Les défis de la prochaine législature au Bénin (la 9ème) sont colossaux à la mesure des attentes exprimées par le peuple lors du scrutin législatif du 8 janvier dernier. Acteurs politiques, politologues membres de la société civile et syndicalistes lèvent un coin de voile sur ces défis qu’ils souhaitent voir cette mandature parlementaire de transition relever. Lire leurs opinions.
Casimir Kanakin, acteur politique : « Il faudrait qu’il y ait un débat budgétaire équilibré »
« La 9ème Législature a de grands défis à relever surtout en matière de proposition et de vote de lois puis de contrôle de l’action gouvernementale. Il faudrait qu’il y ait un débat budgétaire équilibré qui va dans le sens du développement de la Nation et non dans le sens de la destruction du pays. Nous attendons une cohésion dans la diversité, un respect mutuel de tous les camps aussi bien de la mouvance que de l’opposition. Que les parties se disent que le défi commun à relever, c’est celui de l’unité nationale, de la paix, de la sécurité interne et du bien-être de toute la population. Nous attendons des lois qui vont permettre à l’économie de prospérer, d’avoir une bonne santé, de vivre en paix et permettre au ministre des Finances d’avoir des budgets à bonne date pour exécuter les différentes politiques de développement inscrites dans la vision du président Talon. Que cette Législature composée de 109 députés avec 28 femmes apporte quelque chose de novateur comparatif aux Législatures passées. Il faudrait que les députés élus aient plus de performances dans l’exécution de leurs tâches, d’innovation et qu’ils posent des actes qui vont dans le sens du développement. Il ne faudrait pas que ce soit une Législature qui met le bâton dans les roues de l’Exécutif en attaquant le chef de l’Etat. Il faudrait faire en sorte que les autres pays de la sous-région puissent nous copier et que les partenaires puissent continuer à accorder leur confiance en notre cher et beau pays dans la paix totale. Le Parlement à venir doit œuvrer à doter le gouvernement de moyens nécessaires pour écarter la menace terroriste. La jeunesse attend beaucoup de cette Législature. Les députés doivent proposer des lois qui vont dans le sens de l’allègement de la souffrance de la population, de la protection des enfants et des jeunes, de la croissance de l’emploi et du développement, de la réduction de la pauvreté, des lois qui garantissent l’intégrité du territoire national. Nous voulons des lois qui vont permettre à notre pays d’être un pays uni et d’amour dans la diversité d’idées, qui puissent permettre au chef de l’Etat de conduire son mandat à bon port jusqu’en 2026 ».
Gilles Gohy, enseignant, politologue : « Les 28 femmes de cette Législature n’ont pas le droit de démériter »
« Je crois qu’il y a deux défis majeurs pour la neuvième Législature. Le premier défi majeur est de promouvoir résolument la dynamique de la continuité pour le renforcement continu de la démocratie béninoise et de la bonne gouvernance. Le second est que les 28 femmes de cette Législature n’ont pas le droit de démériter. Elles doivent plutôt quotidiennement œuvrer à la promotion socioéconomique des femmes vulnérables et défavorisées en favorisant la réduction sensible de la précarité notable des femmes diplômées sans emploi, en faisant des propositions de lois spécifiques pour des projets/programmes de développement en faveur de ces femmes, dans une logique évidente de discrimination positive. Elles doivent enfin lever toutes les barrières et tracasseries diverses qui empêchent ces femmes de poursuivre leurs études supérieures et d’évoluer pour quitter leur précarité. »
Adé Fidégnon, acteur de la société civile : « La neuvième Législature est indicateur d’intégration »
« Symbole de l’équilibre national avec l’entrée de l’opposition radicale (Les démocrates) au Parlement, la neuvième Législature est indicateur d’intégration, d’adhésion aux réformes précédemment rejetées par cette même opposition qui n’a pas voulu rentrer dans le nouveau moule institutionnel d’où la mouvance plurielle comme tendance unique de la défunte huitième Législature. Non seulement nous avons le retour tant souhaité de l’opposition à l’Assemblée nationale mais également la présence remarquable voire historique de la gent féminine. Toutes ces sensibilités augurent d’une neuvième Législature laborieuse au service des contrées, des sans-voix en vue de lois qui reflèteront la volonté du peuple dans son aspect holistique. »
Joël Atayi Guèdègbé, acteur de la société civile : « Donner à la population la pleine mesure d’une Assemblée utile »
«Fondamentalement, c’est un Parlement de transition qui n’a pas beaucoup de temps. Donc, en moins de trois ans, il faut savoir gérer le temps pour marquer son passage. Or, plus de la moitié de cette Législature est composée de nouveaux députés qui vont devoir aller à l’école de la vie parlementaire. Donc, il y a un temps pour s’imprégner de cela. On ne s’improvise pas parlementaire du jour au lendemain. Il y a une technique, une démarche, une attitude. Il y a un peu de tout ça l’un dans l’autre entre les anciens et les nouveaux pour que la mayonnaise prenne. Pendant ce temps, le gouvernement ne saurait rester les bras croisés. Le chef de l’Etat ayant été élu il y a deux ans devant exécuter son programme, a besoin des moyens politiques et législatifs de l’Assemblée nationale. Il est vrai qu’il dispose manifestement d’une majorité, ce qui à priori lui facilite la tâche. Donc pour moi, le premier défi, c’est celui de s’approprier les outils législatifs, se mettre en phase avec le gouvernement sans tomber dans la collusion des institutions, ni dans la volonté de bloquer et d’obstruer systématiquement l’action gouvernementale pour ceux qui sont dans l’opposition. Ce qui reste légitime et réel.
Ensuite, l’Assemblée nationale, à travers la conférence des présidents qui regroupe un peu tout le monde, doit pouvoir décider grossomodo de la marche à suivre, de la manière d’organiser le travail et doit pouvoir faire des arbitrages. Il y a forcément des dossiers qui attendent déjà en termes de projets de lois qu’on n’a pas fini d’étudier dans les différentes commissions. Je ne sais pas comment elles vont être recomposées, les différentes commissions. Je parlais de technique parlementaire. C’est vrai que les uns et les autres doivent donner leur pleine mesure. Une fois cela fait et cerné, l’autre urgence qui est primordiale, c’est qu’il n’est pas interdit aux députés de prendre l’initiative des lois, au contraire, on les attend sur ce terrain pour se signaler politiquement. Mais davantage on attend encore d’eux, qu’ils s’intègrent rapidement dans le contrôle de l’action gouvernementale. Et là, je parlais de maîtrise des techniques parlementaires. Ne pas le comprendre pourrait égarer les uns et les autres. Il y a certaines limitations prévues par la Constitution et le règlement intérieur au contrôle de l’action gouvernementale sans qu’il s’agisse d’un refus du gouvernement, donc ne pas le maitriser pourrait amener l’Assemblée nationale à passer à côté de son sujet. Il y a des chances que d’ici un an au plus, cette Assemblée atteigne sa vitesse de croisière et ne perde pas son temps uniquement sur les lois à caractère politique. Même s’il faut corriger certaines lois, même s’il faut aller à la discussion sur ce qu’il y a lieu de faire à côté des lois décidant des élections. Il y a quand même des aménagements à apporter au Code électoral. Très rapidement, je songe à un conflit de compétences qu’il faut prévenir entre le Conseil électoral et la Direction générale des élections. Au-delà de ça, il y a peut-être des choix forts à faire ou des orientations fortes s’agissant des élections à venir. Je n’apprends rien à personne en disant que nous avons trois élections sur trois mois au cours de la même année. Donc, aucun raté ne devrait être tolérable. Il faut qu’on fasse ce qu’il faut s’agissant de l’identification et du recensement des électeurs, tout ce qui concerne le fichier électoral doit pouvoir être revu. Deuxième, on parle des organes de gestion des élections dans leurs attributions. A ce niveau, il faut remodeler les choses. Il faut que cela ne donne pas l’impression de ne faire que de la politique. Mais si besoin est, il faut qu’on corrige ce qu’il faut et ce qui a lieu de l’être et puis donner à la population la pleine mesure d’une Assemblée qui, au fond est utile, dans la transformation sociale ou économique de la vie par la loi. C’est la raison d’être de l’Assemblée nationale. Espérons que cette Assemblée nationale toutes tendances confondues, nous donne rendez-vous avec le meilleur de ses initiatives, de ses actions et surtout du débat parlementaire. Si le débat n’est pas à l’arrivée, les Béninois auraient d’énormes regrets sur l’utilité d’une Assemblée nationale. On a besoin des débats. On a besoin de lois votées à bon escient et d’un contrôle de l’action gouvernementale organisé comme il se doit dans les limites du règlement intérieur et de la constitution. »
Noël Chadaré, Syndicaliste, Secrétaire général de la Cosi-Bénin : « Les travailleurs veulent une Législature de qualité »
« Ce que nous souhaitons voir de cette nouvelle législature, c’est qu’elle redore le blason de l’Assemblée nationale, blason terni par l’Assemblée qui a précédé parce qu’une Assemblée nationale doit être composée de députés qui assument l’entièreté de leurs fonctions : interpellation du gouvernement, questions orales, contrôle de l’action gouvernementale etc. Nous attendons le vote des lois de qualité et non des lois votées à la va-vite. Cette Législature qui est passée nous a donnés une très mauvaise image et nous souhaitons que celle qui s’installera d’ici peu, joue pleinement son rôle d’institution de la République et non se commuer en une caisse de résonance, une institution qui ne joue pas son rôle. Comme tous les citoyens, nous travailleurs, attendons cela. Nous attendons également que des lois qui ont été votées et qui ont consacré le recul des libertés syndicales, soient évaluées et qu’on aille à leur relecture. Il s’agit par exemple de la loi sur l’embauche qui a permis de déréguler le marché du travail. Il faut qu’on évalue cette loi pour voir combien d’emplois cela a créés? Est-ce que les emplois créés sont de bons emplois ? Est-ce que cette loi a atteint ses objectifs ? Parce qu’on a fragilisé, précarisé l’emploi. C’est une loi qui fragilise le travailleur et qui fait qu’il est dans la précarité. Il faut également relire la loi sur la grève. On a voté une loi pour pénaliser la grève. Nous souhaitons vraiment que les lois votées en direction des travailleurs et qui ont consacré le recul des libertés soient relues. Nous voulons des députés qui votent des lois de qualité et non des lois qu’on vote en plein processus tel que ce que nous avons constaté lors des élections communales et municipales de 2020. C’est piteux. Les travailleurs veulent une Législature de qualité. Même si on ne peut pas retourner aux première et déuxième Législatures qui étaient de très bonne facture, on souhaite cependant qu’on ne s’en s’éloigne pas et que l’opposition qui va à l’Assemblée joue son rôle de rempart pour empêcher de voter des lois pour certaines réformes qui ne sont pas pertinentes. »
Propos recueillis par Gabin Goubiyi et Serge Adanlao