« La presse au service de la planète: Crise environnementale et urgence du journalisme », tel est le thème de la 31ème édition de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Dans l’ensemble, si le paysage médiatique du pays est diversifié, il reste marqué par l’absence de grandes entreprises de presse viables. De janvier 2024 à ce jour vendredi 3 mai 2024, on dénombre zéro collaborateur des médias et de journaliste tués et zéro journaliste et collaborateur des médias en prison au Bénin selon Reporters sans frontières. A l’occasion de la célébration de cette fête, des professionnels des médias et un acteur de la société civile se sont prononcés sur la liberté de la presse et le visage de la presse après 8 ans de gouvernance du président Talon.
Prudent Nasséhou, directeur de la radio « Campanil citée » : « La presse béninoise essaie de survivre »
« Depuis 8 ans, la presse béninoise essaie de survivre. Elle est résiliente et se bat contre les diverses mutations technologiques et économiques. Elle a besoin du souffle de nos dirigeants. Elle a besoin d’oxygène. Vous savez qu’il y a un rapport aujourd’hui sur la table du président de la République. Un rapport qui vise l’amélioration des conditions de vie des journalistes et des entreprises de presse en République du Bénin. Parce qu’en principe, si les entreprises de presse se portent mieux d’une façon ou d’une autre, les journalistes vont mieux se porter, mais là encore, faudra-t-il engager les patrons de presse dans le recrutement de journalistes professionnels, dans une meilleure gestion des entreprises de presse et surtout dans la professionnalisation du travail du journaliste. Donc, l’espoir est permis quand je m’en tiens aux divers acteurs qui se sont réunis pour amender le rapport avant qu’il ne soit déposé. Je pense que les problèmes et les recommandations nécessaires sont faites et il revient au président de la République de pouvoir offrir ce cadeau là en fin de mandat aux professionnels des médias que nous sommes, parce qu’il n’y a pas de démocratie vitale sans une presse indépendante et cette presse indépendante passe par des entreprises de presse prospères, compétitives qui bénéficient d’un certain nombre de facilités. L’accès aux sources d’information, vous savez que c’est un problème récurrent au Bénin et ça, il suffit d’une volonté politique pour le faire. La couverture sanitaire pour les journalistes, ça passe par des choix éclairés. On a besoin d’une volonté politique pour améliorer le visage de la presse au Bénin. J’ai espoir que de meilleurs jours sont à venir si les engagements pris par le chef de l’Etat sont honorés. Il a encore deux ans et on espère que dans les deux ans qui viennent, il y aura une amélioration de l’image des entreprises de presse au Bénin. Il faudra aussi insister sur la nécessité pour les patrons de presse, de conduire les entreprises de presse à travers le recrutement de professionnels des médias, la mise à disposition d’intrants, de moyens de travail qui à terme, vont induire une amélioration qualitative des productions. »
Alphonse Soudé, journaliste, analyste politique : « Que l’Etat donne les moyens à la presse »
« Je voudrais que pendant les deux ans qui restent au régime de la Rupture, qu’on puisse permettre à la presse de redorer son blason. Le chef de l’Etat lors de la campagne pour la Présidentielle en 2016, disait déjà qu’il faut responsabiliser la presse, qu’il faut désormais permettre aux membres de la Haac d’élire leur président. Je crois que si c’était le cas, la Haac allait avoir un autre visage et je voudrais que l’Etat donne les moyens à la presse. Le chef de l’Etat a promis d’accompagner la presse, mais il y a des organes de presse qui sont fermés et des journalistes qui se retrouvent à la maison et pour couronner le tout, il y a la loi sur le numérique et le code de l’information. Il y a beaucoup de goulots d’étranglement qui en huit (08) ans se sont dressés sur le chemin de la presse. Les moins courageux sont sortis, les courageux continuent d’exercer et les intrépides affrontent toutes les situations sans avoir peur. J’inviterai les uns et les uns à donner à la presse ses lettres de noblesse. »
Landry Adélakoun, juriste acteur de la société civile : « La liberté de presse est un nœud de la démocratie et de l’Etat de droit »
« Après 8 années de gouvernance du président Patrice Talon, il faut commencer par faire remarquer que tous les rapports qui ont trait de façon globale à la situation des droits humains dans notre pays, tous les rapports qui ont trait de façon spécifique à la liberté de la presse dans notre pays, révèlent que le Bénin a dégringolé et que l’état de la presse s’est considérablement rétréci et la liberté de presse est suffisamment entravée dans notre pays. Vous l’aurez remarqué, il y a eu assez de décisions dans lesquelles l’on a pu constater par exemple la suspension presque ad vitam aeternam de certains organes de presse. Il y a des organes de presse qui, après avoir été étouffés économiquement, ont dû jeter la clé sur le paillasson. Donc, assez de difficultés que nous avons pu observer. Nous avons un Code du numérique qui vient contredire le Code de l’information et de la communication de 2015 et qui aujourd’hui, fait que les journalistes courent le risque de l’autocensure de l’emprisonnement. Nous avons cet état de chose qui fait qu’on peut conclure au regard des rapports des différents acteurs qui notent bien la santé de la liberté de la presse un peu partout dans le monde, je veux parler de Reporters sans frontières, que la liberté de la presse tout comme les autres libertés, est malade dans notre pays. Pendant huit (08) ans, au lieu d’aller vers une amélioration de ce milieu, au lieu d’aller vers plus d’effectivité de la liberté de presse comme l’avait promis d’ailleurs le candidat Patrice Talon, nous avons constaté le contraire. Aujourd’hui, nous avons une liberté complètement encadrée oubliant que la liberté de presse est également un nœud de la démocratie et l’Etat de droit. »
Willyam Klikan, journaliste à Canal 3 Bénin : « Le misérabilisme des professionnels des médias s’est accru »
« La presse est un des secteurs les plus mal assortis après 8 ans de gouvernance de Patrice Talon. La viabilité des entreprises de presse n’est plus un débat : tout est à terre. Les nouveaux mécanismes de financement public de la presse privée sont restés jamais actés. Le misérabilisme des professionnels s’est accru. La convention collective toujours en veilleuse, la centralisation de l’information institutionnelle et gouvernementale est de mise, la garde à vue et l’incarcération de journalistes pour délit de presse au nom d’un certain Code du numérique devient monnaie courante ; puis le taux de mortalité des organes de presse reste très bien élevé. Les rapports de Reporter sans frontières en disent longs ! Pour un chef d’Etat qui a promis en venant au pouvoir, une réforme structurelle de la Haac et de la presse, c’est une grande déception. Les nouveautés de la loi organique de la Haac ont travaillé plutôt à faire rempiler des conseillers, à confier le scrutin à la Céna, mais les vrais maux demeurent. L’immixtion du politique est toujours au centre de l’institution. Le président de la République en a pris conscience l’an dernier à travers la demande de proposition de réforme qu’il a souhaitée, un processus conduit par la Haac. Plus d’un an après, le mémoire est aujourd’hui déposé sur sa table et en bonne voie, apprend-t-on. Vivement, que cette fois, quelque chose de réel soit fait pour que les médias n’attendent pas un contrat gouvernemental pour vivre, que les professionnels survivent tout au moins au lieu d’être disetteux comme c’est actuellement le cas, et qu’ils travaillent en toute quiétude. Toute démocratie, sans exception, grande ou petite, gagne à avoir une presse libre, réellement libre. »
Paul Danongbé, journaliste promoteur du média en ligne Africaho : « La presse béninoise s’est davantage diversifiée »
« Il faut faire remarquer que la presse béninoise dans son professionnalisme et dans sa rigueur s’est davantage diversifiée avec l’arrivée des nouveaux médias (médias en ligne) dans l’écosystème médiatique du Bénin. Cet état de chose a changé totalement le visage de la presse. Aujourd’hui, la presse, au-delà des médias conventionnels qui gardent toujours leur place, a beaucoup plus migré sur l’espace numérique. Aujourd’hui, nous faisons le triste constat que les journalistes et les organes de presse travaillent et évoluent dans un environnement assez délétère, assez fragile ou le modèle économique qui, autrefois offrait quelques opportunités en termes de contrat avec les institutions à l’échelle nationale et internationale, reste d’une grande relativité. C’est un appel que je lance en cette journée de liberté de presse à l’endroit des gouvernants pour la mise en place d’une bonne politique qui favorise la création et le maintien d’entreprises de presse au Bénin. »
Propos recueillis par Sergino Lokossou (Coll)