(La répression, seul moyen contre le phénomène)
Dans les ateliers et autres centres de formation professionnelle privés, il n’est pas rare de rencontrer des enfants mineurs qui y sont inscrits au mépris de la réglementation en vigueur au Bénin. Dans les départements du Zou et des Collines, ils sont pour la plupart soumis à de durs travaux au point que certains voient leur avenir brisé sur l’autel de la misère. En dépit des nombreuses campagnes de sensibilisation, le phénomène ne recule guère. Les acteurs trouvent toujours des astuces pour contourner la vigilance du contrôle.
Il est 20 heures 15 minutes à Djodji, dans l’arrondissement de Hounli, Commune d’Abomey. Un client dont le pneu arrière de sa moto est crevé se pointe dans un atelier de vulcanisation. « Qui est ici ? », demande le client. Un jeune garçon maigrichon surgit de l’antichambre de l’atelier et répond : « C’est moi ! ». « Où est ton patron ? », cherche à savoir le client. « Il n’est pas ici. Mais que puis-je pour vous ? », demande l’apprenti vulcanisateur. « Non, j’ai une crevaison », explique le visiteur. Rapidement, l’enfant positionne l’engin et s’apprête à se mettre au travail quand le client l’interpelle. « Peux-tu le faire ? », interroge le client. « N’ayez pas peur, je vais vous satisfaire », rassure l’apprenti qui s’affaire autour du pneu. A l’aide de son instrument, il démonte le pneu et recherche l’endroit crevé. Le client, sans trop avoir confiance au petit, s’approche, l’observe, veille au grain et intervient par moment pour le ramener à l’ordre parce qu’étant encore trop petit. « Tonton ! Vous pouvez vous s’asseoir car, si c’est ce petit, n’ayez crainte. Je sais qu’il est capable de faire le travail. Même en présence de son patron, c’est lui qui exécute les tâches », témoigne un cohabitant de l’atelier. Avec ses gestes coordonnés, il a pu satisfaire à temps le client qui n’en revenait pas au regard de son âge. Alors qu’il est encore en âge de jouir de la chaleur parentale, A. Vincent, la dizaine à peine, a précocement abandonné les bancs au Cours préparatoire à cause du décès brutal de sa mère. Son papa polygame, n’ayant plus les moyens de supporter ses charges, le confie à un de ses neveux V. Marc, vulcanisateur résident à Abomey. Originaire de Za-kpota, le petit a commencé par écrire une nouvelle page de l’histoire de sa vie. Au cours de la journée et ce, jusque tard dans la nuit, ce jeune garçon passe son temps à démonter des pneus de motos et de véhicules, soit à gonfler des chambres à air à l’aide de pompe. « Mon patron est venu un jour au village et mon père m’a demandé de le suivre pour aller à Abomey. A notre arrivée, j’ai passé ma première nuit dans l’atelier », raconte A. Vincent les yeux larmoyants.
Un apprentissage dans la douleur
Au départ, on faisait croire au petit A. Vincent qu’il va rejoindre V. Marc à Abomey pour continuer ses études. Mais, à sa grande surprise, on lui annonce au lendemain de son arrivée, qu’il est là pour apprendre le métier de vulcanisateur et qu’il doit obéissance et respect à son formateur. Il sera question pour lui d’allumer le réchaud qui sert à chauffer les planchettes de fer, à remettre les outils de travail tels que les clés, les ciseaux, et les démonte-pneus à son sous-patron un peu plus âgé que lui, et au patron. A Vincent, au bout d’un mois et sous la pression du travail, sait déjà démonter les pneus et rechercher les trous de crevaison. Une tâche qu’il accomplit avec plaisir quand bien même il lui manque de souffle. Relatant comment il passe sa journée, le jeune Vincent dit avoir pour toute la matinée 100 francs Cfa pour s’acheter à manger souvent à midi. Avec cet argent que lui remet son patron, il s’achète souvent de l’akassa plus du fromage au soja et parfois du riz pour toute la journée. Le soir, il avait également droit à 100 francs Cfa pour manger. Il ne se lavait que rarement, car il fallait avoir du savon pour le faire. A longueur de journée et ce durant toute la semaine, il trimbale le même habit de travail qui, à la limite, dégage des répugnances. Le soir, il se couche dans l’atelier avec son patron où tard dans la nuit, des clients viennent souvent les réveiller pour réparer leurs pneus crevés. Depuis qu’il est arrivé dans la capitale historique du Bénin, A. Vincent voit rarement son père. En échangeant avec son neveu, patron de son enfant, ce dernier n’a pas pitié de Vincent ni de son état physique qui laisse entrevoir son squelette, ni des conditions dans lesquelles il est élevé. Il se souvient même que lui-même a vécu la même situation. Tout en reconnaissant que l’enfant l’aide à fructifier son activité, il estime qu’il est en train de rendre service à ses parents qui n’ont pas les moyens de lui assurer une formation professionnelle. Le seul souhait de cet enfant qui ne dort presque pas, est de vite finir cette formation infernale. Comme lui, plusieurs autres enfants souffrent dans les ateliers et sur les chantiers du travail. C’est le cas de Florence Viwègni, apprentie couturière à Savalou. Elle vit toute autre réalité. Agé de 12 ans, elle a abandonné l’école déjà en classe de Ce2 à Savalou où elle vivait avec ses parents. Fatiguée de rester à la maison, elle a exigé de ses parents d’apprendre la couture. C’est alors que son géniteur lui a négocié un contrat d’apprentissage auprès de K. Clotilde, maîtresse couturière dans la même ville. Elle a expliqué que les débuts ont été très difficiles pour elle, car il n’avait plus droit au long sommeil comme par le passé. Sa journée de travail commence très tôt le matin où il doit nettoyer le lieu de travail, ranger le matériel et continuer le travail de la veille. Lorsque, par mauvaise manipulation du ciseau ou de la larme, elle endommage l’étoffe du client, sa patronne la renvoie payer alors qu’elle ne perçoit que 200 francs Cfa pour toute la journée. Et si elle doit rembourser ce qu’elle a endommagé et dont la valeur dépasse ses possibilités, on la contraint à une vie de débauche. Le plus dur pour elle, est qu’elle est souvent flagellée à la moindre erreur. Le week-end également, elle n’a pas droit au repos. Au lieu de s’occuper des travaux domestiques les dimanches, sa patronne la sollicite à la maison pour la lessive et le nettoyage. Ce calvaire que vivent ces enfants viole le décret n°2011-029 du 31 janvier 2011 qui définit clairement la liste des travaux dangereux pour les enfants. Sur cette liste, figurent malheureusement les travaux liés à la vulcanisation et autres. En dehors de cette liste, les enfants doivent avoir au minimum 14 ans avant d’être inscrits dans un atelier de formation professionnelle. Ces principes sont constamment violés par ignorance ou à cause de la pauvreté.
Zéphirin Toasségnitché
(Br Zou-Collines)