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« D’emblée, il ne m’est pas possible d’évoquer des souvenirs de la Conférence nationale en tant que cadre…J’étais une jeune adolescente au collège, mais fille d’un des principaux participants à la Conférence nationale, le Colonel Philippe Gnamou, qui était l’interface entre le président de la République, le Général Mathieu Kérékou et le présidium de la conférence, notamment le président du présidium, Monseigneur de Souza.
C’est donc plutôt le ressenti de cette jeune adolescente très attachée à son père et habituée à participer aux discussions de ce dernier avec ses amis qui peut évoquer des souvenirs. Et, pendant longtemps, la seule évocation de la Conférence nationale créait en moi des frissons. C’était la période de tous les dangers, la période où nous avons vu surgir dans notre vie d’adolescents insouciants des gardes du corps qui nous étaient flanqués. C’est la seule période où la tension était palpable chez nous, au Camp Guézo, et partout. Il était certain que quelque chose de très important se passait au vu de la présence quotidienne mais nocturne de la plupart des gradés de cette époque au domicile de mon père au Camp. Les discussions étaient rudes, longues, difficiles. Je sentais que tout pouvait basculer à tout moment. J’appréciais d’autant le calme de mon père, sa tempérance et son courage, moi dont la chambre donnait sur le séjour familial où se tenaient les discussions chaudes…très chaudes. Chaque fois que mon père partait le matin, pour la Conférence, j’avais l’impression qu’on allait me l’arracher, et je guettais avec anxiété son retour, souvent bien tardif les soirs.
Parler de mes souvenirs en tant que citoyenne ordinaire, c’est donc évoquer ce souvenir lourd, ce souvenir de l’œuvre des hommes dont nous profitons aujourd’hui parce que certains hommes ont œuvré pour changer de direction à notre Nation, bien souvent en étant conscient que cela les mettait en danger et mettait en danger leurs familles. Ce qui nous paraît aujourd’hui simple et acquis ne l’était pas. Ils n’étaient pas nombreux, même parmi ceux qui ont été les chevilles ouvrières de l’organisation de la Conférence nationale, à souhaiter la tournure démocratique de cette conférence, cette tournure qui induisait aussi une perte de pouvoir, un saut dans le vide, et in fine un nouveau pacte social. Il est positif parce qu’avec la vague de démocratisation enclenchée au Bénin et qui s’est diffusée en Afrique subsaharienne, il y a eu un changement politique substantiel dans la sous-région, une deuxième indépendance. Nous avons tous été soucieux de la protection des droits de l’homme en général, et à travers celle-ci, de la promotion d’une gouvernance effectivement démocratique.
Ces trente années, nous avons tenu des élections multipartites régulières, reconnu la légitimité des différents droits politiques et civils. Nous avons mené l’expérience de la démocratie à la base à travers la décentralisation dont les élections communales vont encore être organisées le 17 mai 2020. L’égalité entre les femmes et les hommes a été affirmée à plusieurs reprises par les juges, dans un contexte juridictionnel globalement assaini notamment avec l’affaire des frais de justice criminels. Les coutumes en ce qu’elles peuvent porter atteintes à l’égalité des droits ont été neutralisées. Un pas est d’ailleurs à nouveau franchi sur la représentation des femmes dans le cadre de la loi du 07 novembre 2019 portant révision de la Constitution. L’Armée est formée à être au service du pouvoir civil, réduisant les risques de coups d’Etat. Nous avons donc établi des balises constitutionnelles qui ont fait leurs preuves : la séparation et la limitation des pouvoirs, la protection des libertés, le renforcement de l’Etat de droit, la stabilité constitutionnelle, institutionnelle et politique. Globalement, les Béninois sont les premiers constitutionnalistes évoquant le respect des droits et de la démocratie.»
Propos recueillis par Odi I. Aïtchédji
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