Les conseillers pédagogiques des enseignements de second degré vivent une situation peu enviable. Depuis la prise du décret n°2015-592 du 21 novembre 2015 instituant leur corps, les lignes n’ont pas véritablement bougé. Dans une interview accordée à la rédaction de « Le Matinal », Joseph Bara, Secrétaire général du syndicat des conseillers pédagogiques des enseignements du second degré (Synacopesd), présente la situation et expose les revendications.
Le Matinal : Qu’est-ce qui fâche concrètement les conseillers pédagogiques du secondaire ?
Joseph Bara : Merci pour cette occasion que vous m’offrez pour parler de la situation ayant conduit les Cp du sous-secteur de l’enseignement de second degré chez nous au Bénin à la non-participation à une activité ponctuelle qui commence ce jour 8 novembre 2023 dénommée « Apz » sur toute l’étendue du territoire national. C’est une situation qui nous a conduits à marquer notre mécontentement à travers cette action ponctuelle pour exprimer notre souhait de voir les choses aller vite pour le bonheur du sous-secteur dans son ensemble. Qu’il vous souvienne que le 2 octobre 2023, le bureau du Syndicat national des conseillers pédagogiques des enseignements de second degré (Synacopesd), a déposé une motion de boycott de toutes ses activités qui a commencé le 4 octobre. Le 5 octobre immédiatement, le ministre de l’enseignement secondaire nous a reçus. C’était une très bonne chose. Cela confirme ce que nous savons de l’homme et les connaissances que nous avons sur lui par le passé. C’est un homme de dialogue, c’est un grand gestionnaire des hommes que nous apprécions beaucoup. Seulement que nous avions eu jusque-là du mal à le rencontrer certainement à cause de ses activités.
Quel était le contenu de vos échanges avec l’autorité ministérielle ?
Les échanges étaient cordiaux. Nous avons abordé les problèmes brulants de l’heure, parce qu’il y en a suffisamment en raison du fait que le corps est nouvellement créé dans notre système éducatif. Evidemment, des Cp existaient mais c’était des professeurs certifiés identifiés à travers leur maitrise dans leur discipline, leur exemplarité et la qualité des prestations qu’ils fournissent. Ce sont des professeurs certifiés qui sont identifiés et nommés pour jouer le rôle de Cp dans nos lycées et collèges et ceci a cours depuis les indépendances jusqu’à maintenant. Donc, le corps des Cp n’existait pas et ces Cp-là exerçaient cette activité en heure supplémentaire après avoir rempli la totalité de leurs charges : les 18 heures de cours hebdomadaire. C’est seulement en 2014- 2015 qu’au prix de nombreuses luttes, que ces Cp ont pu gagner une décharge de 6 heures pour les aider dans l’accomplissement de cette tâche essentielle et capitale au niveau du corps de suivi et de contrôle. Avec cette charge, les Cp du Bénin sont comme des sans domiciles fixes parce qu’ils sont sous la direction de leur chef d’établissement à travers les Ddesp et en même temps sous la direction de l’inspection pédagogique de la Dipic à travers le Ipd. Ce bicéphalisme rendait encore beaucoup plus difficile leur situation. Ils ne sont pas des Cp, ils sont des professeurs certifiés qui jouent le rôle de Cp. Donc, le travail qu’ils font est payé en heures supplémentaires et c’est une petite partie des prérogatives d’un Cp qui leur a été déléguée. Alors, cela voudrait dire que ce sont les inspecteurs, qui font les activités qui sont les leurs et descendent en bas pour faire encore les activités des Cp en dehors de ce qui a été délégué à ces professeurs certifiés nommés pour jouer ce rôle-là.
Que prévoit le décret de 2015 ?
En 2015, le décret portant statut particulier des corps des enseignements du second degré, a créé formellement le corps des Cp dans le système éducatif béninois et en créant ce corps, les dispositions pour régulariser, former et reverser ceux qui étaient identifiés et qui faisaient ce travail depuis des lustres sont prévues dans ce décret-là. Juste après le départ de ce gouvernement et l’actuel gouvernement est arrivé, il fallait mettre en application les dispositions de ce décret. C’est en ce moment que le constat a été fait qu’il y a des textes, des dysfonctionnements, des problèmes par rapport aux textes qui rendaient difficile l’application des dispositions de ce décret en l’état. Les choses ont continué parce qu’il n’était plus possible de nommer de nouveaux Cp. Aujourd’hui, les Cp qui sont nommés partent par vague, par dizaine à la retraite, les inspecteurs aussi partent à la retraite et le corps de contrôle se dégarnit d’année en année. La formation des Cp a été lancée pour la première fois en 2017 au temps du ministre Kocou mais les difficultés liées aux textes et aux critères, d’autres problèmes ont amené à ne pas pouvoir concrétiser cette formation qui était lancée. Une deuxième fois, cette formation a été lancée avec le ministre Kakpo et c’est la troisième fois que cette formation est lancée qu’une première vague de 268 Cp ont été effectivement mis en formation. Il s’agit des professeurs certifiés fonctionnaires de l’Etat, qui sont parmi ceux qui sont identifiés, ceux qui sont nommés Cp pour jouer ce rôle-là. Ces camarades sont formés et ils ont passé l’examen en bonne et due forme et sur les 268, 260 sont déclarés définitivement admis. C’est une action à saluer et à mettre à l’actif du gouvernement actuel, mais le problème, c’est qu’il reste 98 autres, dont la formation devrait suivre immédiatement et pour des problèmes liés au texte de la fonction publique, ces 98 sont laissés en rade jusqu’à ce jour. Pendant ce temps, la carte scolaire du pays s’élargit, l’effectif des apprenants augmente. De jeunes professeurs appelés Ame, sont venus dans le système avec énormément de besoin en formation et de suivi dans les classes. La situation est devenue totalement intenable et pourtant, de l’extérieur, on ne voit pas le problème. Le politique, le gouvernement à travers le ministre mène des actions. Ils font ce qu’ils peuvent, mais de l’intérieur, nous voyons ce que eux, ils ne voient pas depuis leur position au sommet. Nous nous sommes dit, qu’il fallait faire quelque chose. Ce qui est grave, c’est que les 260 qui sont déclarés admis, depuis le 5 mai 2022, leur reclassement est toujours en cours jusqu’à l’heure actuelle. Parmi ces 260, il y en a qui sont encore partis à la retraite. Beaucoup d’autres partiront encore à la retraite à la fin de cette année et ils continuent de travailler comme professeurs certifiés en heures supplémentaires, jusqu’à ce jour. Il y a huit (08) camarades qui étaient recalés dans cette première vague et les huit qui sont recalés ne savent pas quel est sort qui leur est réservé. Ils ont normalement droit à une deuxième chance comme tout citoyen qui passe un examen. Mais c’est un flou total. Nous ne savons pas quel sort leur est réservé. Les 98 camarades Cp en attente de formation, le problème des textes bloque leur mise en formation et c’est dans ces conditions que nous travaillons. Il fallait faire quelque chose pour la qualité et le contrôle de la qualité dans le système. Voilà un peu ce qui fait problème.
Quelles actions aviez-vous entreprises pour faire bouger les lignes ?
Nous avons déposé une motion de protestation de boycott à la suite de laquelle le ministre nous a reçus et nous avons évoqué ce problème. Nous étions très contents, très heureux parce que l’ambiance au cours de cette rencontre était conviviale. Nous nous étions très bien compris. Le ministre a pris des dispositions et a donné des instructions. Tout le monde était unanime. Une commission a été créée pour connaître les problèmes qui empêchent la mise en formation des camarades Acpde en attente de formation. Tous les problèmes liés aux textes qui bloquent leur mise en formation, cette commission devrait connaître cela et trouver les solutions très rapidement. Il y a d’autres situations qui sont en même temps inclus dans le cahier de charges de cette commission. Il y a aussi que, aujourd’hui, le matériel pour que le Cp effectue un travail comme il faut, manque cruellement. Donc, une décision a été prise pour travailler à ce qu’une mallette pédagogique soit définie avec un contenu spécifique, option par option, discipline par discipline pour permettre au Cp, de mener ses activités avec efficacité. Les primes liées aux activités du Cp, c’est-à-dire les heures supplémentaires, pour les activités menées par les Cp l’année passée, ne sont pas encore payées, jusqu’au moment où l’audience avait lieu. La Dpaf qui s’en charge a été instruite à l’effet de payer les primes après traitement de tous ces dossiers.
Qu’est-ce qui justifie alors le boycott des Apz après toutes ces assurances ?
Le problème est qu’au sortir de cette audience, toutes les décisions qui ont été prises, rien n’a fonctionné. Le comité mis en place n’a jamais fonctionné. L’équipe qui doit définir le contenu de la mallette a travaillé, les choses ont été définies mais le document ne sort pas. Les primes qu’on devait payer un mois après, on ne sait pas quand elles seront payées. On n’a même pas un soupçon de date où les CP pourront être payés. C’est une situation vraiment inconfortable et les actes de reclassement qui avaient commencé à sortir avec un rythme qui nous faisait rêver et bien tout ça aussi, ça s’est calmé. On ne comprenait plus rien du tout. Alors, avec ses décisions qui avaient été prises, nous avons décidé de suspendre pour un mois la motion de boycott de toute nos activités parce que nous avons vu l’engagement de l’autorité ministérielle et les instructions qui ont été données avec le début de mise en application. Mais il a fallu qu’on suspende cette motion de grève pour que tout s’arrête à tous les niveaux. Alors, nous nous sommes dit, notre suspension de motion court jusqu’au 16 prochain mais nous n’allons pas attendre le 16 pour relancer encore une autre motion de suspension. Il faut marquer un point en refusant de participer à cette activité ponctuelle de ce jour-là pour amener l’autorité à se rendre compte que c’est une situation urgente et que les dispositions idoines soient prises pour accélérer la mise en route des décisions, des instructions du ministre par rapport à notre problème. Nous remercions le ministre au passage pour son ouverture, pour son management et nous implorons les collaborateurs du ministre de faire diligence pour mettre en application les décisions qui sont prises. C’est surtout ça qui a fâché les Cp.
Où en êtes-vous avec les dernières discussions ?
Au jour d’aujourd’hui, je puis vous dire que les échanges ont continué parce qu’hier, il y a eu une rencontre avec le cabinet où nous avons eu des explications sur les raisons qui ont fait que le comité n’a pas travaillé et des dispositions sont en train d’être prises selon ce que nous a dit l’autorité pour que très rapidement les choses reviennent en ordre. Nous avons compris ses problèmes et nous sommes dans l’espoir que très rapidement le comité va se mettre au travail. De l’autre côté, le document qui formalise le contenu de la mallette pédagogique du Cp est déjà signé. C’est un document qui existe et qui est déjà signé et c’est à l’actif du ministre qui a fait diligence et les choses ont bougé de ce côté-là. Mais la question de nos primes qui ne sont pas payées reste entière et c’est là le gros problème. Quand est-ce qu’on sera payé, on ne sait pas. Qu’est-ce qui bloque ça, on ne sait pas. Voilà ce que je peux dire en résumé pour présenter la situation. Il y a beaucoup d’autres situations et c’est en discutant, en échangeant avec les autorités comme ce que nous souhaitons, qu’on pourra trouver ensemble de vraies solutions. Le Synacopesd, est un syndicat qui se bat pour la qualité et le contrôle de qualité dans notre sous-secteur. Il y a des problèmes qui sont là dont personne ne parle. Nous nous sommes fait le choix de les porter à la connaissance de l’autorité pour que des solutions idoines soit prises. Il y a des soucis, il y a des problèmes et il faut ensemble trouver des solutions par rapport à ces problèmes là. Il faudrait qu’il y ait des cadres d’échange continu, formel pour aborder avec courage ces problèmes là et c’est ce que nous demandons. Donc, voilà ce que je peux dire par rapport à ce qui a amené cette contestation-là. Ce n’est pas une grève, pas du tout. Les Cp ne vont pas en grève. Evidement que nous avons boycotté cette activité mais nous étions en train de mener d’autres activités dans le système par rapport à ce qui est dans notre cahier de charges. Des camarades sont allés faire des visites de classe. Des camarades ont tenu des animations hebdomadaires comme cela se doit. Donc, l’école fonctionne mais il y a des problèmes qu’il faut absolument sans plus tarder parce que ça a déjà trop duré. Nous sommes avec les autorités pour aborder ces sujets avec courage et trouver ensemble des solutions qui sont opérationnelles et qui pourront aider à sortir de cette situation-là. L’école béninoise a besoin de tout le monde. Nous sommes conscients et nous savons tous que le niveau des apprenants baisse d’année en année mais on refuse de voir qu’est-ce qui en est la base, qu’est-ce qui est la cause et d’ici 10 ans, 25 ans 30 ans que deviendra notre système éducatif? Quel produit sortira de cette école-là ? Il faut qu’on ait le courage de se poser ces questions. Il faut avoir le courage de poser les jalons afin que le Bénin puisse reprendre sa place dans le concert des nations en matière de système éducatif et de qualité de formation et de contrôle de la qualité.
A quoi doit-on s’attendre dans les jours à venir ?
J’ai bonne foi que les autorités vont réagir pour autant qu’elles aiment le pays. Les discussions que nous avons eues nous laissent croire qu’elles sont en train de réagir. Si par extraordinaire, elles ne réagissaient pas, vous aviserons le 16 novembre prochain puisque nous avons suspendu notre motion de boycott pour un mois, le temps de voir les autorités administrer leur bonne foi.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi