Les Béninois iront aux urnes le 11 avril prochain pour l’élection du président de la République. A l’heure du choix de celui qui va conduire les destinées du pays durant les cinq prochaines années, des voix s’élèvent pour exhorter le peuple à opérer un choix de raison. C’est dans ce cadre que le professeur titulaire de droit et avocat, Dorothée Sossa, a dans l’opinion ci-dessous publiée et intitulée : « L’heure du choix », invité ses compatriotes, « dans l’intérêt de notre devenir commun, à ce que ni notre esprit ne défaille et que ni nos mains ne tremblent pour exprimer notre choix, celui de la renaissance de notre pays, celui de consolidation de la dynamique de redressement ».
Nous assistons, incrédules et presque tétanisés, depuis maintenant plusieurs mois, à l’avalanche des récriminations tenaces et des invectives ad hominem exaspérées en forme de débats et d’animation politiques. Le chef de l’Etat, le président Patrice Talon, pourtant lieu du suffrage universel, est le pestiféré désigné, à tue-tête et à longueur de journée, à la vindicte populaire. Les auteurs de ces diatribes sans fin ne réalisent même pas qu’en s’en prenant de cette manière au président régulièrement élu de notre pays, ils piétinent l’image même de ce pays, qu’ils prétendent vouloir incarner.
Il n’a échappé à aucun de nos compatriotes que l’intérêt de la population n’a pas la moindre place dans ces assauts carrément haineux, baignés de mauvaise foi caractérisée et portés par des visées destructrices non dissimulées.Le Bénin est-il enfin réellement en construction ?S’enrichit-il de plus en plus, au plan économique, grâce à une production croissante et variée ?Les vrais problèmes de la formation adéquate et de l’activité professionnelle de nos jeunes compatriotes sont-ils enfin posés ? Les chemins de notre destin commun connaissent-ils, pour une fois, un début de débroussaillage ? Aucune de ces considérations n’effleure l’esprit des détracteurs.
En fait, à l’attaque de l’image de notre pays ne répond qu’une vaine tentative de confiscation et de monopolisation du débat constitutionnel.
I – Attaque de l’image de notre pays
Des enfants de ce pays ont travaillé avec un acharnement rare à faire dire, aux certificateurs autoproclamés des régimes démocratiques africains, que notre pays est sorti des rangs. Nous ne serions plus dans un système politique où les principaux dirigeants sont élus par le peuple souverain. Chez nous, il n’y aurait plus que la géhenne pour tous les acteurs politiques à l’opinion discordanteen même temps que la parole libre et objective serait châtiée.
Que pèse donc le jugement, voulu sans appel, de ces contempteurs ? On cherchera vainement la réponse à cette interrogation. En vérité, il n’y a rien à voir, mise à part la pratique sociale pernicieuse pour l’intérêt général de certaines de ces personnes qui pleurent le règne,encorerécent,de la chienlit économique et financière dans la gestion du pays, les négociations incroyablement intéressées dans la genèse des actes politiques, les arrangements inavouables de toutes sortes au détriment de la collectivité. Le dépouillement des oripeaux d’une gestion publique sans lendemain ne fait réellement pas l’affaire de tout le monde.
Naturellement, une certaine presse aux motivations dont les personnes avisées se doutent parfaitement, n’en demande pas tant pour porter au firmament les accusations dégradantes à l’encontre du Bénin et qualifier à notre place, sur une base imaginaire et malicieuse, les bons partis d’opposition, les opposants véritables, les authentiques candidats aux élections.
Alors, puisque le régime politique de notre pays a été déclassé à cœur-joie, on veut, faute de pouvoir nous proposer autre chose pour la résolution de nos problèmes vitaux, nous redonner la démocratie perdue. Mais, au fond, c’est quoi un système démocratique ? Si l’on s’en tient aux observations du Réseau du savoir électoral du projet Administration et coût des élections (Ace) du système des Nations Unies, les normes d’évaluation permettant de conclure à l’existence de la démocratie dans un pays donné se déclinent ainsi qu’il suit :
• «Le gouvernement doit exercer un contrôle sur les décisions politiques des élus.
• Les élus doivent être choisis lors d’élections périodiques et équitables.
• Les élus doivent être en mesure d’exercer leur pouvoir constitutionnel sans faire face à une opposition dominante de personnes non élues.
• Le vote doit être universel.
• Tout citoyen adulte doit jouir du droit de se présenter comme candidat lors des élections.
• Les citoyens doivent avoir le droit d’exprimer leurs opinions sur les questions politiques dans leur ensemble sans crainte de représailles par l’État.
• Les citoyens doivent avoir le droit de chercher des sources différentes d’information, telles que les médias, et de telles sources doivent être protégées par la loi.
• Les citoyens doivent avoir le droit de former des associations et organismes indépendants, y compris des partis et groupes d’intérêts politiques indépendants.
• Le gouvernement ne doit pas subir une influence étrangère (telle que celle imposée par des alliances et des blocs). »
Nous avons appris, par ailleurs, que le défi d’un régime démocratique est de pouvoir accorder liberté et égalité, les droits formellement garantis devant toujours se traduire par l’égalité des chances. Il n’est pas parvenu à notre connaissance que la République du Bénin, pourvue désormais d’une gestion publique rigoureuse, dément cette équation dans son fonctionnement.
D’un autre côté encore, il est couramment admis que la démocratie se nourrit de la concertation et de la discussion, les remises en cause et les réajustements des options politiques étant toujours envisageables. En octobre 2019, le président Talon a donné la mesure de sa volonté et de sa capacité de mener de tels échanges en convoquant un dialogue politique impliquant toutes les forces qui y étaient disposées.
Puisqu’il en est ainsi, à quoi tient la conclusion qui postule que le système politique démocratique a déserté la République du Bénin ? Quelle autre démocratie nous promet-on donc ? Disons tout de suite que le parrainage des candidats à la présidence de la République, instauré par la loi, n’est nullement synonyme d’exclusion et se pratique dans toutes les démocraties qu’on nous offre en prototype : il participe de l’assainissement nécessaire des mœurs électorales.
De même, lorsque des compatriotes, désireux de participer à l’animation de la vie publique, décident volontairement de se soustraire à une consultation électorale celle-ci n’en sort pas moins tous ses effets. Aucune vaine tentative de confiscation et de monopolisation du débat constitutionnel ne pourrait vider cette réalité desa substance.
II – Tentative de confiscation et de monopolisation du débat constitutionnel
On a voulu nous persuader que lorsque certains prétendants à l’action politique prennent librement le parti de ne pas se soumettre à une consultation électorale, de déserter le verdict populaire, le scrutin organisé sans leur participation et que, par ailleurs, ils ont usé de voies et moyens innommables pour saboter, n’en est pas un. On nous a dit que l’institution judiciaire est disqualifiée pour demander des comptes à un gestionnaire public, à tout acteur économique en relation avec l’Administration ou à tout individu en délicatesse avec la loi dès lors que ces personnes se réclament, de près ou de loin, d’une activité politique. On a prétendu qu’un gouvernement démocratique doit rester indifférent face à une manifestation publique violente avec la destruction de biens publics et privés.
Après avoir déversé des tombereaux d’anathèmes à l’endroit de nos dirigeants on se redresse pour nous appeler à hurler avec les loups que la liberté d’expression est abolie au Bénin.
On nous dicte qu’une révision constitutionnelle ne devrait pas se suffire du respect de la procédure prévue à cet effet par le constituant lui-même ou encore que le juge constitutionnel serait tenu, pour faire une justice véritablement bonne et digne d’éloge, de prendre des libertés avec la lettre claire et sans ambiguïté de la loi. Comment donc peut-on légitimement et sérieusement inviter, par exemple, celui-ci, à trahir les dispositions de la loi relatives au parrainage qu’elle avait préalablement jugées conformes à la Constitution ?
Pour faire gober tout ce laïus, ces falsifications de l’histoire, on a voulu nous faire admettre que le débat constitutionnel est un domaine réservé, mystérieux et que, donc, il importait d’en écarter tout citoyen et même tout juriste qui n’y serait pas spécialement initié.
Mais, d’abord la Constitution est consentie par le Peuple souverain décidant directement par voie référendaire ou indirectement, à une majorité qualifiée,par l’entremise de ses représentants que sont les parlementaires. Comment donc nous faire accroire que cet auteur n’y comprendrait rien à son œuvre ? La réalité est que, tout citoyen ou toute citoyenne sachant lire et écrire, pour peu qu’il ou elle le veuille réellement, est bien en mesure d’en dire très long sur les dispositions de notre Constitution.
Ensuite tous les juristes ont en égal partage le droit constitutionnel du fait, qu’en définitive, la Constitution est la source première du droit et qu’aucun juriste véritable, de quelque option que ce soit, ne devrait jamais l’ignorer. L’étude de l’organisation générale et du fonctionnement de l’État et des pouvoirs publics, du mode d’établissement, d’exercice et de transmission de l’autorité de l’État est, en effet, le premier viatique de tout juriste. Tous et toutes ont été formés à la connaissance des organes et des attributs de l’État, alimentés sur la sécrétion, la genèse et au sort de la loi, initiés aux droits et devoirs humains.
Mieux encore, dans notre organisation juridique et judiciaire, il est établi, en vertu de l’article 122 de la Constitution, un contrôle de constitutionnalité des lois. La maîtrise de la Constitution de notre pays n’est donc définitivement pas l’apanage de quelques initiés. En tout cas, les juristes et surtout les praticiens du droit de la République du Bénin sont bien au fait de la procédure de contrôle de constitutionnalité des lois qui fait de la loi fondamentale leur outil professionnel de base.
En conclusion de cette opinion, nous rappelons à nos compatriotes que l’heure du choix de nos dirigeants est de nouveau proche. A cette occasion, nous les invitons tous et toutes, dans l’intérêt bien compris de notre devenir commun, à ce que ni notre esprit ne défaille et que ni nos mains ne tremblent pour exprimer notre choix, celui de la renaissance de notre pays, celui de consolidation de la dynamique de redressement.
Par CossiDorothéSossa, Professeur titulaire de droit, avocat