Devant l’énigmatique mort qui arrache définitivement un être cher, la tradition africaine, notamment celle béninoise, a mis en place un mécanisme de communication pour pouvoir maintenir le lien avec le défunt. Ce mécanisme diffère d’une communauté à une autre. En milieu fon, la communication avec l’au-delà se fait au moyen de la cérémonie dite ‘’Ganminvo » si et seulement si le défunt, en l’honneur de qui cette cérémonie est vouée avait, de son vivant, reçu un quelconque couronnement royal.
Les morts ne sont pas morts. Ce constat de Birago Diop trouve tout son sens dans la tradition dahoméenne où les vivants continuent de communiquer avec leurs morts dans l’au-delà. Deux canaux distincts sont institués par la tradition pour favoriser cet échange entre le monde visible et celui invisible. Il s’agit de ‘’Kapléplé’’ pour ceux qui ne sont pas princes et de ‘’Ganminvo’’ pour les rois et ceux qui ont exercé le pouvoir royal sur un quelconque trône. Les deux s’organisent de diverses manières mais concourent à un même objectif, communier avec les morts de la collectivité.
En effet, le ‘’Ganminvo Fifion’’ est une cérémonie royale de libation et de sacrifice de moutons, de bœufs et de volailles offerts aux ancêtres. «Concrètement, c’est une liaison entre l’au-delà et la vie terrestre », souligne Dah Sèlidji Agodéka Bèhanzin, Secrétaire général (Sg) de la cour royale de Djimè. Axôssou Dèwènondé Béhanzin se veut plus explicite quant à l’origine. « Ce n’est pas une invention. C’est une tradition qui se perpétue de génération en génération». Elle s’organise deux fois l’an ou périodiquement en tenant compte du souhait exprimé par les ancêtres. Dans une collectivité, notamment en crise, ce principe n’est souvent pas observé. Parfois, les ancêtres chôment pendant plusieurs années sans bénéficier de la moindre libation et c’est quand un nouveau chef de collectivité ou roi accède au trône qu’il porte l’organisation de cette cérémonie pour rétablir la liaison.
Les grandes étapes de « Ganminvo »
Trois temps forts marquent la cérémonie de ‘’Ganminvo Fifon’’. La première est celle de la libation. Des bœufs, des moutons et des volailles sont offerts en sacrifice aux ancêtres sur leur autel communément appelé ‘’Assin’’. On y trouve également des repas spirituels constitués des mets traditionnels tels que le haricot et des boissons comme le Lihan (Sodabi), le Hounhan (Liqueur importé) puis l’eau simple. Le tout exposé sur une table sainte dressée devant le Adôho, c’est-à-dire la case cimetière où les rois et dignitaires de la collectivité sont inhumés. Le Tassinon, la prêtresse de la cour, entourée des ministres, du roi et des autres membres de la famille disent des prières en hommage aux ancêtres et aux divinités, formulent de bons vœux en faveur de la paix, de la cohésion sociale, de l’abondance puis implorent leurs bénédictions sur l’ensemble de la Nation et des dirigeants politiques.
La deuxième étape est consacrée à ‘’Wohon’’ qui nécessite qu’on sollicite au préalable les tambours sacrés parce qu’elle est essentiellement constituée d’animations. Au cours donc de ce rituel, des chants, danses, louanges et panégyriques claniques minutieusement sélectionnés sont exécutés en hommage aux anciens rois et aux chefs de collectivités défunts notamment celui qui a précédé le nouveau locataire du trône. Selon les confidences du prince Constant Agbidinoukoun Glèlè, c’est à cette occasion que les ancêtres manifestent leur joie et donnent la preuve qu’ils ont reçu les offrandes. «Vous ne les voyez pas, vous n’avez pas le microscope nécessaire pour les voir. Si non je sais qu’ils sont autour de nous. C’est toute une festivité, c’est tout un banquet. Ils sont très joyeux. En retour, ils nous donnent toute la bénédiction royale requise. » confirme Dah Sèlidji Agodéka Bèhanzin. La reconnaissance des ancêtres et l’exaucement des prières se traduisent par l’apparition en public des Dada qui ne sont rien d’autre que des divinités incarnées. Parmi ces vodouns, l’on distingue plusieurs catégories. « Il y a les Dada elles-mêmes qui sont au nombre de trois. On les reconnait de par leur accoutrement et le parasol qu’elles portent. Elles sont accompagnées de leurs assistants qui communient avec elles. C’est un symbole, c’est un rituel», renseigne Constant Agbidinoukoun Glèlè. A l’entendre, il n’est pas loisible à tout le monde de faire la lecture de ce tableau et de comprendre le grade de chaque Dada dans le panthéon vodoun. Seuls les initiés ont ce privilège. « Ceux qui s’y connaissent, quand ils voient, ils savent de quoi il s’agit parce que tout le monde n’est pas initié », insiste-t-il. Les Dada, c’est-à-dire les femmes dignitaires, prennent alors place pour une animation authentiquement culturelle et cultuelle qui dure autant de jours que possible. ‘’Houn Gnigni’’ est la dernière paire de manche qui clôture le Ganminvo. C’est l’ultime moment solennel au cours duquel celui qui préside la cérémonie congédie les tam-tams sacrés invités à la manifestation. C’est aussi l’occasion pour lui de témoigner sa gratitude à tous ceux qui l’ont accompagner de diverses manières à la réussite de l’événement. Ce n’est qu’après que le roi ou le chef de collectivité intronisé retrouve la plénitude de son pouvoir royal.
Moment de communion, mais aussi d’amitié
Le Ganminvo cristallise les attentions et mobilise un monde important autour de la collectivité à l’honneur. Il se veut un moment précieux pour les différentes branches de la grande famille royale organisatrice de témoigner de leur amitié au chef de la collectivité. Tous les Assiata, Gbonougan, les vodounon, les vodounsi, les responsables de lignées royales sont aussi associés à cette communion fraternelle. Au regard de son importance, les lignées royales alliées contribuent à l’organisation en y apportant des repas, des biens en nature et en numéraire. Des instants pour savourer et admirer les différents tableaux de parade des dames des différentes collectivités. A Djimè, la semaine écoulée, lors de cette cérémonie, l’on a remarqué, tour à tour, la délégation de Gnimavoh, de Adandédjan et de bien d’autres lignées venues faire allégeance à Djimè, les têtes et les bras chargés de présents et de tout ce qui peut être utile à rendre belle la fête. Une véritable communion entre les morts et les vivants au regard du monde qui s’est mobilisé autour de Axôssou Dèwènondé Gbêhanzin. En prélude à Ganminvo, d’autres rituels ouvrent le bal. Il s’agit de Atôtountoun. «En réalité, c’est le voyage de l’âme. L’être humain est esprit. Et chez les Alladaxonou, on passe par l’étape de Agon, après Agon, on va à Allada et après Allada, on rejoint l’océan, la mer. On dit dans notre langage ’’Edjèhou’’ », informe Dah Sèlidji Agodéka. Ce n’est donc après ces préliminaires qui sont aussi très importants qu’on enclenche la cérémonie proprement dite de Ganminvo.
Zéphirin Toasségnitché
(Br Zou-Collines)