Si l’annonce de la revalorisation des salaires est venue comme mars en carême pour les travailleurs du secteur public qui n’espéraient pas mieux, les agents du privé, continuent pour leur part, d’espérer le miracle de la part de leurs employeurs. Pour beaucoup, le simple plaidoyer du gouvernement ne suffit pas pour déterminer le secteur privé à s’inscrire dans la même dynamique. D’où la nécessité d’aller au-delà.
Depuis le mercredi 7 décembre 2022, les travailleurs du secteur public béninois ont, dans leur quasi-totalité, retrouvé le sourire et pour cause. Le Conseil des ministres a validé les propositions du groupe de travail sur la revalorisation du point indiciaire, des salaires des agents du secteur public et du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). Du compte rendu du conclave ministériel, on retient que les travailleurs de la fonction publique vont bénéficier, dès la fin de ce mois, de nouvelles augmentations concédées sur leurs salaires. Si les choses sont formalisées du côté de l’Etat et que les agents savent désormais à quoi s’en tenir pour ce qui est de leur nouvelle situation salariale, ce n’est pas le cas du côté du secteur privé, où les travailleurs sont presque livrés au bon vouloir de leurs employeurs. Relativement à l’implémentation de la mesure dans le secteur privé, le seul point d’accord obtenu, si l’on s’en tient aux différents comptes rendus, est relatif au Smig pour lequel, le patronat aurait formellement marqué son accord de concéder une augmentation de 30%. En termes clairs, le Smig devrait désormais passer de 40.000 FCfa à 52.000 FCfa soit 12.000 FCfa de plus sur le montant actuel. Pour ce qui est des autres points, les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à faire varier le patronat sur sa position de ne pas procéder à une hiérarchisation des salaires. La question est laissée à la libre discrétion des employeurs. Statu quo également sur l’augmentation des salaires des agents du secteur privé où le gouvernement s’est juste contenté de lancer un appel aux travailleurs. L’extrait du compte rendu du Conseil des ministres est suffisamment évocateur sur le sujet. « Saisissant cette occasion, le gouvernement lance un appel au secteur privé afin qu’il se penche favorablement sur la question de revalorisation des salaires de ses agents. », peut-on lire en marge du point relatif à la revalorisation des salaires. Le même appel a été réitéré par le chef de l’Etat dans son discours sur l’Etat de la nation. En effet, le président de la République déclarait en substance : « Je voudrais ici devant vous, exhorter à nouveau les employeurs privés à observer le même élan, à faire comme l’Etat et à augmenter les salaires de leurs travailleurs. L’idéal serait que ce soit dans la même envergure que ce que nous venons de faire, peut-être même mieux voire plus. En tout cas, il serait bien pour nous tous, pour les uns et les autres, que ce ne soit pas seulement les travailleurs du public qui vivent l’enthousiasme de notre effort commun. Je voudrais donc, devant vous, m’adresser à tous les employeurs privés du Bénin pour leur dire qu’il est nécessaire que leurs travailleurs aient également leur part de notre croissance commune ».
Les travailleurs du privé livrés à eux-mêmes
Quoique salutaire, l’appel du gouvernement risque malheureusement de tomber dans des oreilles de sourds ou d’être un coup d’épée dans l’eau. Nul n’ignore en effet, la réticence des employeurs à procéder à des augmentations de salaire au profit de leurs employés. Beaucoup d’agents végètent dans une précarité légendaire en raison des conditions peu orthodoxes qui leur sont faites par leurs employeurs : défaut de contrat, défaut de déclaration à la Cnss en dépit du nombre d’années d’exercice de travail, défaut d’assurance maladie etc. En situation de faiblesse et par peur d’un licenciement, le travailleur évite d’aborder la question et se contente, des années durant, de son salaire de « catéchiste ». Or la logique voudrait que les agents soient rétribués à la hauteur de leur rendement ou sacrifice dans l’augmentation du chiffre d’affaires de la société. Pour certains employeurs, augmenter les salaires des agents, revient à créer des charges supplémentaires pour la société. Au regard de ce tableau, il est évident qu’un simple appel ou plaidoyer ne peut véritablement pas déterminer les employeurs à emboîter le pas au gouvernement. Celui-ci est dès lors appelé à transcender ce cliché et trouver des formules ou des mécanismes pour amener les employeurs à intégrer la dynamique qu’il vient de tracer. Cela pourrait passer par des facilités et autres conditions créées aux opérateurs privés dans l’exercice de leurs activités. Le résultat positif qui en sortira aura le mérite de permettre à une majorité confortable des travailleurs, d’apprécier et de bénéficier de l’impact de la mesure de revalorisation que le gouvernement vient d’accorder aux agents du secteur public qui, à la vérité, ne constituent qu’une infirme partie du monde des travailleurs, comparativement à leurs pairs du secteur privé.
Abdourhamane Touré