La réforme de la décentralisation proposée par le gouvernement et exposée aux maires hier, mardi 21 septembre 2021, est saluée par l’expert Franck Kinninvo. Joint par le groupe de presse “Le Matinal” après la rencontre, le président de la fondation “Le Municipal” en a relevé les forces et faiblesses. S’agissant des faiblesses, il pense que celles toujours déplorées au niveau des collectivités territoriales depuis quelques années seront corrigées. Lire ci-dessous, l’intégralité de l’interview.
Groupe “Le Matinal” : Vous avez pris connaissance du projet de réforme de la décentralisation. Comment l’appréciez-vous ?
Franck Kinninvo : Ce projet de réforme du gouvernement vient à point nommé pour corriger les faiblesses qu’on a toujours déplorées au niveau des collectivités territoriales depuis quelques années. Je pense que c’est une très bonne chose. Maintenant, on ne peut pas apprécier la réforme juste avec le contenu qui a été rendu public aujourd’hui. Il faut plus d’éléments. Il faut voir les textes de loi et autres pour faire une bonne appréciation. Mais, je pense que tel qu’énoncé, c’est un bon début à part quelques problèmes qu’on peut relever.
En matière de forces, quelles sont les grandes avancées notées ?
Je pense que le premier point qu’il faut saluer et féliciter c’est le courage que le gouvernement a eu de séparer les fonctions politiques des fonctions techniques. C’est vrai que les gens pensent que les maires sont dépouillés mais ils ne le sont pas véritablement. Et je vais vous le prouver. Premièrement, le maire est renforcé dans ses fonctions à la tête en tant que président du Conseil communal et municipal. Deuxièmement, le maire est renforcé par un autre organe. On peut se dire qu’il y a trop d’organes etc. Mais cet organe ne coûte rien de plus donc le Conseil de supervision qui est quand même un organe qui permet au maire de contrôler la manière dont le Secrétaire exécutif fonctionne. Donc, cela permet de prendre les décisions parce qu’on était dans un schéma où le maire se retrouve à la tête du Conseil d’administration et il se retrouve encore comme le Directeur général qui exécute les décisions du Conseil d’administration. C’est vrai que c’est la forme qu’on retrouve globalement dans 80% au moins des pays en matière de décentralisation. Mais, dans le contexte béninois, cela pèse parce que l’idée aussi du gouvernement, c’est de permettre aux maires de ne pas subir trop de pressions politiques pour ne pas faire ce pourquoi ils ont choisis. Cela, c’est la première innovation. La deuxième innovation, c’est l’organe du Conseil de supervision qui remplace plus ou moins la municipalité qui a des compétences précises et bien déterminées et qui contrôle l’action du Secrétaire exécutif. Troisième chose, c’est qu’on a une administration communale qui est mieux structurée aujourd’hui. Il y a un Secrétaire exécutif qui est entouré de directeurs compétents et qui travaillent relativement en indépendance, en autonomie et qui ne sont pas soumis à une pression des pouvoirs public parce que dans le projet du gouvernement, quand même, on remarque qu’il n’y a pas de lien hiérarchique entre le maire et le Secrétaire exécutif. Maintenant, dans la pratique, cela peut entraîner un certain nombre de problèmes quitte aux maires, aux Secrétaires exécutifs et aux préfets de voir comment régler cela.
En matière de force aussi, il faut voir que les organes infra-communaux c’est-à-dire au niveau des arrondissements, il y a un Secrétaire exécutif maintenant qui va intervenir et qui a un niveau Bac+3 Ena1 qui sera mieux outillé parce que la question de la démocratie locale, c’est une chaîne qui part du Conseil communal qui descend au niveau de l’arrondissement et dans les quartiers de ville et village. Donc, il fallait des ressources humaines en appoint pour animer cela. Il y a également la catégorisation des collectivités territoriales. Je pense que c’est une bonne chose. On a maintenant trois catégories de Communes. Avant on en avait deux. Je pense que l’accompagnement sera dimensionné à la mesure de chaque catégorie.
Qu’en est-il des faiblesses ?
En matière de faiblesses, c’est qu’au niveau du Secrétariat exécutif, on retrouve qu’il y a une part trop belle. Un déséquilibre au profit Secrétaire exécutif parce qu’il fait un mandat de 6 ans, il n’y a pas un contrôle du maire sur lui sauf en cas de faute lourde. Je trouve que ce n’est pas une bonne chose. On peut lui donner un mandat plus court. On peut permettre aux maires de s’en séparer si les objectifs ne sont pas atteints. Et donc, on peut permettre par exemple que si le maire estime que les objectifs n’ont pas été atteints, que cette évaluation soit partagée avec l’Autorité de tutelle avant de mettre fin à sa nomination. Donc, je pense qu’on peut assouplir les mesures de protection autour du Secrétaire exécutif. L’autre chose c’est que, entre le Conseil communal et Conseil de supervision, il est question que le Conseil de supervision adopte le budget et que le Conseil communal valide. C’est bon de le dire maintenant mais si le Conseil communal ne valide pas le budget adopté par le Conseil de supervision, qu’est-ce qui se passe ? Il y a quand même un certain nombre de difficultés qu’on peut entrevoir dans ce partage de responsabilités budgétaires entre le Conseil de supervision et le Conseil communal. Voilà les deux éléments que je vois là maintenant et que je peux partager avec vous.
Cette réforme, c’est l’acte II de la décentralisation. Donc, on sort quand même du schéma initial qui reposait sur le maire or c’est vrai comme le gouvernement l’a souligné, le maire peut ne pas avoir des aptitudes techniques pour gérer ces fonctions. Ensuite, le maire peut être confronté à des contraintes politiques. Je pense donc que ce qui a été fait par le gouvernement globalement est une grande innovation. Si on fait quelques aménagements, on peut avoir vraiment des performances au niveau des collectivités territoriales.
Vous savez, la décentralisation est financée par l’Etat en grande partie. Disons que si le système ne convient pas au gouvernement, il y aura moins de ressources au niveau des collectivités territoriales. Je pense que c’est important, c’est vraiment important que le système en place soit en phase avec les attentes du gouvernement. Mais, globalement, on a un système qui sera plus compétitif. Je pense qu’il y a quelques réglages qu’il faut juste faire et cela devrait aller.
Des réserves par rapport à la réforme ?
A mon avis, le Secrétaire exécutif est trop protégé. Il ne rend pratiquement compte à personne. Deuxièmement, je pense aussi que, entre le Conseil de supervision et le Conseil communal, on pourrait avoir des interférences mais l’idée globale à mon avis, c’est que les grandes décisions au niveau politique, au niveau d’orientation soient prises par le Conseil communal et que le Conseil de supervision soit là juste pour contrôler le fonctionnement du Secrétariat exécutif. La dernière chose, c’est que la réforme n’a pas pris en compte les vrais problèmes de ressources humaines parce que c’est déjà un pas de mettre les directeurs, de soumettre les directeurs, leur nomination à des listes d’aptitude, et le personnel à l’intérieur de chaque direction ? Donc, il y a encore des défis à relever à ce niveau là.
Propos recueillis par Angèle Toboula