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Faisant de la promotion des femmes l’une des priorités de sa gouvernance, le président Patrice Talon a engagé des réformes politiques qui ont amélioré la représentativité des femmes dans les grandes instances de décision comme le parlement. Ce qui fait que l’Assemblée nationale, 9ème Législature compte 29 femmes sur les 109 députés, soit un taux de 33%. Cette discrimination positive à l’égard des femmes devrait en principe amener ces élues de la nation à plus animer la vie politique et surtout œuvrer pour l’autonomisation de leurs sœurs. Mais plus d’un an après leur installation, ces femmes parlementaires toute tendance politique peinent à s’imposer et à se prononcer sur les débats politiques même si quelques actions de mobilisation sont notées à leur niveau.
Jeudi 11 janvier 2024, à la faveur d’une rencontre avec les 29 femmes parlementaires, le président Patrice Talon a exprimé sa désolation quant à la figuration notoire qui caractérise certaines élues de la 9ème Législature malgré les dispositions prises pour garantir leur représentativité à l’Assemblée nationale. « Vous n’êtes pas visibles dans les débats politiques », constate malheureusement l’actuel homme de La Marina. Pour le chef de l’Etat, les 29 femmes parlementaires doivent être très actives et s’illustrer positivement sur la scène politique. « Nous voulons que les femmes participent réellement à l’évolution de notre pays tel que vous le faites au niveau familial. Peu importe qu’on soit éloquent en français ou qu’on ne soit pas à l’aise pur exprimer notre pensée. Je voudrais que vous fassiez ce pas et qu’on vous entende de mieux en mieux », a recommandé Patrice Talon. De ce constat du chef de l’Etat qui a fait des pieds et des mains pour que la représentativité des femmes soit une effectivité au sein des grandes instances de décision émerge une réalité : En politique les femmes béninoises restent souvent cantonnées aux rôles de second plan et peinent à s’activer pour peser dans le paysage politique et participer au développement du pays. En 2019, les réformes intervenues sur la loi électorale ont amélioré la question de la représentativité et prescrivent un quota de sièges réservé aux femmes sur les listes des partis politiques. Ce qui donne d’office 24 femmes à raison d’une femme par circonscription électorale. C’est une grande avancée selon Arlette Bello Saïzonou, cheffe du premier arrondissement de la ville de Cotonou. « Nous sommes les vrais acteurs de la politique et il nous revient à nous femmes de nous investir davantage au niveau des partis politiques pour ne pas se cantonner uniquement à cette discrimination positive. Nous pouvons aller à deux ou trois élues par circonscription électorale », a-t-elle suggéré. Cette loi électorale n’avait pas besoin de fixer le quota à attribuer aux femmes pour les Législatives commente sentencieux l’analyste politique Alphonse Soudé, qui assure que ces élues ne montrent pas qu’elles méritent réellement cette faveur.
Avancées mitigées pour le militantisme politique…
Alors que les femmes ont leurs propres organisations au sein de chaque parti politique et qu’elles mobilisent avec un certain succès les électeurs lors des joutes électorales, elles peinent selon certains observateurs à influencer et ne veulent pas utiliser leur atout de nombre pour faire basculer les orientations politiques en leur faveur. Cet avis n’est pas celui du député Assan Seibou du Bloc républicain, qui précise à la faveur d’une récente intervention médiatique que son parti a inscrit dans les textes un quota de 30 % de femme à positionner dans les différents organes de gestion du parti. « Nous voulons amener les femmes à militer, nous travaillons là-dessus. Dans le bureau de l’Assemblée nationale, on nous a donné deux sièges et c’est nous qui avons fourni une femme et un homme. Le parti Bloc républicain réserve toujours une place de choix aux femmes militantes.», a laissé entendre le député. Près d’une trentaine de femmes au Parlement, c’est un record. « C’est un acquis qui règle un tant soit peu la question de la représentativité. La vraie préoccupation demeure la qualité de leur contribution au débat parlementaire. Moi, je n’en trouve pas. C’est trop tôt pour qu’on apprécie, mais leur présence au Parlement impacte les populations ne serait-ce qu’à travers leur proximité, puisque de plus en plus on a remarqué que ces élues pour des questions de leadership et même de visibilité ont organisé quelques activités en faveur des femmes de leur circonscription électorale. Qui pour le 8 mars, qui pour la fête de Noël. Donc, on ne pas dire qu’il n’y a pas d’impact », a fait observer Prudent Nasséhou, analyste politique avant de préciser que « l’impact qui relève de leur cahier de charges reste à être prouvé sur du long terme à travers des questions d’actualité, à travers les projets de loi, les questions au gouvernement et à la défense des préoccupations des femmes au niveau du Parlement. Ce qui est sûr, il y a des initiatives qui émergent de leur présence au Parlement. Il y a le Caucus des femmes parlementaires du Bénin présidé par la députée Djamilatou Sabi Mohamed. Une organisation qui mobilise tant bien que mal la population autour de quelques actions qui ont une plus-value aussi bien pour elles-mêmes que leurs différentes formations politiques ». A en croire l’ex-député Guy Mitokpè, secrétaire à l’information du parti Les Démocrates, ces femmes parlementaires s’agitent, tournent en rond et donnent l’impression que la mission les dépasse. « On a l’impression que le débat les dépasse, pas elles toutes. Mais la plupart des femmes qui sont au Parlement aujourd’hui n’assurent pas le débat et je ne crois pas que cela puisse encourager l’entrée de plus de femmes en politique », se désole l’ex-parlementaire. C’est également l’avis de Moise Alphonse Soudé qui estime que ces élues sont absentes dans le débat politique, la majorité est silencieuse.
La loi ne peut tout régler
De l’avis du juriste Landry Angelo Adélakoun, spécialiste des droits humains et de la démocratie, pendant longtemps au Bénin, lorsqu’il s’est agi de prendre des dispositions législatives ou règlementaires pour essayer de garantir un peu la forte présence de la gent féminine dans les instances de prise de décision, notamment en ce qui concerne des lois qui porteraient sur la discrimination positive, les gouvernants et les décideurs ont été confrontés à une difficulté constitutionnelle qui postule que tous les Béninois sont égaux devant la loi et par conséquence on ne pouvait pas aller à une telle exception ou à une telle loi. Mais avec la relecture de la Constitution en novembre 2019, le constituant béninois dérivé a donc introduit cette ouverture-là, cette possibilité que la loi puisse venir prendre des mesures pour essayer de poser des règles positives à l’égard des femmes. Selon le juriste, c’est ce qui a été fait par la suite avec l’adoption du Code électoral qui a consacré la garantie d’office de 24 postes sur les 109 que doit concéder l’Assemblée nationale désormais aux dames. A partir de cet instant-là, nous avons donc la première expérience qui a démarré depuis février 2023 où nous avons constaté la présence effective de 24 femmes telle que prévue par le Code électoral mais aussi nous avons constaté que par la suite il y a eu quelques femmes qui ont-elles aussi fait leur entrée au parlement. C’est donc dire au regard de ces mesures-là, quand on veut parler de la participation sur la scène politique avec les différentes réformes, nous allons saluer d’abord le travail qui a été fait au niveau de la loi fondamentale et du code électoral et constaté par la suite qu’en réalité c’est peut être un premier niveau. L’homme de droit estime qu’on ne doit pas s’arrêter là. On a beau prendre des mesures normatives, des mesures législatives pour favoriser la présence des femmes dans les instances de prise de décisions notamment le Parlement. Mais à la réalité, même si le bilan peut être un peu trop tôt, nous ne constatons pas une efficacité telle que l’on aurait souhaité de la présence des femmes à l’Assemblée nationale. Contrairement à ce qui s’observait il y a encore quelques années où on avait une minorité de femmes présente à l’Assemblée nationale qui avait une forte implication dans les questions sociétales et les questions politiques, aujourd’hui nous avons des femmes qui apparaissent comme des figurantes malheureusement au Parlement. Nous espérons qu’avec l’écoulement du temps, elles sauront s’acclimater, elles sauront jouer réellement le rôle qui est le leur dans la société sur la scène politique. « La solution des femmes en politique n’est pas seulement législative ou constitutionnelle. C’est un problème systémique qu’il faudra régler dès la base. Il ne faudrait pas faire un diagnostic et posé mal la thérapie. Il faut encourager la participation des femmes déjà dans les instances, dans les associations et dans les partis politiques à la base. Il faut miser sur le travail, la présence effective, l’efficacité et la prise de parole, l’audace et le travail que font les femmes que de vouloir penser que la loi peut régler un problème systémique, un problème endémique à notre réalité à notre société. La loi n’est donc pas suffisante il faut aller au-delà », recommande ce dernier.
Sergino Lokossou (Coll)