 119 et 122 de la Constitution
ET CE SERA JUSTICE
SOUS TOUTES RESERVES
Pour Requête Respectueuse
Landry Angelo ADELAKOUN
Romaric ZINSOU
Miguèle HOUETO Fréjus ATTINDOGLO
Conaïde AKOUEDENOUDJE