Depuis le 1er août 2022, le Bénin totalise 62 ans d’existence. Occasion de bilan, cette célébration de l’accession à la souveraineté internationale est le lieu pour des acteurs de la société civile de jeter un regard désincarné sur le passé pour mieux entrevoir l’avenir. C’est à cet exercice que s’est donnée Paquita Bossou Batonon dans cette interview sur le thème ‘’La femme béninoise 62 ans après l’indépendance : acquis et perspectives’’. Juriste de formation, Gestionnaire des ressources humaines et femme leader, Paquita Bossou Batonon estime que la femme béninoise vit mieux que celle des années post indépendance, grâce aux efforts conjugués des décideurs politiques et acteurs de la société civile. Lisez plutôt.
Le Bénin a célébré 62 ans d’indépendance le 1er août 2022. En tant que femme leader, quel bilan faites-vous des progrès enregistrés en ce qui concerne l’émancipation de la femme béninoise ?
Paquita Bossou Batonon : Merci monsieur le journaliste. Notre joie est très grande de constater que cela fait 62 ans que notre pays a brisé le joug colonial. C’est une grande joie, et en ma qualité de femme leader, je note beaucoup de progrès en matière de promotion de la femme béninoise. Tenez, en termes de taux d’alphabétisation des femmes, on tournait autour de 16,5 %. En 2018, ce taux est passé à 42,36%. Nous sommes donc dans une dynamique de progrès continue. Ça a vraiment grimpé comme une fusée, notamment lorsque les régimes successifs sous le renouveau démocratique ont décrété la gratuité de l’école aux filles. On a noté un boom incroyable. Et aujourd’hui, imaginons un peu ce que ce taux représente, surtout avec la relance des cantines scolaires dont l’un des objectifs est d’empêcher la déscolarisation. Nous sommes très fières de ces progrès enregistrés. Nous devons aussi une fière chandelle au président Mathieu Kérékou qui, sous le régime du Parti de la révolution populaire, a promu, pour la première fois de notre histoire, une femme au poste de ministre. Il s’agit de la regrettée Karim Rafiatou. Paix à son âme. A mon avis, c’est cette nomination qui a vraiment été le catalyseur. Beaucoup de femmes, et même les hommes, ont compris qu’une femme peut aussi occuper de hautes responsabilités au niveau étatique. De fait, les mentalités ont commencé par changer. C’est aussi le lieu de rendre hommage à l’ex Première dame Rosine Vieyra Soglo. Première femme président de parti dans une forêt de mâles, cette brave dame a su s’imposer, diriger avec autorité des hommes pendant des décennies. Et même à l’Assemblée nationale, tout le monde le sait, ‘’Maman’’ n’a jamais fait de concession quand il s’agit de défendre ses convictions. C’est ce modèle de femme amazone dont le Bénin a besoin. Nous rendons aussi hommage aux autres premières dames pour leurs combats aux côtés de leurs époux, tout particulièrement à madame Claudine Talon qui s’investit dans les œuvres sociales au profit du bien-être des femmes. On ne saurait aussi passer sous silence le courage de dame Marie Elyse Gbèdo, première femme candidate à une élection présidentielle au Bénin. Au plan culturel, nous avons aussi des femmes qui émergent. On ne saurait occulter les œuvres de Angélique Kidjo, vedette internationale de la musique et plusieurs fois lauréates des Grammy awards. Au plan sportif, nous avons aussi des amazones comme Odile Ahouanmènou, Noélie Yarigo, qui défendent les couleurs béninoises à l’international. Voilà autant de femmes leaders qui doivent inspirer la jeune génération.
Avez-vous le sentiment que la femme béninoise vit mieux que celle des années post indépendance ?
La femme béninoise, de nos jours, vit mieux que celle des années post indépendance. C’est une évidence. Elle est dans tous les secteurs d’activités, travaille au même titre que les hommes, s’épanouit par son travail. Elle n’est plus contrainte d’aller au champ, mais elle peut choisir son métier l’exercer et gagner fièrement son argent. Ce qui n’était pas le cas jadis. Avant, la femme, c’est la maison, le ménage, la reproduction, la soumission. Mais aujourd’hui, la donne a changé. Elle-même peut travailler et contribuer aux charges de on foyer. Il est vrai, il y a encore des poches de résistances avec certains hommes qui sont hostiles à ce que leurs épouses vaquent à des occupations professionnelles. Cela est dû aux pesanteurs sociologiques qu’il va falloir supprimer, non pas par une loi, mais par l’éducation de nos enfants garçons. On ne pourra pas tout régler par la loi. Il y a la question de l’éducation qui doit aussi entrer en ligne de compte. Surtout l’éducation : faire comprendre à nos mômes qu’une femme qui travaille, c’est la solidité du couple.
Aujourd’hui, comme vous, beaucoup de femmes émergent. Mais, il y a encore des milliers d’autres qui n’ont pas encore compris le rôle qui être le leur dans le développement socioéconomique harmonieux du pays. Que faites-vous pour favoriser une saine émulation ?
Effectivement, il existe toujours des nids de stéréotypes en ce qui concerne l’épanouissement ou l’émergence de la femme. Et face à cela, notre action est beaucoup plus orientée vers la sensibilisation. Nous organisons des séances de formation, surtout à l’endroit des femmes en situation de précarité. Nos formations portent sur l’entrepreneuriat féminin, au leadership, au management, comment concilier travail et foyer, et la nécessité d’envoyer leurs enfants filles à l’école. A ces formations gratuites que nous organisons, l’engouement est souvent total, et des retours positifs nous parviennent. Beaucoup d’entre elles se sont autonomisées et contribuent à leur manière au développement socioéconomique du pays. Très prochainement, nous allons encore les outiller.
Que pensez-vous de la création de l’Institut de la femme et vos souhaits pour que cet organe puisse combler les attentes ?
La création de l’Institut de la femme est une très bonne chose et ça montre la place réservée à la femme dans le développement de notre pays. C’est vrai, on n’a pas encore atteint l’égalité homme-femme dans les instances de prises de décisions. Mais, si la dynamique actuelle se maintient et s’accélère, ce rêve pourrait devenir une réalité au Bénin. Mais il faudrait encore beaucoup plus de sensibilisation à tous les niveaux, que ça soit dans les marchés, les écoles, les ateliers d’apprentissage, dans les champs, dans tous les coins du pays.
En termes de perspectives, que pensez-vous qu’il y a lieu de faire pour une meilleure prise en compte du genre dans les instances de décisions ?
Beaucoup de choses se font déjà et beaucoup se feront d’ici quelques mois précisément en janvier le 8 janvier 2023, nous irons aux élections. 24 places sont réservées uniquement aux femmes. C’est pour qu’il ait une forte représentativité féminine à l’Assemblée nationale, haut lieu de prise de décisions.
Quel type de femme voyez-vous d’ici le centenaire d’indépendance ?
D’ici notre centenaire d’indépendance, je vois une femme président de la République. Ce sera l’aboutissement de toutes les luttes qui se mènent aujourd’hui.