Mouvement saisonnier des éleveurs qui se déplacent généralement du nord vers le sud à la recherche de l’herbe et de l’eau pour leurs bêtes, la transhumance se révèle au Bénin une véritable problématique pour les pouvoirs publics, puisqu’elle est à l’origine de plusieurs conflits sanglants entre éleveurs et agriculteurs. Conscient du fait, le gouvernement du président Patrice Talon a pris une batterie de mesures pour les incidents et les dégâts, et assurer la gestion de la transhumance nationale et frontalière tout au long de l’année.
Au Bénin, l’élevage constitue la seconde activité agricole après les productions végétales. Malgré les fortes tensions sociales et foncières autour du mode d’élevage mobile, l’élevage transhumant contribue majoritairement (à hauteur de 75%) à la valeur de la production bovine nationale. « Le Chef de l’État a mis au centre de son deuxième mandat, la promotion des productions animales et surtout le recentrage de notre activité pastorale. C’est en nous mettant ensemble, éleveurs, agriculteurs, les services de l’État, tous les acteurs du monde rural, que nous allons éloigner de nous ce spectre d’insécurité qui plane sur nos têtes », a laissé entendre Dr Adamou Mama Sambo, Haut-Commissaire à la Sédentarisation des éleveurs, Chargé de Mission du Chef de l’État lors des travaux de l’atelier bilan de la campagne nationale de transhumance 2021-2022. C’est dire que le président de la République est en train de tracer le chemin pour mettre fin au fléau de la transhumance. « Je suis relativement soulagé que les pertes en vies humaines, lors de la campagne de transhumance qui s’achève, ont régressé. Mais pour la prochaine campagne, nous voulons avoir zéro mort. En cela, je voudrais saluer l’investissement personnel du Chef de mission de surveillance et de sécurisation des espaces de transhumance qui, en utilisant les forces de sécurité et les relais sur le terrain, a su gérer convenablement cette campagne. Je voudrais aussi saluer la vision du Chef de l’État qui a arrêté au meilleur moment la transhumance internationale, parce qu’elle tue vraiment. L’élevage c’est aussi l’économie de notre pays », a déclaré Gaston Cossi Dossouhoui, Ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche.
Une pratique, une histoire
La pratique de la transhumance au Bénin a démarré avec les migrations des populations peulhs et continue d’ailleurs d’être pratiquée par ces dernières. Les notes sur l’élevage en « Ex-Dahomey » ont fait cas de la transhumance pour la première fois en 1905 à l’occasion du rapport sur une épidémie de la péripneumonie contagieuse bovine, que les animaux en transhumance dans la région de Ségbana ont contractée auprès des animaux venus du Boussa (Nigéria). Le rapport indiquait que « ces mouvements de transhumance sont une menace pour le cheptel « dahoméen », faut-il pour cela les supprimer ? » Aujourd’hui, l’on continue toujours d’en parler et de se poser la même question. D’après certains experts, les peulhs du Bénin sont en majorité originaires du Fouta Djallon. Leur installation au Bénin date de très longtemps. L’histoire de la pratique de la transhumance ne peut être dissociée de celles des coutumes des populations peulhs. Avant les années 1970, les déplacements des pasteurs sahéliens vers les zones plus humides ont surtout été dus à la saturation de l’espace pastoral plus qu’aux sécheresses répétitives. L’apparition de la problématique climatique avec le déficit hydrique et la diminution du fourrage prend essor à partir des années 1970, entraînant des mouvements importants de pasteurs vers le sud sahélien. L’une des manières pour comprendre ces réactions serait de prendre en compte la valeur symbolique et sociale du troupeau chez les peuls, mais aussi la vision qu’en ont les populations.
Des contraintes liées à l’alimentation
L’importance de la transhumance est liée à son apport au Pib, sa contribution à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations rurales. Or, l’une des contraintes majeures qui freinent le développement des systèmes actuels de production animale en Afrique et au Bénin reste et demeure l’alimentation, notamment pendant les périodes de saison sèche. Au Bénin, l’élevage des ruminants et en particulier celui des bovins se base sur l’utilisation extensive des pâturages naturels. L’augmentation de la population, le renchérissement des prix de certains produits agricoles comme le coton, l’amélioration et l’organisation de la filière coton ont provoqué une ruée vers les terres fertiles. Aussi, l’utilisation de moyens de production améliorés (traction animale) ou modernes a favorisé la conquête d’immenses espaces naturels à des fins agricoles, parfois au détriment des aires protégées et des aires de pâturage. Ce qui fait que les écosystèmes naturels subissent de fortes dégradations. Plusieurs études ont signalé alors que les aires protégées subissent des incursions des transhumants. Donc, pour une gestion efficiente des parcours naturels, il est proposé l’intégration des éleveurs de ruminants dans les programmes d’aménagement forestier et dans la gestion des terroirs. Les stratégies pour l’utilisation des parcours naturels pour l’alimentation des troupeaux bovins doivent tenir compte des facteurs climatiques et anthropiques. La variabilité spatio-temporelle de la pluviosité dans ces milieux rend aléatoire la disponibilité des ressources alimentaires pour les animaux notamment en saison sèche. Dans ce type d’élevage où la végétation naturelle est de loin la ressource fourragère la plus importante, chaque animal a besoin de plusieurs hectares d’espace, ce qui contraste avec les besoins de la production agricole. La conséquence directe est le surpâturage qui induit la chute de la productivité des parcours. Ainsi, la biomasse herbacée varie dans le temps suivant les conditions pluviométriques et dans l’espace suivant la nature du substrat édaphique liée à la situation topographique. Si les pâtures ne s’effectuent pas dans des zones classées et que les couloirs de passage ne sont pas respectés de même que les périodes de transhumance, on assiste très souvent à des dégâts sur les cultures, ce qui débouche sur des conflits parfois violents entre agriculteurs et éleveurs.
Evènements malheureux
Chaque année, le Bénin enregistre des cas de conflits violents entre agriculteurs et éleveurs. Le 26 mars 2024 dans la commune de Ouèssè dans le département des collines, un cultivateur s’en sort avec un bras en mois après un conflit entre éleveurs et agriculteurs. Selon les informations, les éleveurs voulaient faire paître leurs bêtes dans le champ des cultivateurs. Ces derniers s’y seraient catégoriquement opposés. Ceci aurait entraîné une altercation entre les deux groupes au détour duquel un cultivateur se serait retrouvé avec un bras tailladé. Au Bénin, ces conflits entre éleveurs et agriculteurs se sont multipliés ces dernières années et deviennent de plus en plus violents. Plusieurs zones du pays portent encore les stigmates de ces affrontements meurtriers. Le 02 juin 2022, un conflit entre agriculteurs et éleveurs a eu lieu à Tékpanou dans la commune de Tchaourou, département du Borgou. En effet, suite aux dégâts causés par les bovins en pâturage dans le champ d’un agriculteur, ce dernier emporté par la colère, a déclenché une bagarre dans le but de se venger. Les deux protagonistes en sont arrivés aux mains et aux armes blanches. La bagarre qui aurait embrasé tout le voisinage s’est soldé par deux décès à coups de machette, plusieurs blessés transportés en urgence et la destruction de quelques habitations. Dans le département de l’Alibori, les populations de la localité de Issène dans l’arrondissement de Guéné ont vécu une scène peu ordinaire le samedi 24 juillet 2021 qui s’est soldée par un bilan macabre de cinq (05) morts dont deux (02) du côté des agriculteurs et trois (3) du côté des éleveurs. Plusieurs blessés graves et des portés disparus ont également été notés.
Un bilan inquiétant dans le Mono
Comme d’autres départements du pays, celui du Mono a connu son lot de situations conflictuelles entre agriculteurs et éleveurs en 2023 à l’instar des années précédentes. Si quelques-unes ont pu être réglées à l’amiable, d’autres n’ont pas connu ce sort. 63 conflits ont fait l’objet de réquisitions dans l’ensemble des six communes du département. Selon le décompte de la direction départementale de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Lokossa aura été le gros foyer de tensions avec 26 conflits. Houéyogbé vient en deuxième position avec onze conflits survenus entre éleveurs et agriculteurs. Athiémé en a enregistré dix. Bopa en a connu neuf. Les deux autres communes du département à savoir Grand-Popo et Comé, suivent avec respectivement un et sept conflits. Mais il est heureux de constater que les situations conflictuelles n’ont pas touché toute l’étendue des territoires des communes concernées. A Lokossa, par exemple, ce sont les arrondissements d’Agamé, de Ouèdèmè et l’arrondissement central qui ont été les théâtres des conflits. Doutou ainsi que Sè et l’arrondissement central sont les localités concernées dans la commune de Houéyogbé. Kpinnou et l’arrondissement central sont les territoires touchés dans la cité des bois blancs, Athiémé. L’évaluation des dégâts induits par ces situations qui surviennent pour la plupart entre les éleveurs de bœufs et les agriculteurs, affole par leurs statistiques. Rien que pour 2023, les dégâts matériels sont évalués à 3 179 100 francs Cfa, à en croire Aboubakar Wabi, directeur départemental de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche.
Mesures gouvernementales à fort impact
Sensibles à ces situations désastreuses qui se produisent chaque année dans presque tous les départements du pays, le président Patrice Talon et son gouvernement ont pris le taureau par les cornes. Ils ont édité de nouvelles modalités en ce qui concerne la gestion des campagnes de transhumance. Réuni le mercredi 8 mai 2024, le Conseil des ministres a validé de nouvelles modalités d’exercice de la veille pastorale. Il est un fait connu de tous qu’au Bénin, la période de la campagne de transhumance est faite d’angoisses pour les autorités administratives locales, les paysans et les éleveurs, car c’est une période qui cristallise les antagonismes entre les acteurs de ces deux sous-secteurs d’activité. Depuis 2016, le gouvernement du président Patrice Talon a fait de ce fléau son cheval de bataille et a mis en œuvre plusieurs initiatives pour gérer au mieux les campagnes de transhumances nationales et transfrontalières. Même si la transhumance au plan national, occasionne moins de dégâts que la transhumance transfrontalière, des conflits ne manquent cependant pas entre agriculteurs et éleveurs, malgré les mesures antérieurement prises pour en limiter les effets. En plus, des mesures appropriées prises à chaque campagne, le gouvernement a décidé de réviser le décret qui organise la veille pastorale. En effet, la mise en œuvre des textes régissant cette activité a révélé des problèmes de compréhension entre acteurs impliqués dans la gestion de la mobilité du bétail au point d’entamer la confiance dans leurs rapports de collaboration, car ils n’ont pas toujours la même lecture des différentes dispositions. Le gouvernement en tenant compte de cette situation, et dans le but de promouvoir une cohabitation pacifique entre agriculteurs et éleveurs, a procédé à la relecture du décret en vigueur aux fins de préciser certaines dispositions et prendre en compte les préoccupations exprimées. Le Conseil des ministres réuni le mercredi 08 mai 2024 a adopté de nouvelles modalités d’exercice de la veille pastorale.
Cadre légal révisé
Dans sa nouvelle version, le texte encadre la transhumance nationale, organise les espaces pastoraux, crée des comités multi acteurs de concertation pour la cohésion sociale à divers échelons et définit les obligations qui incombent à chaque catégorie d’intervenants. En outre, il met en évidence l’implication des pouvoirs publics pour accompagner l’option faite de promouvoir la sédentarisation des troupeaux. A cet effet, les collectivités territoriales décentralisées prendront les mesures notamment pour : délimiter et sécuriser les espaces et couloirs pastoraux, dans le cadre des plans d’aménagement de leur territoire de compétence, garantir le libre accès aux plans d’eau naturels, procéder à un zonage pour l’accès aux ressources pastorales en fonction des usages courants, délimiter, de concert avec les différents usagers, les voies d’accès appropriées aux plans d’eau et les zones d’attente près des points d’eau où les animaux en attente seront parqués afin d’éviter la dégradation des alentours.
De plus, il va permettre d’assurer ou promouvoir les cultures fourragères dans les espaces pastoraux, en vue de rendre disponible le fourrage pour les ruminants, intégrer les espaces pastoraux dans le schéma directeur d’aménagement communal, d’interdire toute activité non pastorale dans les espaces pastoraux, de promouvoir le dialogue communautaire inclusif, de favoriser la préservation des réserves naturelles, d’anticiper sur les conflits et d’instaurer un climat de paix et de quiétude entre éleveurs et agriculteurs et de faciliter la recherche du consensus sur les questions foncières et les moyens d’y répondre à travers des espaces de concertation foncière appropriés. Quant à l’éleveur pasteur, il lui est fait obligation de garder de nuit le bétail sous contrôle, soit attaché, soit dans un enclos ou un parc sécurisé, quelle que soit la taille du cheptel. De même, il doit prendre les dispositions appropriées pour éviter la destruction des cultures sur pied et des produits de récolte. Pour sa part, l’agriculteur a le devoir de respecter les espaces pastoraux et les aménagements destinés aux animaux, il doit s’abstenir de provoquer leur abattage et/ou administrer des produits de nature mortifère dans des réceptacles d’eau destinés à leur abreuvage. Les manquements aux dispositions du texte font l’objet de sanctions visant à décourager tout comportement délictueux. En somme, ces mesures qui ont été prises le gouvernement du président Patrice Talon sont d’une portée sociale indéniable, car elles visent à préserver à la fois la paix et le développement des activités agropastorales.
Sergino Lokossou