Le professionnel béninois et ancienne gloire de la boxe, Nazaire Padonou a brisé le silence il y a quelques semaines au sujet de sa situation. Selon ses confidences, il serait en proie à une vie misérable, et contraint à un abandon total depuis qu’il a quitté les rings. Une alerte qui a suscité une indignation populaire. Le journal « Le Matinal » a entrepris d’interroger l’intéressé et les autorités sur la situation aux fins d’en savoir sur l’éventuelle suite à accorder au cri de cœur du septuple champion d’Afrique de boxe.
Nazaire Padonou : « Si Dieu ne m’aimait pas, je ne serais plus vivant »
Le Matinal : Est-ce que les titres gagnés durant votre carrière n’ont pas généré financièrement quelque chose qui puisse vous permettre de planifier votre retraite ?
Nazaire Padonou: Là où le manager prenait 10 millions voire 20 millions par sponsoring à l’époque, nous les acteurs, on ne gagnait même pas 100.000 Fcfa, 150.000 FCfa. C’était un cercle et si vous n’acceptez pas les conditions, vous êtes écarté. Vous étiez quand même obligé d’accepter compte tenu de l’amour pour la Nation. Même ce qu’on nous donnait dans les salles après les victoires, on se les partage. C’est pour vous dire qu’on n’avait pas de bons manageurs à l’époque pour mieux nous gérer. La seule chance que j’avais eue à l’époque, j’ai crié sur tous les toits et Nestor Avononmadégbé a répondu à mon appel. C’est lui qui m’a organisé un championnat d’Afrique. C’est après son évènement que j’ai obtenu un (01) million pour la toute première fois dans la boxe.
C’est le plus haut montant que vous avez perçu durant votre carrière ?
Exactement ! C’est le plus gros montant que j’ai perçu. Après cela, les combats en Tunisie où j’ai perdu ma ceinture à l’époque, j’avais eu une pareille somme. En dehors de ces deux matchs, tous les autres, c’est 100.000 Fcfa, 150.000Fcfa. Si vous n’acceptez pas, vous ne boxez pas.
En tant qu’ancien boxeur, n’avez-vous pas la possibilité de devenir entraîneur de club plutôt que d’exercer en tant que conducteur de taxi-moto ?
Je suis père de famille. Chaque matin, je dois répondre au devoir conjugal. J’ai fait l’expérience à l’époque avec les jeunes moyennant rien. J’avais un club de la place reconnu par la Fédération qui m’avait sollicité pour encadrer les plus jeunes. On s’entrainait à l’ex-Sonar au quartier Vodjè à Cotonou. Après deux ou trois séances d’entrainement, on vous donne 1000 FCfa. Le lendemain, vous n’avez rien. Puisqu’il n’y avait pas d’encouragement, j’ai dû jeter l’éponge pour pouvoir subvenir aux besoins de mes enfants.
Est-ce que vous avez bénéficié du soutien des précédents régimes, de Kérékou à Yayi ?
J’ai obtenu 5 millions de francs Cfa il y a plus de 20 ans.
Vous parlez bien de cinq millions ?
Le président Mathieu Kérékou m’avait fait l’honneur de me remercier pour les titres que j’ai eu à glaner. J’ai fait mon acrobatie sans l’aide de la Fédération béninoise de boxe et sans l’aide du ministre des sports de l’époque. C’est quand ça a pris que le ministre Valentin Aditi Houdé m’avait accompagné. Sinon, ce n’est pas une fédération qui m’a envoyé auprès du président Kérékou. C’est par mes propres moyens que le chef de l’Etat Mathieu Kérékou m’avait reçu. Ce que je vais dire, c’est que les footballeurs gagnent des cinquantaines de millions. Dans le même temps, moi, en tant que boxeur, on m’a offert 5 millions depuis plus de 20 ans. C’est ça qui fait mal. C’est ça qui créé la jalousie et la haine. Au moment où j’encaissais les coups de poing, si j’étais mort ou si j’étais tombé sur le ring personne, n’allait s’apitoyer sur mon sort. C’était un risque énorme que je prenais en ce temps. Tout le monde peut être footballeur, mais tout le monde ne peut pas être boxeur. J’ai reçu des coups de poing. J’ai eu des séquelles partout. Actuellement, j’ai des cataractes dans les deux yeux. C’est grâce à la fondation Claudine Talon qu’on m’a enlevé un œil. Malgré ça, j’ai du mal à bien voir les choses. Je vais trainer ça toute ma vie.
En dehors du président Kérékou, est-ce que vous avez bénéficié d’autres soutiens de chefs d’Etat ?
Ce sont mes jeunes frères boxeurs qui ont bénéficié du soutien du président Boni Yayi. C’est ceux qui sont venus après nous.
Et au niveau du président Talon, est-ce que vous avez reçu du soutien ?
Je n’ai pas eu de soutien avec le président Talon. Le ministre des Sports m’a reçu et m’a aidé. Il m’a dit : « Padonou, même si je prends un bâton magique pour dire que vous, les anciennes gloires de la boxe, je vais vous prendre en charge, mes collaborateurs peuvent dire non car, ce n’est pas une décision du gouvernement ni de l’Assemblée nationale. C’est sur la base de ces deux décisions que moi (le ministre), je peux faire quelque chose. » Il me disait que si la décision ne vient pas du haut, que lui, en tant que ministre des Sports, il ne pouvait rien. La preuve, quand j’avais introduit la plainte de mes deux yeux, il a donné des ordres pour qu’on opère mes deux yeux, mais ses collaborateurs ont refusé, en demandant où ils vont trouver les sous pour qu’on puisse m’opérer. Alors, le ministre m’a dit si tu as des problèmes, il faut venir me voir. Je décide d’aller voir le ministre, mais il n’est jamais là. Vous pensez que moi je vais attendre ça avant de pouvoir nourrir mes enfants à la maison ? Je ne peux pas attendre pour nourrir ma famille.
Quelles sont vos relations avec la Fédération en place ?
La Fédération qui a actuellement en charge la boxe béninoise, elle vient d’arriver. Personnellement, je ne maîtrise par le nouveau président. Moi, j’ai évolué avec les Fédérations tenues par Prudencio, da Silva, Tankpinou, Médétadji et feu Noutaï. Tout au moins sept Fédérations que j’ai connues et elles ont fait de bons boulots. Elles se sont battues pour les intérêts des acteurs de la boxe malgré que les promoteurs nous utilisent à leurs manières. C’était ces Fédérations qui avaient fait qu’on était au moins payés en tant que champions d’Afrique à 70 000 Fcfa par le gouvernement du président Mathieu Kérékou alors qu’on était à 40 000f au temps de Soglo. C’était des primes d’encouragement pour qu’on puisse aller loin avec les couronnes. C’est même pour cela que le cachet de boxeur ne nous disait rien parce que même si l’autre vous exploite, vous venez au moins au Ministère pour percevoir quelque chose afin de mieux vous préparer pour les prochains combats. Le Ministère des Sports et les Fédérations d’alors ont su gérer ces choses avec nous jusqu’à la fin de nos carrières. Ces Fédérations ont fait ce qu’elles peuvent mais ce qui fait mal, c’est les millions qu’on n’a pas gagnés alors que de partout où on entend ton nom, on pensait que tu gagnais des millions. Le boxeur béninois était incapable de dire le montant qu’il devrait recevoir pour un combat. Qui es tu pour t’imposer ? C’était une jungle. Tu prends ça ainsi ou on t’écarte. Je n’ai rien gagné avec la boxe véritablement. Là où les autres sont à 10, 15 millions ou 50 millions dans lesquels ils peuvent gagner quelque chose, nous, on n’a rien. Un champion ghanéen sort aujourd’hui pour un combat à Las Vegas, il paie au moins quatre maisons ensemble avec des voitures de luxe. On ne peut pas se comparer à ces gens mais, ce sont eux qu’on battait sur le ring. C’est simplement triste.
Propos recueillis par Karol Sékou (Coll)