A son accession au pouvoir par le biais des alliances politiques en 2016, le chef de l’Etat, Patrice Talon, a estimé qu’il faut assainir le paysage politique national. La réforme engagée a permis d’accoucher en 2019 d’un système partisan qui promeut des partis politiques forts. Après quatre élections consécutives avec ce nouveau système, le résultat reste mitigé même si quelques avancées ont été notées. Il n’a pas permis par exemple d’empêcher la transhumance politique, les démissions et adhésions fantaisistes à la veille des élections. A l’analyse de cette situation, Romaric Lissanon, acteur politique dans la 23ème circonscription électorale et membre de l’Union progressiste Le renouveau (Up-Le renouveau), juge pertinente la réforme, mais reconnaît les tares qu’elle révèle. Dans un entretien accordé à votre quotidien, il propose des pistes de solutions.
Le Matinal : Dans quel contexte la réforme du système partisan a été opérée ?
Romaric Lissanon : La réforme du système partisan est intervenue suite au constat amer selon lequel l’environnement politique national est peuplé de plus de 150 partis politiques dont l’ultime but est de se mettre plein la poche. C’était un système qui profitait aux politiques et désavantageait le peuple. Ce système vicié, faut-il le rappeler, s’animait à travers uniquement le chef de parti politique. Autrement dit, les partis d’alors n’avaient ni militant convaincus ni base solide, encore moins une organisation sérieuse. Ils se limitaient aux chefs de parti qui sont en même temps les bailleurs et les décideurs. Du coup, ils orientent le parti au gré du vent pour se faire élire ou pour être nommés à un poste de responsabilité. Ainsi, à la veille d’une élection, les alliances, même contre nature se font juste pour avoir une place au soleil. Les accords qui sont faits avant la prise du pouvoir n’ont jamais été respectés. Il en résulte des frustrations au lendemain de la prise du pouvoir. Avec notre démocratie vieille de 33 ans, peut-on continuer avec un système du genre, et nous comparer aux grandes Nations démocratiques ? Je crois que non. Cela risque de s’écrouler, d’amener une rébellion et de conduire, à un moment donné, le pays au chaos, puisque l’idée sous-tendue par ce système était de privilégier les intérêts personnels, égoïstes et inavoués au détriment des intérêts du peuple. Le Bénin qui n’a pas de ressources minières, peut-il accepter d’asseoir son développement sur un système aussi bancal et faible ? J’estime que non. C’est en réponse à ces questionnements que le président Talon a eu l’ingénieuse idée de mettre de l’ordre en insufflant une nouvelle dynamique au système politique national.
Quel bilan peut-on déjà faire ?
Cette réforme permet aujourd’hui aux acteurs politiques que nous sommes d’avoir un programme de société et d’accompagner, si nous sommes dans la mouvance, le pouvoir en place et dans le cas contraire, de jouer effectivement le rôle de l’opposition constructive. Aujourd’hui, il fait son petit bonhomme de chemin même s’il y a des insuffisances à corriger. Comme bilan, c’est déjà très bien qu’au sein de notre parlement, nous ayons trois partis politiques. Ce qui n’était pas possible par le passé. Cela permet de mener réellement le débat du développement. C’est déjà une avancée que nous ayons trois formations politiques aptes à faire véritablement le job. Tout cela, pour emboîter le pas à la France, aux États-Unis où l’hémicycle et le Sénat sont des instances où se mènent des débats d’idées.
Quelles sont les failles que vous notez dans la mise en œuvre du système ?
Comme on le dit souvent, aucune œuvre humaine n’est parfaite. On aurait beau souhaité qu’il n’y ait plus de transhumance politique. Mais elle n’aboutira que si l’homme le déciderait puisqu’il en est la cause principale. Néanmoins, c’est aussi la preuve que le système partisan a réglé une partie de nos tares. Sinon, ces mécontents qui quittent un parti politique pour un autre seraient déjà devenus chefs de parti politique. Je voudrais faire allusion aux conditions de création d’un parti politique qui est l’un des verrous. Malgré cette petite barrière, nous pouvons avoir jusqu’à 100 partis politiques si nous le voulons. Mais, y a une autre barrière, la participation aux élections. Pour continuer avoir son existence légale, le parti politique doit participer aux élections et réussir à avoir 10% des suffrages pour enlever des sièges. Ce qui décourage ceux qui envisagent de créer un parti politique. C’est un acquis. Par rapport aux transhumants, c’est cela qui montre la vitalité de la démocratie. L’opinion publique ne peut pas regarder dans la même direction. Si, en tant que militant au sein d’un parti politique, vous ne vous retrouvez plus avec les idéaux défendus par ce dernier, vous êtes libre de changer de cap. Donc, le système partisan ne peut pas empêcher la transhumance politique.
Ce qui s’est produit récemment à Copargo n’est-il pas une faiblesse de la loi ?
C’est la loi qui n’est pas corsée à ce niveau. Ce que je déplore. Cela arrange, d’une part, mon parti politique, l’Union progressiste Le renouveau. Ce n’est pas parce que cela nous profite aujourd’hui qu’il faut s’en réjouir et laisser les choses en l’état. Tel que nous fonctionnons avec le système partisan, le parti qui a réussi à avoir une majorité au sein d’un conseil communal doit diriger cette Commune. C’est parce que le mode de désignation de l’exécutif donne raison aux dissidents. Si aujourd’hui, vous, ne vous retrouvez plus avec votre formation politique, l’honneur et la dignité de soi devraient vous amener à démissionner d’abord de votre avant de rejoindre votre nouvelle destination. Cela devrait être la règle. Je ne veux pas critiquer un parti politique ni les dirigeants. Le leadership politique incarné au sein de l’Union progressiste Le renouveau (Up-Le renouveau) a amené les militants élus ou non à avoir une discipline qui devrait être la règle. Un leadership associé du présidium au bureau politique en passant par la direction exécutive du parti. Dans cette condition, le parti parvient à maintenir ses militants dans une discipline. Si on a la connaissance de la loi et quand on a une conviction politique, la discipline doit primer, les gens devraient normalement se ranger. On ne devrait plus regarder les hommes, mais plutôt le parti qui nous a permis d’être là. Et pour l’enracinement du parti, il faut le préserver et non le détruire à l’interne si non, le parti risque de perdre son hégémonie sur la Commune. Ce sont des choses qu’il faut corriger. Exclure les rebelles des partis politiques, sanctionner avec la dernière rigueur histoire de montrer aux militants qu’ils ne sont pas au-dessus du parti. Cela va servir de leçon à d’autres. La loi ne leur donne pas l’occasion. Si aujourd’hui on veut sanctionner un conseiller communal fautif, il quitte son parti et les bras ouverts, il est accueilli par un autre parti. Ce sont des agissements qui dénaturent le principe cardinal du système partisan. Cela signifie que la culture du vrai militantisme n’est pas au sein des partis politiques.
Quelles approches proposez-vous?
Si j’ai une proposition à faire pour corriger les tares et améliorer cette loi, c’est d’abord de maintenir le critère des 10%. Il faut que par la loi, le transhumant, s’il est un élu, renonce à son poste en vue d’assumer son acte. S’il est nommé par le biais du parti, celui-ci récupère le poste si le militant n’est plus en odeur de sainteté avec lui. Les responsables politiques doivent aussi vulgariser la loi sur les partis politiques en vue de requérir l’engagement et le militantisme de ses membres.
Avec le système partisan, peut-on dire que nous avons aujourd’hui des formations politiques fortes au Bénin ?
A l’étape actuelle, les partis politiques ne sont pas encore forts. Si le système partisan prend réellement corps, on saura clairement le parti qui a envoyé tel ou tel au gouvernement, à l’Assemblée nationale ou dans telle institution de la République. C’est la gestion du pouvoir d’Etat. Cela devrait rendre plus forts les partis politiques, parce que l’envoyé au sein des institutions sait qu’il a une obligation de reddition de compte. Et quand il fait mal, c’est qu’il est en train de noircir l’honneur ou l’image du parti. Ainsi, il peut être à tout moment rappelé. C’est comme un ambassadeur qu’on envoie à une mission. L’ambition du chef de l’Etat, Patrice Talon, quand il mettait en place cette réforme, c’est qu’après lui qu’un parti politique puisse prendre le pouvoir. Pour parvenir à cette fin, il faut quelqu’un sorti de l’ancien système comme lui pour pouvoir régler cela. Je pus vous dire que Patrice Talon a bien joué ce rôle en ayant cette vision de mettre en place le système partisan.
Propos recueillis par Zéphirin Toasségnitché (Br Zou-Collines)