La consommation de l’alcool en sachet est une menace aussi bien pour la santé publique qu’individuelle. Tychique Nougbodé, spécialiste en santé alerte et prévient dans cette interview accordée à Le Matinal.
Le Matinal : Dans quelle mesure la consommation de l’alcool en sachet contribue-t-elle aux problèmes de santé publique ?
Tychique Nougbodé : D’abord, la prolifération de ces substances sur les étalages de commerce un peu partout dans nos cités, augmente la fréquence de consommation surtout au niveau des jeunes et dans plusieurs cas, ces jeunes finissent par développer une dépendance ou une addiction. Le prix relativement bas de ces sachets de boissons et la fait que les mesures, les règles et lois qui encadrent la commercialisation de ces produits ne sont pas toujours respectées par les citoyens, va aussi contribuer à un accès facile à ces sachets d’alcool, d’où la consommation à grande échelle. De là, il faut s’attendre à une flambée des maladies liées à la consommation d’alcool : les cardiopathies, les maladies du foie…Plus grave, ces substances psychotropes vont être la source de plusieurs vices dans la société tels que la violence des jeunes, les meurtres, les émeutes, la désinvolture, la conduite en état d’ébriété cause des accidents.
Existe-t-il des données sur la prévalence de la consommation d’alcool en sachet et ses effets sur la santé dans votre région ?
Ces données existent, mais pour des questions liées au code en vigueur sur l’audiovisuel, la source de l’information, sans oublier les lois de la République, nous ne pouvons vous citer une source sans son autorisation au préalable. Cependant, les données existantes témoignent que le phénomène prend de l’ampleur de jour en jour et il faut que les mesures de contrôle des produits alcoolisés soient respectées de tous, et que les autorités compétentes engagent une répression forte contre la prolifération de ces sachets d’alcool.
Quelles sont les populations les plus vulnérables à la consommation d’alcool en sachet ?
C’est malheureusement les jeunes de 15 à 49 ans en majorité et les seniors de plus de 50 ans qui viennent au deuxième rang. Cela affecte la santé individuelle déjà avec ce qu’on a décrit plus haut. En termes de santé publique, il faut dire que ces jeunes constituent la force de la nation. Mais s’ils sont en proie à ces pathologies, c’est que le développement du pays se trouve menacé. Aujourd’hui, ces sachets d’alcool sont en train de devenir la première forme d’alcool vendue (devant les boissons embouteillées). Pour prévenir les maladies liées à l’alcool, il faut d’abord réduire la consommation de l’alcool à l’échelle du pays, et lutter contre la vente de ces sachets.
Quelles politiques ou interventions de santé publique sont les plus efficaces pour réduire la consommation d’alcool en sachet et ses conséquences néfastes ?
Les interventions sont multiples et fonction de la configuration de la population. D’abord, il faut renforcer les lois, règles et normes sur l’importation, la distribution et la commercialisation des produits alcoolisés et les appliquer. Spécifiquement pour ces sachets, il faut tout simplement les interdire sur l’étendue du territoire national et réprimer les vendeurs qu’ils soient grossistes ou détaillants. Il faut taxer à la hausse tous produits alcoolisés et corser son entrée sur le territoire national. Il faut sensibiliser la population sur le danger que porte la consommation d’alcool. Il serait aussi bien de soutenir les initiatives de reconversion des alcooliques chroniques et lutter contre la dépendance et promouvoir les centres adaptés en addictologie.
Comment les gouvernements et les organisations de santé publique peuvent-ils sensibiliser davantage aux risques liés à la consommation d’alcool en sachet et encourager des comportements plus sains ?
La sensibilisation aura plusieurs modalités. Il s’agira d’une communication de masse visant à informer et éduquer sur le sujet, des communications ciblées, en fonction des zones où le phénomène sévit le plus, et dans les groupes de buveurs chroniques. Il faut également les communications individuelles pour le changement de comportement, qui seront faites le plus souvent dans les centres adaptés que sont les centres d’addictologie, les centres de santé, les centres dédiés aux jeunes, les pensions, les prisons…. La sensibilisation doit être imagée (images géantes à travers le pays) audiovisuelle (télés et radios communautaires) et digitale (réseaux sociaux). La sensibilisation sur toutes ses formes visera un changement de comportement et l’adoption de meilleures habitudes face à l’alcool et plus spécifiquement face aux sachets d’alcool.
Y a-t-il des défis spécifiques à la réglementation de la vente d’alcool en sachet par rapport à d’autres formes d’alcool, et quelles sont les approches les plus efficaces pour relever ces défis ?
Oui bien-sûr. Le tout est dans le fait que les sachets d’alcool sont à petit prix et très accessible aux jeunes, et ils le resteront si les mesures citées plus haut ne sont pas mises en application. Le défi, c’est le prix et l’accès au sachet. La mesure la plus efficace, c’est le renforcement des lois, règles et normes et surtout l’interdiction de cette forme d’alcool sur l’étendue du territoire national. Pour ça, les services compétents comme la douane, les forces armées et autres devront être mobilisés pour une réelle répression.
Quelles sont les principales failles dans la recherche sur l’alcool en sachet et quelles sont les questions clés qui devraient être explorées à l’avenir ?
La consommation d’alcool en sachet est un fait. Et s’il doit y avoir une recherche scientifique dans ce sens, ce sera de comprendre pourquoi les jeunes s’y adonnent si tant. C’est simple, c’est la pauvreté, le chômage des jeunes, le stress, le niveau d’instruction des jeunes, le manque de moyens surtout financier etc. Et c’est en ça que la consommation de ces sachets d’alcool à grande échelle devient un problème de développement. Et donc, nous proposons aux chercheurs de se pencher sur ces questions qui rendent la vie dure aux jeunes et les poussent dans la dépendance à l’alcool.
Comment les professionnels de la santé peuvent-ils mieux soutenir les personnes qui consomment l’alcool en sachet pour réduire les risques pour leur santé ?
D’abord, il faut faire la promotion des centres d’addictologie, des adaptés aux jeunes. Ensuite, investir pour la formation des personnels pour les qualifier dans la gestion des cas de dépendance (les psychologues, les addictologues, les psychiatres, les médecins, les infirmiers qualifiés..). Il faut que les professionnels de santé maitrisent correctement l’orientation des sujets vers la structure adaptée au cas présenté. Puisque la question de la consommation de l’alcool en sachet est devenue communautaire, il faut faire la promotion des groupes de soutien communautaire (aux consommateurs chroniques) et leur suivi.
Quel message avez-vous à lancer aux décideurs politiques et aux professionnels de la santé concernant la consommation d’alcool en sachet et ses implications pour la santé publique ?
Je voudrais leur dire qu’il est temps de dire non à l’alcool dans notre pays. Je les invite à prendre des mesures radicales d’interdiction de son importation et de répression des vendeurs. De même, je les appelle à intensifier la sensibilisation telle que décrite plus haut. En cela, nous serons sûrs de laisser aux générations qui viennent, un Bénin plus heureux.
Propos recueillis par Estelle Vodounnou (Coll)