Elle est assurément l’une des étoiles montantes de la gent féminine en politique. Elue députée à la faveur des Législatives du 8 janvier 2023 dans la 12ème Circonscription électorale constituée des Communes de Dogbo, Lalo et Toviklin, Natacha Kpochan Razaki reste une femme engagée qui concrétise un rêve de jeunesse. Même si elle reconnaît que des efforts ont été faits depuis 2016 pour favoriser une meilleure représentativité de la femme dans les instances politiques, Natacha Kpochan entend mener le combat pour aller plus loin dans cette dynamique. Dans une interview exclusive accordée à « Le Matinal », l’ancienne cadre du ministère du Cadre de vie et du développement durable, dévoile son parcours et lève un coin de voile sur ses défis pour la 9ème Législature. Lire ses propos.
Le Matinal : Du Ministère à l’Assemblée nationale, pourquoi cette option ?
Natacha Kpochan Razaki : C’est un fabuleux coup du destin. Servir l’Etat à ce niveau de responsabilité dans l’exécutif est un privilège, mais représenter le peuple est une grâce. Bien souvent, il ne s’agit pas de choix entre telle ou telle position. Que ce soit l’un ou l’autre, c’est une page de la vie qu’il faut savoir ouvrir mais aussi savoir fermer.
Qu’est-ce qui vous a motivée à entrer en politique ?
« Le Bénin leur appartient à eux aussi » ! Quand j’étais beaucoup plus jeune, devant des cas d’injustice et de pauvreté flagrante, je disais souvent, le Bénin leur appartient à eux aussi. J’avais toujours l’impression qu’il y avait une certaine injustice, voire « escroquerie » de l’élite vis-à-vis de nos concitoyens des zones rurales, et qu’il fallait bien des gens pour dénoncer et les faire entendre. Avec le temps, j’ai relativisé. Cette perception de l’élite. Mais je pense toujours qu’il faut porter la voix des plus faibles.
Parlez-nous de vos premiers pas dans la politique. Comment-est ce que cela a commencé ?
Dans ma famille, suivre le journal télévisé était une obligation et commenter l’actualité, une activité. Mais le virus de la politique m’a piquée plus sérieusement en classe de seconde où mes professeurs de français et de philosophie étaient des critiques du pouvoir en place. Alors, à chacun de leur cours, il fallait que je me prépare avec un petit groupe de camarades pour les débats. Ce groupe commentait l’actualité et chacun de nous s’est rapproché d’un parti politique. J’étais sympathisante de l’ex-Parti social démocrate (Psd). Après les études, je suis entrée dans la vie active et plus tard, je suis retournée à la politique, beaucoup plus activement.
Alors, en politique, tout est rose pour les femmes ?
En politique comme ailleurs, rien n’est aisé, il faut travailler, mais plus particulièrement en politique, quand on est femme, il faut travailler avec acharnement. Tout le monde est exigeant vis-à-vis de vous, d’abord vos parents, vos proches, ensuite la société.
Parlez-nous d’un évènement qui vous a marqué en politique depuis vos débuts ?
L’élection du président de l’Assemblée nationale en 2015 et la Présidentielle de 2016. Entre ces deux élections, j’ai éprouvé la fragilité de tout l’édifice politique de notre pays : élire le président de l’Assemblée nationale à une voix près, interpelle. Et depuis lors, l’une de mes préoccupations, c’est comment contribuer à bâtir de grandes majorités.
Quelles ont donc été les difficultés rencontrées dans votre parcours politique ?
Quand vous êtes une jeune femme, une jeune maman, une jeune employée, la question de la disponibilité est une problématique majeure. Cette question de disponibilité se pose davantage aussi bien aux femmes qu’aux hommes mais de toutes les façons, il n’y a pas d’œuvre sans difficultés et je perçois les difficultés comme un appel au dépassement de soi.
Autour de vous, qui sont ceux qui vous ont tenu la main ?
En politique comme dans l’alpinisme, vous savez, il faut toujours un guide et j’ai eu la chance d’en avoir eu sur le chemin, un des meilleurs qui soient. C’est le président Bruno Amoussou.
Qu’avez-vous à dire aux filles et femmes qui ont peur d’aller en politique à cause des intrigues, des guerres de leadership et autres ?
Il y a tout aussi d’intrigues au marché, dans l’administration publique et privée et dans les familles à la différence qu’en politique, les femmes sont moins nombreuses dans le jeu. Je pense qu’il faut juste se forger une bonne carapace et avoir conscience que parfois c’est une question de temps et de patience et d’autres fois de rapports de forces.
Est-il facile de combiner vie de femme au foyer et vie politique ?
Vous voulez parler de vie familiale, vie professionnelle et engagement politique ? Non, ce n’est pas facile, mais c’est une question d’organisation et d’accompagnement de votre famille. Il y a toujours un prix à payer en termes de disponibilité mais une bonne organisation vous permet d’assurer vos différentes fonctions, sociale, professionnelle et politique.
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes dans les instances de décision. En témoigne le nombre d’élues femmes au Parlement. Ne craignez-vous pas un conflit avec les hommes ?
Il n’y a pas encore suffisamment de femmes dans les instances de décision mais nous observons depuis 2016, une volonté politique manifeste qui a permis une amélioration de la représentation des femmes. Je salue cette avancée et souhaite qu’on aille plus loin. Un conflit avec les hommes, c’est possible, l’activité sociale, l’action politique sont des lieux privilégiés de conflits. Les conflits hommes femmes ne constituent qu’une forme marginale. Vous convenez avec moi que les conflits de valeurs sont plus importants et structurent davantage les relations sociales et la vie politique que des conflits de genre en politique.
Quel est votre défi pour cette Législature ? Une loi à porter au cours de votre mandat ?
Ma priorité pour la mandature est de marquer davantage l’orientation progressiste majoritaire à l’Assemblée nationale à travers la relecture ou le vote d’un certain nombre de lois renforçant la justice sociale. Par exemple, l’instauration d’une meilleure représentation des femmes dans les Conseils communaux, le renforcement de la discrimination positive en faveur des femmes par rapport à l’âge limite d’accès à la fonction publique et à la retraite, des mesures fiscales spécifiques pour renforcer l’entrepreneuriat féminin.
Et si on s’amusait un peu à vous demander les valeurs qui vous déterminent ?
L’humilité et la discipline sont des valeurs auxquelles je tiens.
Entre le sports, les loisirs, la lecture, la musique… quelle est votre préférence ?
J’aime le football féminin et la musique Gospel.
Si on devrait vous offrir un plat, lequel vous fera plaisir ?
Je renouvelle mes énergies en mangeant avec plaisir la pâte de maïs à la sauce crincrin au poisson.
Un mot à l’endroit des femmes qui vous liront
Je voudrais dire à toutes les femmes et surtout à toutes les jeunes filles de quelque condition que ce soit que tout est possible, tout est davantage possible aujourd’hui, avec un peu de détermination et beaucoup de conviction, ce qui doit être sera, et il s’agit de le construire.
Propos recueillis par Estelle Vodounnou (Coll)