Bien qu’ayant pris acte de la décision du gouvernement de reporter la mise en application de la mesure d’interdiction de l’importation des poulets congelés au Bénin, les acteurs de la filière avicole, espèrent vivement qu’il s’agit juste d’un recul pour mieux sauter. Contacté par la rédaction de « Le Matinal », Carlos Quenum, médecin vétérinaire en privé, spécialiste en aviculture et premier vice-président de l’Interprofession de l’aviculture, apprécie ce report et lève un coin de voile sur ses implications pour les acteurs de la filière avicole au Bénin. Lire ses propos.
Le Matinal : Comment avez-vous accueilli la décision du report de l’interdiction de l’importation de la volaille au Bénin ?
Carlos Quenum : Il s’agit d’une décision de l’autorité, on la prend comme tel et on l’analyse à tête froide, simplement.
Selon vous, quelles pourraient être les éventuelles raisons de ce report ?
Comme je dis habituellement, ce n’est pas à nous de dire les raisons de ce report. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que depuis que cette décision, qui est salutaire, non seulement pour ceux qui sont dans cette filière, mais pour la population, a été prise, les acteurs de la filière se préparent psychologiquement, physiquement à sa mise en œuvre. Ils ont commencé à consentir des investissements dans ce sens. Et comme vous savez, c’est un problème qui concerne les poulets de chair. Et les poulets de chair, quand on commence à les élever, c’est en 35 jours qu’on peut les mettre sur le marché. Donc, comme je vous dis, les raisons profondes, les décideurs en place pourront le dire. Mais il faut quand même dire que les acteurs de la filière se sont préparés. On est plus ou moins prêts. Il n’y a jamais quelque chose qui va totalement bien au départ. Il y aura quelques petites failles qui vont venir. Mais si c’est les poulets de chair, je vous assure, dès que la décision sera prise, en un, deux ou trois mois, les acteurs vont s’appliquer pour que les gens puissent avoir du poulet parce qu’il y a un problème fondamental. Nous importons de la protéine, la protéine qui est la plus consommée dans le monde, c’est la volaille. On nous l’amène d’ailleurs. On ne sait pas ce que c’est. D’autres personnes ont votre ventre entre leurs mains. Ce n’est pas possible. Or, c’est les hommes qui peuvent faire les poulets de chair. Nous avons les hommes ici. Et je crois que le gouvernement participe vraiment à cet élan pour que nous puissions nous préparer pour pouvoir rendre effective cette décision, qui est totalement salutaire pour nous. Nous allons manger sain.
Est-ce que les acteurs de la filière étaient véritablement prêts si la décision d’interdiction d’importation de la volaille devrait prendre effet le 1er janvier 2025 comme annoncé ?
Vous savez, la loi de l’élevage, on l’élève quand on sait qu’on a vendu. Si vous mettez en place des poussins de chair aujourd’hui, vous savez qu’à 35, 36, 42 jours, cela doit être livré sur le marché. Donc normalement, c’est le marché qui doit être là pour dire « je prends ». Prendre une décision pour dire « non, j’interdis », c’est une décision salutaire. Dès qu’on sait que le marché est là, les acteurs vont produire. Maintenant, il y aura quelques ratés comme on a dit. Comme aucune œuvre humaine n’est parfaite, il y aura quelques ratés et cela va s’imbriquer dans le temps. Et qui seront les véritables profiteurs de cette activité? C’est encore ceux qui vendent les poulets aujourd’hui. C’est eux qui savent comment on vend les poulets. Et c’est plutôt eux qui vont davantage faire, c’est-à-dire s’allier aux producteurs pour pouvoir avoir les calibres de poulets qu’ils veulent sur le marché. Donc, la réflexion qui dit « est-ce que vous êtes prêts ? » Non, c’est le marché qui sera prêt et les éleveurs vont pouvoir produire. Et le gouvernement a vu très juste pour dire : « nous allons accompagner les éleveurs ». Et pas seulement tous les acteurs qui sont dans la filière. Ceux qui vont, disons, transformer le poulet, ceux qui vont les abattre, toutes les chaînes qui seront liées à la production, le gouvernement dit qu’il va accompagner. Donc moi, je crois fondamentalement que même s’il doit avoir quelques petits problèmes sur le marché, on doit pouvoir prendre cette décision pour continuer. Seul le marché va nous déterminer à dire qu’on est prêt. Je suppose un instant, que la décision soit prise et puis on dit qu’on n’a pas de poulets. Non, je crois les poussins d’un jour, on peut les avoir, les œufs à couver, on peut les avoir et commencer par les mettre sur le marché. On peut peut-être nous parler de quelle quantité il faut pour le marché. Une décision peut dire tout ce qu’on importe, on n’importera que pour la moitié. Ce n’est que des pistes. Donc, dès que l’interdiction sera faite, je suis sûr que cela ne va pas tourner comme on le veut durant quelques petits temps mais le train va prendre. Tous les pays ont pris par-là. Pour enfanter, on a la douleur. Et quand l’enfant sort, on est content. Donc, on doit avoir une petite douleur. Dès que l’interdiction va commencer, cela fait une petite phase de douleur mais après, cela va s’établir. Et je peux vous dire, les ressources que le pays va engranger en matière de nombre de personnes qui vont travailler, en matière de nouvelles spéculations qui vont rentrer en jeu, les transporteurs, même le fait que les gens vont transporter beaucoup de poulets d’un élevage pour aller à un abattoir, l’essence à acheter va augmenter et l’État va engranger de l’argent, la douane va engranger de l’argent de manière indirecte. Parce que la peur, c’est qu’au niveau du cordon douanier, qu’on puisse avoir des réductions de finances. Mais dès que la filière va s’installer, il y aura tellement de secteurs connexes qui vont faire que la douane va davantage encore faire entrer de l’argent. Et les gens vont travailler. Et ça va apaiser un peu le manque de travail qu’il y a dans le pays. Cela va réduire le chômage. C’est une bonne option que le gouvernement a pris et on doit l’y encourager.
Ce report ne vous crée-t-il pas des manques à gagner ?
Je crois que ce report ne serait que de courte durée. En fait, quand le responsable prend une décision, il voit les choses de manière macro et nous, on n’arrive pas à percevoir mais je crois qu’ils ont la volonté et c’est peut-être quelques ajustements qu’il reste à faire pour voir combien de fois nous serons prêts mais nous voulons dire que nous sommes prêts à tout moment. Dès qu’il y a le vide sur le marché, ce sera comblé. Je ne crois pas fondamentalement que ce serait du dilatoire que le gouvernement va faire avec nous. C’est des gens qui travaillent de manière méthodique et je pense que ce serait juste un petit repli tactique pour nous amener à atteindre les objectifs fixés. Je pense qu’il va falloir qu’on puisse davantage nous adresser à eux pour savoir les tenants et les aboutissants de ce report.
A vous écouter, on a l’impression que vous êtes déçu de ce report ?
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, c’est le marché qui créé la demande. Quand il n’y a pas le marché, un éleveur qui élève ses poulets conséquemment ses poulets en fonction de la demande, va forcément rouler à perte. Le gouvernement a certainement ses raisons mais il va falloir qu’on puisse discuter parce que le drame de poulet chairs, c’est que quand vous devrez livrer un poulet à 35 jours et si vous ne le faites dans ce délai, vous commencez par perdre de l’argent. C’est des sujets qui mangent et qui ne donnent plus autant de rendement. Donc, je pense fondamentalement que ce report est juste un repli tactique. Notre pays en est dans une dynamique d’autosuffisance et nous pensons vraiment qu’au lieu qu’on puisse avoir un report, cette loi pourrait être bien appliquée pour qu’on puisse nous entendre même avec les importateurs pour que sur le marché, nos poulets commencent par venir.
Face à ce report, quelles sont les perspectives pour le secteur avicole au Bénin. Y a-t-il d’autres alternatives pour les acteurs ?
Non, il n’y aura pas d’alternatives. Tous ceux qui se sont préparés et ont investi, ils ont un problème. On ne peut pas dire qu’on est prêt pour pouvoir mettre en place les 20000 tonnes que nous mangeons au pays mais on peut démarrer. Je crois que le gouvernement va trouver avec nous les mécanismes pour qu’on commence par réduire l’importation au profit d’une production en interne et on pourrait bien se rencontrer pour voir les décrets et arrêtés qu’on doit prendre pour que les acteurs des deux catégories (importateurs et producteurs ndlr) parlent d’une même voix pour que nous puissions commencer « béninois ». Depuis 30 ans, tous les acteurs de l’élevage ne rêvent que de cela. Depuis que la parole du gouvernement a été donnée, les gens sont en train de travailler pour ça. Je peux vous rassurer, c’est le marché qui conditionne les éleveurs. Quand il n’y a pas le marché, l’éleveur n’élèvera jamais le poulet de chair. Quand il y a le marché, en six mois, les éleveurs vont alimenter la demande locale. Les réformes sont toujours dures au départ mais elles finissent par être intégrées dans les habitudes.
Un mot pour conclure ?
Nous sommes dans l’espoir que cette prorogation ne va pas beaucoup durer et que cette décision vise à nous permettre d’être davantage prêts pour que cela soit fait mais on sait déjà que cette loi serait de vigueur dans le pays et ça ne fera que du bien pour les producteurs et pour la population.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi