Quasiment absent des projecteurs depuis son admission à la retraite, l’ancien secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Bénin (Cgtb) a accepté volontiers de se prêter aux questions de votre journal sur l’actualité syndicale au Bénin. Au détour d’une interview le mardi 30 avril 2024 à Cotonou, Pascal Todjinou a donné sa lecture de la marche contre la cherté de la vie perturbée par les forces de sécurité le samedi 27 avril 2024. Le contexte de la lutte étant aujourd’hui différent de celui sous les régimes défunts, l’ancien leader syndical encourage ses successeurs et leur prodigue des conseils pour engranger des victoires au profit des travailleurs. Entre autres, il leur demande de maintenir le cap, de ne pas avoir peur, d’être tactiques, de respecter les lois en vigueur et de ne pas participer aux actes de vandalisme. Ci-dessous, l’intégralité de ses propos.
Le Matinal : Quelle lecture faites-vous des événements du 27 avril 2024 au Bénin ?
Pascal Todjinou : Je suis particulièrement malheureux pour plusieurs raisons. La première, c’est que dans le discours annonçant l’année 2024, le président de la République a annoncé que ce serait une année hautement sociale. Je constate que c’est une année hautement répressive parce qu’on réprime les conducteurs de taxi-motos communément appelés « zémidjans », les taximans et on vient réprimer les travailleurs qui ne sont pas armés qui n’ont rien cassé dans la rue. Comme si cela ne suffisait pas, on les envoie à la Brigade criminelle, là où envoie ceux qui ont commis de crimes. La deuxième raison, c’est que je ne peux pas avoir lutté au prix de ma vie pour que ce régime arrive et fasse ce qui se passe actuellement. La troisième raison, après avoir interdit les mouvements de grève, le seul moyen qui reste pour que les travailleurs se manifestent, ce n’est que la marche. La quatrième raison est que le préfet du Littoral est un homme de droit. Il fait partie de ceux qui ont lutté avec nous pour l’avènement de ce régime. Il est donc totalement inconcevable que ce qui s’est passé le samedi 27 avril 2024, arrive. Les manifestants ont été d’abord gazés et puis après perturbés. Heureusement que la marche a eu lieu même si elle n’est pas allée à terme. C’est un élément important. Je voudrais souligner qu’au Bénin, la marche n’a pas besoin d’une autorisation. Elle est purement déclarative. Ce n’est pas le préfet qui autorise mais le maire territorialement compétent. Dans le cas d’espèce, le maire territorialement compétent s’appelle Monsieur Luc Atrokpo, président de l’Ancb. Il n’a pas donné un contrordre. La procédure a été respectée et les syndicalistes se sont rendus au Commissariat central pour se rendre compte de l’itinéraire. Toutes ces formalités ont été remplies. Il n’y avait pas de raisons pour que la marche n’ait pas lieu. Je ne sais pas vraiment pas le problème du préfet qui est un ami et un de mes défenseurs bénévoles.
On apprend que la marche perturbée du 27 avril 2024 sera reprise !
Tout à fait ! J’encourage cette marche-là.
Le 1er mai, un meeting est programmé à la Bourse du travail ! Est-ce une bonne chose ?
Le meeting ne donne pas grand-chose dehors parce que c’est organisé à l’intérieur de la Bourse du travail. Personne ne peut interdire un meeting à la Bourse de travail et les policiers ont violé un principe élémentaire, la franchise de la Bourse du travail en interdisant aux travailleurs d’entrer dans leur maison le 27 avril 2024. Je souhaite que ces derniers sachent raison garder. La Police, elle est avant tout républicaine et non pas pour une autorité donnée. Donc, je souhaite que nous puissions maintenir le cap du vivre-ensemble. C’est l’essentiel.
Une marche contre la cherté de la vie, sachant que le Bénin n’est pas le seul pays à être exposé au phénomène de la cherté de la vie. Est-ce une option pertinente selon vous ?
On doit marcher et on doit marcher ! Il y a des pays qui nous entourent et qui sont en crise mais ils arrivent à juguler l’inflation. Le Bénin n’a rien fait pour l’atténuer. Par exemple, le prix du gari a presque quadruplé. Avec le maïs, c’est la catastrophe. Je prenais l’autocar au marché à 3500 FCfa. J’ai voulu en payer il y a à peu près deux semaines, c’est devenu 9500 FCfa. Cela fait 6000 FCfa supplémentaire. Sous d’autres cieux, on aurait pu trouver rapidement un mécanisme pour éviter cela. Vous voyez que ce n’est pas une question de conjecture internationale. C’est une question de responsabilité au niveau national. Et les moyens pour atténuer la vie chère ne manquent pas. Il ne revient pas à moi de le leur dire.
Il faut peut-être que vos successeurs soufflent cela de temps en temps aux oreilles des gouvernants actuels. En tant qu’ancien leader syndical, quel regard portez-vous sur la lutte syndicale au Bénin aujourd’hui ?
Je suis très fier parce que la lutte syndicale dépend du contexte. Si nous prenons le contexte actuel, lorsque le président Patrice Talon est arrivé, il a commencé par initier des lois très répressives au point où si quelqu’un bouge, si ce n’est pas le Tribunal, c’est la Brigade criminelle ou la Criet. Moi, je n’ai pas travaillé dans ces conditions et dans ce contexte. Vous permettrez donc que les gens puissent savoir raison garder avant de mener un quelconque mouvement que ce soit. On a interdit le droit de grève. Il y a la loi portant Code du numérique. Pendant que la Police républicaine encourage la coproduction de la sécurité pour dénoncer les malfaiteurs, la même Police envoie les gens au Tribunal pour être punis parce qu’ils ont filmé un malfaiteur.
Est-ce le fait d’avoir filmé qui est puni ou le fait de diffuser les éléments sur les réseaux sociaux ?
Mais attention ! C’est aussi une forme de dénonciation le fait de diffuser sur les réseaux sociaux. La loi qui encourage une telle chose doit être supprimée. A titre d’exemple, un paysan qui filme une scène de malfaisance et l’envoie à un copain, est-il tenu de quitter son village pour se rendre dans un poste de Police qui se situe à plusieurs kilomètres de chez lui ? Je ne pense pas. Normalement, celui-là doit être protégé du point de vue technique même en étant en prison par extraordinaire. Avec cela, il y aura de la réticence dans les dénonciations. En somme, la lutte syndicale se mène en fonction du contexte. Ce que mes successeurs font n’est pas mauvais en tant que tel. La preuve, quand ils ont voulu organiser un petit mouvement de marche le samedi 27 avril 2024, voyez-vous ce qui s’est passé ? Ils se sont retrouvés à la Brigade criminelle. La situation est délicate.
Etes-vous du même avis que ceux qui pensent que le syndicalisme se meure à petit pas au Bénin ?
Du tout pas ! Ce n’est qu’un recul tactique. Je discute avec les leaders syndicaux actuels. La preuve, quand ils ont été arrêtés le 27 avril dernier, j’ai été jusqu’à la Brigade criminelle pour les voir pendant que les gens avaient peur pour moi. Une fois là-bas, ils m’ont tourné en rond mais finalement, j’ai pu les voir. Je ne veux pas croire que ce qui se passe, est pour faire taire durant tout le temps de notre vie, les syndicalistes.
Les manifestations n’étaient-elles pas encadrées sous les autres régimes pendant que vous étiez en activité ?
En mon temps, la grève n’était pas encadrée. Vous déposez votre motion de grève en bonne et due forme et vous exercez votre droit de grève.
Pas de tentatives pour étouffer ou empêcher les manifestations syndicales ?
Comment peut-on empêcher une grève ? Je ne sais pas.
Vous avez été pourtant gazés sous le régime du président Yayi !
Ça, c’est au cours d’une marche ou d’un sit-in. Pour la grève, les gens restaient à la maison. Ce qui peut limiter la grève, ce sont les réquisitions. Mais à un moment donné, nous avions refusé d’observer les réquisitions. C’est cela qui a fait que Kérékou n’a pas eu la possibilité d’accéder au 3ème mandat. C’est qui a fait que Yayi était obligé de partir de la magistrature suprême. On était heureux d’avoir quelqu’un comme Patrice Talon qui a promis beaucoup de libertés et même en 2024, il a promis une année hautement sociale. Mais c’est dommage ce que nous avons constaté le samedi 27 avril 2024.
Les syndicalistes se plaignent du non-fonctionnement de la Commission nationale de concertation et de négociations collectives ?
C’est une Commission de négociations collectives dirigée par le ministre d’Etat Abdoulaye Bio Tchané. Je crois que la Commission-là, est une commission mort-née. On discute, on discute, le chef de l’Etat ne fait rien pour dire c’est comme ça. Ce n’est pas une négociation ça. C’est un comité d’imposition.
Qu’est-ce qui pourrait justifier cela selon vous ?
Il faut poser la question à ceux qui sont sur le terrain opérationnel aujourd’hui. Moi, je ne peux pas le savoir. Je suis à la retraite depuis bientôt 8 ans et demi. Quand bien même comme l’a dit le président Talon, je suis très actif dans le secteur syndical, mais moi je ne suis plus à l’opérationnel.
Que proposez-vous aux Confédérations syndicales pour obtenir la satisfaction de leurs revendications en dépit de l’encadrement du droit de grève ?
Le conseil que je vais leur donner, c’est de continuer la lutte, de ne pas avoir peur. Il y a des gens qui sont morts pour les libertés. Vous avez vu au Sénégal, il y a eu des morts d’homme et j’ai dit dans une interview que le peuple béninois notamment les travailleurs sont des moteurs diesels. On les brime, on les fait taire, mais quand ça dépasse les normes, ça réagit et vivement. C’est pour dire à mes jeunes frères, mes jeunes collègues de continuer la lutte. L’avenir retiendra leur nom, mais d’avoir des tactiques, de respecter les lois en vigueur, de ne pas participer au vandalisme et de maintenir le cap sinon tout ce que nous avons acquis comme parcelle de liberté risque de s’envoler. Je voudrais aussi suggérer à la Haute autorité de ne pas prendre en compte tous les conseils que lui donnent les mauvais conseillers qui sont avec lui parce que c’est des gens qui sont en train de chercher d’autres partenaires. M. le président, vous avez réalisé beaucoup de chose dans mon pays qui font honneur même à mon pays, mais si vous suivez les conseils des mauvais conseillers, vous risquez de sortir par la toute petite porte et ça me fera particulièrement mal. Il faut éviter que vos conseillers interdisent les marches.
Propos recueillis par Serge Adanlao