La page culture de votre quotidien « Le Matinal » se consacre à une profession plus ou moins abstraite dans le domaine cinématographique ; la réalisation. Dans une interview à nous accorder, Samson Kokou Adjaho l’un des réalisateurs du Bénin revient sur ce métier très noble qui retrouve progressivement ses lettres de noblesse au Bénin. Lisez !
Le Matinal : Quels sont les rôles d’un réalisateur et quelles sont les qualités, aptitudes ou atouts dont il doit disposer pour exercer ce métier ?
Samson Kokou Adjaho : Plus globalement, un réalisateur est un artiste qui sait utiliser des éléments techniques pour donner aux spectateurs des émotions précises, à travers son film. Pour faire simple, s’il cherche à faire pleurer le public et parvient à agencer mise en scène, jeu de son acteur, mouvements de la caméra, valeurs de plan, musique de manière harmonieuse au point de réussir à le faire sans que ce public n’ait conscience que c’est un film, c’est qu’il est un vrai réalisateur. Parlant d’atouts, il doit être très cultivé, à l’affut de faits divers, de lectures diverses, dé vécus de tous genres. C’est important parce que l’énergie et l’impact qu’auront ses œuvres dépendront en grande partie de son capital expérience et bien sûr de son talent.
Quelles sont les grandes difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre profession ?
La plus grande difficulté est qu’en Afrique francophone et surtout au Bénin, beaucoup considèrent le métier de réalisateur comme une sinécure au point où tout le monde se prétend réalisateur. Conséquence, beaucoup de films manquent de sensibilité et de profondeur.
Quelle est la relation que le réalisateur doit entretenir avec les acteurs et chaque acteur de la chaîne cinématographique ?
Le réalisateur travaille avec toute une équipe. Il y a le pôle mis en scène dans lequel il y a les assistants-réalisateurs, la script; il y a le pôle production avec le producteur délégué, le producteur exécutif avoir qui il échange beaucoup pour avoir le bon rapport qualité-prix de l’œuvre. Il va beaucoup discuter avec le régisseur sur les autorisations de tournage, l’obtention des décors etc. Il va travailler également avec le pôle (habillage, maquillage, coiffure) pour parler de tout ce qui a trait à ces trois domaines. Il va travailler avec le Directeur de la Photographie qui est le responsable de la lumière et du cadre. Le Directeur de la photographie a sous lui le chef-cadreur pour le cadre, le chef-électro et le chef-machiniste pour tout ce qui est machinerie. Il va beaucoup travailler aussi avec l’ingénieur son parce que le son est très important au cinéma.
En votre qualité de réalisateur, dans combien de pays avez-vous déjà travaillé et donnez-nous les titres de quelques productions cinématographiques que vous avez déjà réalisées tout en nous rappelant comment se fait la sélection d’un réalisateur pour un tournage ?
En tant que réalisateur, le voyage est consubstantiel au métier que nous faisons et le travail peut nous emmener dans n’importe quel pays du monde. J’ai eu la chance d’aller plusieurs fois en Europe, en Asie, j’ai fait beaucoup de pays africains aussi. Et c’est parfois pour les tournages, la post-production, ou pour les festivals. Professionnellement, un réalisateur est choisi par un producteur. Quand un producteur a devant lui un projet de film, il prend un réalisateur parce qu’il sent que ce dernier a des aptitudes artistiques et techniques de pouvoir diriger le film et le charger d’un maximum d’émotions. Souvent au Bénin ou en Afrique de l’Ouest, les réalisateurs sont en même temps producteurs, ce qui n’est pas une très bonne chose.
Avez-vous reçu des distinctions au cours des festivals pour le travail que vous abattez dans le paysage cinématographique depuis des années ? Si oui, lesquelles ?
Oui j’en ai eu quelques-unes. Ce qu’il faut savoir, c’est que les distinctions dans la vie d’un artiste ou d’un réalisateur le placent dans une position de défi. C’est-à-dire que les projecteurs sont désormais braqués sur lui et il a le défi d’aller de succès en succès. Le plus important n’est pas de gagner des prix. Le plus important, c’est d’aller de succès en succès tout en gardant le même enthousiasme.
Nous constatons aujourd’hui que comparativement à il y a quelques années, le secteur du cinéma a connu une grande révolution avec le matériel, les acteurs et autres. Comment arrivez-vous à vous conformer aux normes internationales pour répondre aux exigences des maisons de production et des cinéphiles
Quand vous parlez de normes internationales, ce sont non seulement des standards qui codifient le secteur depuis des siècles et que tout professionnel doit connaitre, mais aussi les fréquentes innovations dans le secteur et auxquelles il faut s’adapter. Le milieu de l’audiovisuel est très dynamique et tous les six mois, il y a de gros changements ; un réalisateur doit donc être en formation permanente pour s’actualiser. Ce n’est que de cette façon qu’on est à cheval sur les standards internationaux. Avec les nouvelles dispositions du gouvernement, les différentes compétences qui aujourd’hui s’installent dans l’écosystème cinématographique béninois, les différentes réformes qui sont en train d’être mises sur pied et des télévisions qui sont de plus en plus exigeantes, il y a une sélection naturelle qui va se faire. C’est sûr parce qu’il y a des exigences que les incompétents ne pourront pas fournir.
Revenons au cas du Bénin dont vous êtes originaires. Faites nous en quelques lignes l’état des lieux en matière du secteur de la réalisation.
Vous savez, le réalisateur son instrument principal, c’est le cerveau. Il n’a pas un instrument matériel palpable comme le cadreur qui a sa caméra, etc….donc les gens pensent qu’être réalisateur, c’est facile. Et tout le monde se prétend réalisateur. Ils voient le type assis qui donne des ordres aux acteurs et techniciens et se disent c’est facile je peux le faire. Ce qu’ils oublient est que derrière ce tableau qu’ils peignent du réalisateur, il y a son cerveau qui carbure au nec plus ultra. Et croyez-moi, c’est le sport le plus dur sur un plateau. Ce n’est pas pour rien qu’on lui donne le droit de signer le film.
Pensez-vous que le travail du réalisateur est vraiment reconnu à sa juste valeur ?
Evidemment non, ni sur le plan moral, ni sur le plan financier. Après ce que je vous ai expliqué plus haut, c’est la responsabilité des acteurs du secteur qui laissent traîner en leur sein des incompétents. Par ignorance, on ne reconnait pas le travail du réalisateur à sa juste valeur. Dans tous les domaines, ça a été comme ça et dans certains domaines, les acteurs se sont battus pour réorganiser le secteur. Donc le défi nous appartient de nous battre pour réorganiser notre secteur, on ne va pas rester là à nous plaindre .Si on veut que demain, le réalisateur soit considéré comme un véritable ambassadeur, un artiste qui représente le Bénin dans le monde, ça dépendra des réalisateurs eux-mêmes, du respect qu’ils donnent à leur propre métier. Il faut travailler dur et se battre pour la corporation ensemble pour que, dans quelques années, le métier soit considéré comme un métier noble.
Comment le réalisateur peut selon vous contribuer de nos jours à la valorisation de l’écosystème culturel au Bénin ?
Pourquoi appelle-t-on le cinéma le 7è art ? C’est le carrefour des arts. C’est-à- dire que pour faire un seul film, vous avez besoin des écrivains, des chorégraphes, des plasticiens, des musiciens, des acteurs etc. C’est un métier qui assemble toutes les sensibilités artistiques. Pour faire un seul film, il faut un maximum d’émotions et si tant est que le réalisateur est celui qui coordonne justement toutes ces sensibilités autour d’un projet de film, vous voyez bien qu’il joue un rôle central dans l’expansion de l’écosystème culturel. Car en un seul film qu’il réalise, il partage sa vision avec les autres membres de son équipe, il va les pousser à se surpasser, et à apporter chacun leur sensibilité pour faire de cette œuvre cinématographique un chef-d’œuvre.
Quels sont les autres métiers compatibles avec celui du réalisateur ?
De par sa dimension transversale, le réalisateur peut être aussi producteur, acteur, monteur, compositeur de musique etc. Le plus important est que cela n’empiète pas sur la qualité du travail qu’il va accomplir de chaque côté. Dans plusieurs pays où le cinéma a fait ses preuves, des réalisateurs occupent plusieurs postes à la fois, mais ils ont suffisamment du coffre pour pouvoir relever les défis de tous les côtés. Mais ici, souvent, on s’improvise à la fois réalisateur, acteur, scénariste, producteur, et ça se ressent dans la qualité de nos films.
Votre mot de fin.
Je vous remercie pour cette occasion qui m’est offerte et qui me permet de mettre en lumière encore une fois le travail du réalisateur. Car sous nos cieux, par son caractère un peu abstrait, il reste un métier incompris et mésestimé.
Propos recueillis par Mohamed Yasser Amoussa (Coll)