(Lire l’entretien exclusif du coordonnateur de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes, Landry Hinnou)
Le 17 juin prochain, cela fera trois ans que les membres de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes ont été installés dans le cadre de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation. Dans l’entretien ci-dessous publié, le coordonnateur de ladite Cellule, Landry Hinnou, dresse le bilan d’environ trois années. Pour ce dernier, « la gouvernance de nos collectivités territoriales a gagné en qualité » de par les mécanismes mis en place pour mettre fin à l’impunité et séparer les fonctions politiques de celles administratives et techniques. Lire son entretien exclusif accordé à votre journal.
Le Matinal : Dans le cadre de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation au Bénin, il a été créé par décret, la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes (Cscgc). Quelles sont les missions assignées à cette structure rattachée à la Présidence de la République ?
Landry Hinnou : Dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation, le gouvernement a signé avec l’Association nationale des communes du Bénin (Ancb) un protocole d’accord pour en déterminer les modalités de mise en œuvre à savoir la catégorisation des Communes, la grille de rémunération des élus et agents communaux, les modalités de recrutement du personnel devant assumer les principales fonctions administratives et techniques ainsi que les principales règles de fonctionnement interne des Communes, la date de prise d’effet du nouveau dispositif, les modalités de contrôle de la gestion des Communes.
La création d’une Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes a été retenue d’accord-partie par le gouvernement et les Communes. Par le décret n° 2022-303 du 25 mai 2022 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes, modifié par le décret n° 2023 – 131 du 05 avril 2023, le gouvernement n’a fait que concrétiser cette volonté des deux parties.
La Cellule a donc pour principales missions d’œuvrer à la mise en place des outils indispensables à l’opérationnalisation de la réforme. Elle travaille entre autres, à identifier les goulots d’étranglement ou toute difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de la réforme. Elle propose des mesures correctives appropriées pour lever ces difficultés.
La Cellule assure en outre, le suivi et le contrôle de la gestion des Communes en donnant aux acteurs communaux, les orientations nécessaires pour le bon fonctionnement des Communes ; elle investigue sur les faits de mauvaise gouvernance. Lorsque ces faits sont avérés, la Cellule peut être amenée à prendre ou faire prendre par les autorités ou instances compétentes, les mesures conservatoires idoines.
Le 17 juin prochain, cela fera trois ans que les membres de la Cellule ont été installés suite à leur nomination en Conseil des ministres le mercredi 15 juin 2022. Quel bilan pouvez-vous faire du chemin parcouru ?
Notre mission est essentiellement une mission de coaching, de formation, d’appui et d’encadrement des acteurs chargés de la gestion des Communes. Nous développons des outils à l’usage de ces acteurs mais nous sommes également très présents à leurs côtés sur le terrain.
En trois années, la Cellule a multiplié des missions de terrain. La plupart des Communes ont reçu plus de trois fois les équipes de la Cellule pour des missions de coaching et de suivi qui impliquent aussi bien les cadres que les élus, aussi bien les services de la mairie que ceux des préfectures et des autres services déconcentrés de l’Etat. Nous nous assurons à travers nos descentes dans les Communes que les acteurs comprennent aussi bien la lettre que l’esprit du Code de l’administration territoriale. Nous nous assurons que la synergie nécessaire entre acteurs est réalisée. Nous veillons à ce que les règles et procédures de gestion administration soient respectées et nous outillons les acteurs pour ce faire. Nous veillons particulièrement à ce que soient disponibles et suivis les documents de planification prévus par les textes de loi.
Trois années d’existence pour la Cellule, c’est aussi trois années de formations déroulées au profit des cadres communaux et des élus sur une trentaine de thématiques pour une cible estimée à plus de cinq mille bénéficiaires.
Trois années d’existence pour la Cellule, c’est également les manuels de procédures financières et comptables des communes qui ont été rédigées, c’est le canevas type des rapports d’activités des secrétaires exécutifs réalisé, c’est la grille d’évaluation de la performance des communes que nous avons rendue disponible ; c’est beaucoup de documents types que nous avons réalisés et mis à la disposition des communes aux fins d’une gouvernance plus efficiente et plus moderne.
J’évoquerai notre initiative en ligne dénommée « Les jeudis de la réforme » qui nous permet de développer diverses thématiques liées à la gestion communale et de répondre aux questions des acteurs.
La Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes a imprimé en trois années d’existence la marque d’une rigueur et d’un sérieux qui ont permis de mettre davantage les cadres communaux au travail mais encore plus, de prévenir les faits de mauvaise gouvernance et lorsqu’ils surviennent, de les détecter et de les faire sanctionner par les instances appropriées.
Quel est le constat global qui se dégage ?
Les deux premières décennies de notre décentralisation ont été édifiantes et enrichissantes mais elles auraient pu être plus profitables à notre pays et à sa démocratie à la base s’il y avait eu une structure de suivi à l’instar de la Cellule. Les acteurs qui interviennent dans le secteur de la gouvernance locale ont aujourd’hui un interlocuteur. C’est un point positif de notre décentralisation surtout dans un contexte marqué par une réforme structurelle.
Les Communes sont-elles bien ou mal gérées depuis la réforme de la décentralisation ?
La réforme postule que l’impunité est une entrave majeure à la bonne gouvernance. Dans le contexte de nos anciens textes de lois, le maire homme politique concentrait à lui seul les pouvoirs politique et administratif. Il incarnait à la fois un organe politique et l’organe exécutif de la Commune. Cet état de choses ne favorisait pas particulièrement une gestion transparente et orthodoxe des Communes. Les rapports de missions d’audit aussi bien des fonds propres des Communes que ceux de partenaires en disent long sur l’état de la gouvernance des Communes dans ce contexte-là.
En prônant aujourd’hui une séparation des fonctions politiques de celles administratives et techniques, la réforme a créé des conditions plus propices à la reddition des comptes et à une saine gouvernance. Les cadres en fonction dans les Communes sont aujourd’hui punissables des faits de mauvaise gouvernance, ce qui n’était pas très aisé quand les élus étaient à la fois décideurs et responsables de l’exécution. C’est dire qu’aujourd’hui, la gouvernance de nos collectivités territoriales a gagné en qualité.
Cela dit, l’autre mission de la Cellule, c’est aussi d’assurer la veille, de faire les contrôles nécessaires pour déceler les cas de malversations et les sanctionner avec exemplarité, rigueur et pédagogie. En clair, nos Communes sont aujourd’hui mieux gérées et les conditions sont remplies pour qu’elles le soient davantage.
La mise en œuvre de la réforme via le contenu du Code de l’administration territoriale en République du Bénin rencontre-t-elle des résistances ?
Toute réforme appelle des résistances parce que la peur de l’inconnu nourrit méfiance et résistance. La réforme structurelle du secteur de la décentralisation n’a pas échappé à la règle. Dans la mise en œuvre de la réforme, nous travaillons aux côtés du gouvernement à rassurer les acteurs. Tenez, les élus qui avaient le sentiment d’avoir été dépouillés ont compris aujourd’hui qu’ils sont moins exposés parce qu’ils ne se retrouvent plus devant les cours et tribunaux pour répondre de faits de mauvaise gestion. La réforme a permis aujourd’hui de renforcer la représentativité des élus en les dotant d’attributs dignes de leurs fonctions et de leurs rangs. La résistance se dissipe très nettement de plus en plus pour faire place à plus d’adhésion.
Si oui, qu’a fait la Cellule pour les surmonter?
Les difficultés que nous rencontrons sont inhérentes à toute réforme. La Cellule accompagne chaque catégorie d’acteur pour mieux jouer sa partition parce que la Cellule n’a pas vocation à se substituer aux acteurs. Tout en en ayant pour leitmotiv la rigueur et la fermeté dans l’application des textes, nous privilégions le dialogue, le coaching et la formation au profit des parties prenantes pour surmonter les difficultés.
On a constaté une difficile cohabitation entre des maires et des secrétaires exécutifs. Des démissions et des cas de décès ont été enregistrés dans certaines Communes. Comment avez-vous vécu et géré tout cela ?
Je dirai de façon triviale que l’accès à la fonction de secrétaire exécutif n’est pas gage d’immortalité. Pour le reste, si des cas de décès provoqués sont avérés, la Justice est là pour situer les responsabilités.
Cela dit, on a noté, il est vrai, quelques rares cas de démission de secrétaires exécutifs pour convenance personnelle. Nous n’en faisons par un drame parce que les stipulations des contrats de travail de ces cadres prévoient et encadrent les démissions. Des cas de révocation par les voies règlementaires sont également enregistrés ; ils ne sont pas à banaliser même s’il faut dire qu’ils relèvent de l’ordre normal des choses.
Pour ce qui concerne la collaboration entre maires et secrétaires exécutifs, il faut reconnaitre que par endroits, elle a été tendue aux premières heures de la réforme. Aujourd’hui, les couloirs sont nettement tracés, les balises bien posées ; chacun connait ses attributions, ses prérogatives et ses obligations. Le maire est et demeure la première autorité politico-administrative de la Commune. Il préside le Conseil communal et le Conseil de supervision. Le secrétaire exécutif qui incarne l’organe administratif et technique, dispose d’attributions propres qu’il exerce sous le contrôle du conseil de supervision qui se réunit au moins une fois par mois pour examiner entre autres, le rapport d’activités du secrétaire exécutif. Trimestriellement, le Conseil de supervision soumet un rapport général d’activités au conseil communal.
Dans sa mission, la Cellule est parfois taxée de partie pris pour des maires. Est-ce une réalité ?
Si vous interrogez les maires, ils taxeront la Cellule de partie pris pour les cadres. Je crois que c’est un baromètre de notre impartialité. Notre seule partie pris est celui de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation et du Code de l’administration territoriale qui l’a consacrée. Notre seule partie pris est celui du développement des Communes, d’une planification de ce développement et d’une gestion saine des ressources.
Il s’est répandu par exemple dans l’opinion, l’idée selon laquelle la Cellule serait le bourreau des cadres du Fichier national des principales fonctions administratives et techniques des mairies. Mais à la vérité, et vous pouvez le vérifier auprès des acteurs communaux, nous faisons plus de l’accompagnement qu’autre chose. Nous travaillons à aider les acteurs à monter en compétence pour être à la hauteur du rêve et des aspirations des populations.
Quel est le rapport qui lie les Communes à la Cscgc?
La Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des Communes a pour mission d’œuvrer à la mise en place des outils indispensables à l’opérationnalisation de la réforme et d’assurer le suivi et le contrôle de la gestion des communes. Une telle mission consiste à s’assurer de la mise en place et du fonctionnement régulier des organes de la Commune, de l’appropriation par les acteurs des dispositions du code de l’administration territoriale à travers les formations, du contrôle de la gestion des Communes notamment du contrôle a posteriori.
Nous sommes pour ce faire dans une mission d’assistance conseil aux Communes et aux autres acteurs impliqués dans la mise en œuvre de la réforme. La relation qui nous lie aux Communes est plus fonctionnelle qu’autre chose.
La Cellule a-t-elle été saisie ou s’est-elle auto-saisie de cas de malversations ou de dysfonctionnements au niveau des communes? Si oui lesquels et comment les avez-vous traités ?
Ces cas sont légion et nourrissent le quotidien de la Cellule. Il serait fastidieux de les inventorier ici. Je puis dire que nous traitons des dysfonctionnements les plus simples jusqu’aux cas de malversations en passant par les conflits d’attributions ou les difficultés d’interprétation des dispositions du code de l’administration territoriale.
Les cas graves de malversations se soldent par des révocations soit en Conseil des Ministres ou à l’initiative des conseils de supervision et des préfets.
Que diriez-vous en guise de propos conclusifs à cet entretien?
La réforme structurelle du secteur de la décentralisation est une réforme majeure de la gouvernance du président Patrice Talon. Cette réforme renforce le rôle de l’élu dans la définition de la vision de développement de sa commune tout en confiant la gestion technique opérationnelle à des cadres qui justifient du profil adéquat.
Le Bénin a eu le mérite de sortir du carcan des formes classiques de décentralisation pour se doter d’un modèle qui tient compte de nos réalités et qui adresse efficacement les problèmes ou difficultés qui émergent des deux premières décennies de décentralisation.
Les conditions sont donc de plus en plus réunies pour l’essor et le développement de nos Communes.
Propos recueillis par Serge Adanlao