La séparation des pouvoirs est un principe sacro-saint dans un système démocratique. A la lecture des textes de lois sur les attributions de la Police judicaire, il se dégage sans ambages que sa mission relève en partie du Ministère de la justice, mais qu’elle demeure sous la tutelle paradoxale du Ministère de l’intérieur qui est en lien direct avec le pouvoir Exécutif. Le Bénin, en osant aller dans un processus de rattachement, prend ainsi la voie d’une véritable séparation des pouvoirs.
Le contrôle des actes par les magistrats debout
Sur la garde à vue et l’instruction préparatoire, il convient d’être bref pour montrer aux uns et autres l’opportunité du rattachement de la Police judiciaire au Ministère de la justice. En effet, conformément à l’article 18 de la Constitution du 11 décembre 1990, les personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de nature à motiver leur inculpation ne peuvent être gardées à la disposition de l’Officier de police judiciaire plus de quarante-huit (48) heures. A l’expiration de ce délai, ces personnes sont conduites devant le procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, de la prolongation du délai de la garde à vue qui, dans tous les cas, ne peut excéder huit (08) jours. L’inobservation de ces délais et formalités peut donner lieu à l’une des sanctions prévues aux articles 24 et 246 du Code de procédure pénale (Cpp). Le procureur de la République peut décider de la prolongation du délai de la garde à vue dans les cas suivants : crime contre la sûreté de l’Etat ; tout crime ; tout délit contre les mineurs ; dans tous les cas où la complexité ou la spécificité de l’enquête l’exige ; tout trafic et usage de stupéfiants et de substances psychotropes. En vertu des dispositions de l’article 24 du Cpp, les manquements des officiers ou des agents supérieurs de police judiciaire, pris en cette qualité, à leurs obligations prévues au présent Code, peuvent donner lieu, de la part du procureur de la République de leur ressort, à un avertissement ou à un blâme avec inscription au dossier sous le contrôle du procureur général, sans préjudice des mesures prévues à l’article 246 du présent Code. Tout refus d’un Officier de police judiciaire de déférer à une sollicitation d’une autorité judiciaire est passible d’une peine d’amende de cinquante mille (50 000) à cinq cent mille (500 000) francs. Cette peine est prononcée sur réquisition du ministère public par le Président du tribunal ou le magistrat par lui délégué. Lorsqu’une sanction est prononcée, le procureur de la République en informe les autorités du trésor public ainsi que le supérieur hiérarchique de l’agent concerné. L’article 246 prévoit que la chambre d’accusation peut, sans préjudice de sanctions disciplinaires qui pourraient être infligées à l’officier ou l’agent supérieur de police judiciaire par ses supérieurs hiérarchiques, lui faire des observations ou décider qu’il ne pourra soit temporairement, soit définitivement exercer ses fonctions d’officier ou d’agent supérieur de police judiciaire, soit dans le ressort de la cour d’appel, soit sur l’ensemble du territoire. Toute suspension ou tout retrait d’habilitation doit être notifié(e) aux autres parquets généraux. Une commission paritaire constituée de tous les procureurs généraux et de l’administration de la Police nationale d’une part, du procureur de la République et de l’administration de la gendarmerie nationale d’autre part, siégera dans tous les cas au plus tard le 15 décembre de chaque année pour donner suite aux notes et observations, de l’autorité judiciaire, prévues aux articles 23 et 24 du Cpp. L’inobservation des mesures prévues dans le cadre de la garde à vue entraîne l’annulation du procès-verbal, sans préjudice des sanctions prévues aux articles 24 et 246 du présent Code. Aux articles 64, 65 et 66 du même Code, on retient que dans les corps ou services où les Officiers de police judiciaire sont astreints à tenir un carnet de déclaration, les mentions et émargements prévus à l’article précédent doivent également être portés sur ledit carnet. Seules les mentions sont reproduites au procès-verbal qui est transmis à l’autorité judiciaire. Les procès-verbaux dressés par l’Officier de police judiciaire sont rédigés sur-le-champ et signés par lui sur chaque feuille du procès-verbal.
Ces dispositions, bien que limitatives, expliquent les conditions de placement d’une personne en garde à vue Les droits de cette personne placée en garde à vue, la durée de la garde à vue et la fin de celle-ci. La garde à vue étant une mesure de privation de liberté pour des raisons plausibles de croire que la personne a commis ou tenté de commettre l’infraction, a un caractère attentatoire aux libertés. C’est ce qui justifie le fait qu’elle est placée par la loi et la jurisprudence sous le contrôle du Procureur de la République. Ainsi, il est imposé à l’officier de Police judicaire, une obligation d’informer dans un délai strictement encadré le Procureur de la République du placement en garde à vue d’une personne, des motifs du placement et de la qualification des faits notifiés à la personne par tout moyen. Tout retard dans l’information donnée au procureur du placement en garde à vue d’un individu, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief à l’intéressé. Clairement, l’on comprend que c’est une procédure qui se déroule entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Pour l’avancement du policier, tout dépend de l’Exécutif représenté par le ministre de l’Intérieur. Il est coincé entre deux tutelles.
En ce qui concerne l’instruction préparatoire, il faut s’intéresser à la commission rogatoire. La commission rogatoire est une mesure prise par le juge d’instruction. Elle permet de déléguer la réalisation de certains actes d’instruction à un Officier de police judiciaire ou à un autre juge. Selon le législateur du Code de procédure pénale béninois, le juge d’instruction peut requérir, par commission rogatoire, tout juge d’instruction, tout Officier de police judiciaire compétent dans le ressort de son tribunal, de procéder aux actes d’information qu’il estime nécessaires, dans les lieux soumis à la juridiction de chacun d’eux. La commission rogatoire indique la nature de l’infraction, objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui l’a délivrée et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites. Les magistrats ou Officiers de police judiciaire commis exercent, dans les limites de la commission rogatoire tous les pouvoirs du juge d’instruction. Le juge d’instruction commis rogatoirement peut décerner un mandat de comparution et d’amener. Toutefois, les officiers de police judiciaire ne peuvent procéder aux interrogatoires et confrontations de l’inculpé. Ils ne peuvent procéder aux auditions de la partie civile qu’avec le consentement de celle-ci.
Une garantie théorique de non interférence
Les dispositions prises en l’état semblent donner une garantie de ne point divulguer les secrets. Mais certains qui ont fait le débat avant le Bénin en 1996 ont relevé que ce n’est que théorique. « Les missions et les enquêtes de Police judiciaire sont traditionnellement dans notre pays sous l’étroite dépendance administrative et parfois politique du ministre de l’Intérieur qui peut interférer, via l’autorité hiérarchique qu’il exerce sur l’ensemble des services de police, y compris ceux dont les missions sont exclusivement judiciaires, s’ingérer, accélérer ou « engluer » une enquête et une instruction dans les dossiers « suivis » et pointus alors même que les procureurs de la République sont censés diriger les services de Police judiciaire placés sous le contrôle des procureurs généraux et des chambres d’accusation… », témoigne le procès-verbal de la séance du 5 novembre 1996 du Sénat français. Mais dans un article de Pierre Januel publié le 22 juin 2020 dans la Revue Dalloz, titré ‘’Indépendance de la justice : la place de la police’’ les propos des généraux Christian Rodriguez et Frédéric Veaux, respectivement directeurs généraux de la Gendarmerie nationale et de la Police nationale devant la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire le 04 juin 2020, ont réfuté la thèse de toutes interférences. Pour le Dggn, « sur le secret de l’enquête et de l’instruction, les choses sont clairement écrites à l’article 11 du Code de procédure pénale. Tant dans l’esprit que dans la lettre, l’idée est de n’informer une autorité qui n’a pas à connaître de l’enquête judiciaire que s’il y a un risque de trouble à l’ordre public ou si quelque chose risque de rejaillir sur son périmètre. C’est vrai pour les préfets, pour le ministre ou le Dggn. Il y a un certain nombre d’affaires où l’on sait que, derrière, il y aura un sujet d’ordre public à traiter ou un sujet à réguler. Chacun s’astreint à mettre le curseur au bon endroit pour ne pas dévoiler des choses qu’il ne devrait pas dévoiler. […] Concrètement, on travaille sur des fiches, qui me remontent et avec lesquelles je peux discuter avec le cabinet du ministre dans l’esprit de l’article 11 du Code de procédure pénale. Sur le plan national, on doit avoir trois ou quatre fiches par jour ». Pour son homologue de la Police nationale, « il peut nous arriver de devoir confirmer ou non la réalité d’informations diffusées sur la presse ou les réseaux sociaux ». « Au-delà, il n’y a pas de volonté de connaître ce qui se passe dans les enquêtes, sauf quand cela concerne directement la Police nationale. J’ai le souvenir d’un jeune homme qui s’est tué à moto à Argenteuil. C’est important pour tout le monde de savoir les conditions dans lesquelles il s’est tué, savoir ce que cela pourrait avoir comme conséquence en termes d’ordre public ou de discipline en interne. » Mais il insiste : « En trente années de Police judiciaire, je n’ai jamais reçu aucune instruction ni subi aucune pression pour faire évoluer d’une manière différente le déroulement de l’enquête qui m’avait été confiée. » En attendant de connaître la position des hommes en uniformes béninois, il est bénéfique que l’on tire la véritable conclusion de cette réforme en téléchargement. Le mieux serait de suivre la ligne tracée par le gouvernement du Nouveau départ.
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