(Lire l’interview exclusive du président Me Luciano Hounkponou)
Créée depuis 2009 avec la promulgation de la loi n°2009-09 du 22 mai 2009 portant Protection des données à caractère personnel en République du Bénin qui a mis en place la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), l’Autorité de protection des données à caractère personnel (Apdp) fait son petit bonhomme de chemin. A date, plusieurs activités de sensibilisation et de formation ont été menées dans tout le pays. A travers une interview exclusive, le président de l’Autorité, Me Luciano Hounkponou, dresse le bilan. A l’en croire, les grandes entreprises et l’ensemble du secteur public accomplissent aujourd’hui les démarches de mise en conformité avec le régime de protection des données personnelles en vigueur au Bénin auprès de l’Apdp. La preuve, l’Apdp a autorisé en 2024, 560 traitements de données à caractère personnel contre 412 en 2023 et rendu 14 décisions au terme des sessions plénières siégeant en contentieux. Ci-dessous, l’intégralité de l’interview.
Le Matinal : Qu’est-ce que l’Autorité de protection des données à caractère personnel et quelles sont ses missions ?
Me Luciano Hounkponou : L’Autorité de protection des données à caractère personnel (Apdp) est une autorité administrative indépendante qui est chargée de veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte à l’identité humaine, aux droits de l’Homme, à la vie privée, aux libertés individuelles ou publiques. Elle est consacrée par le livre Vème de la loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique telle que modifiée par la loi n°2020- 35 du 06 janvier 2021. L’Apdp est une autorité administrative indépendante, dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative, financière et de gestion.
Ce statut a plusieurs implications :
– « …la personnalité juridique… » : capacité juridique, aptitude à avoir des droits et des obligations, responsabilité pénale de l’institution peut être engagée.
Un Recours juridictionnel contre les décisions de l’Autorité est d’ailleurs prévu par les dispositions des articles 458 et 490 ;
– « …l’Autonomie administrative et financière… » : administration libre et sans contraintes excessives ;
– « …l’Autonomie de gestion … » : indépendance dans la gestion (modalité de recrutement des agents et gestion du personnel…) ;
– « …Budget… » : Il est alloué annuellement à l’Autorité des crédits nécessaires à son bon fonctionnement. Ces crédits sont inscrits au budget de l’État. L’Autorité peut recevoir des subventions de la part des organisations internationales dont l’Etat est membre et de tous autres organismes légalement constitués. Elle peut également bénéficier de ressources propres issues de l’exercice de ses activités.
L’Autorité est composée de huit (08) membres qui en session plénière procèdent à l’élection d’un Bureau composé d’un Président et d’un Rapporteur.
L’Apdp a pour missions : informer, orienter et conseiller les citoyens et responsables de traitement sur leurs droits et devoirs ; recevoir et instruire les dossiers (déclarations, autorisations, réclamations, pétitions et plaintes relatives à la mise en œuvre des traitements des données à caractère personnel) puis, informer leurs auteurs des suites données à celles-ci notamment si un complément d’enquête ou une coordination avec une autre autorité ou structure de protection nationale est nécessaire ; émettre de sa propre initiative des avis motivés ou des recommandations sur toute question relative aux principes fondamentaux de la protection de la vie privée ; veiller à ce que les responsables de traitement garantissent les droits des personnes concernées ; recenser et contrôler les fichiers gérés par les responsables de traitement ; et sanctionner ou faire sanctionner par les juridictions compétentes.
Depuis 2018 que la loi portant Code du numérique a institué l’Apdp, quel bilan peut-on faire en sept (7) années d’exercice ?
Il convient de dire que l’Autorité existe depuis 2009 avec la promulgation de la loi n°2009-09 du 22 mai 2009 portant Protection des données à caractère personnel en République du Bénin qui a mis en place la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Ainsi, à date, plusieurs activités de sensibilisation et de formation ont été faites sur la décennie dans tout le pays. Aujourd’hui, la quasi- totalité des grandes entreprises et l’ensemble du secteur public accomplissent des démarches de mise en conformité avec le régime de protection des données personnelles en vigueur au Bénin auprès de l’Apdp. A titre illustratif, l’Apdp a autorisé en 2024, 560 traitements de données à caractère personnel contre 412 en 2023 et rendu 14 décisions au terme des sessions plénières siégeant en contentieux. Entre autres activités : la vulgarisation du livre Vème du code du numérique portant sur la protection des données personnelles de sorte à intégrer la culture de la protection des données personnelles dans le quotidien des administrations publiques et privées et des citoyens ; la désignation des délégués à la protection des données personnelles par tous les ministères ; la formation des acteurs des principaux secteurs qui collectent et traitent des données à caractère personnel (secteur public, du secteur de la santé, du système financier, des collectivités territoriales, des photographes, compagnies aériennes et agences de voyage… ; la veille technologique quotidienne ; la célérité dans le traitement des plaintes (48 H) ; la prise de délibérations pour encadrer les formations sur la protection des données personnelles ainsi que la certification des délégués à la protection des données personnelles ; la mise à disposition d’outils facilitant la mise en conformité et l’exercice des droits ; et la mise en œuvre du programme « éducation au numérique » à travers les 12 règles obligatoires du numérique…
Quel est le constat général aujourd’hui au Bénin en matière de protection des données à caractère personnel ?
Je pense que les mesures de protection que déploie l’Institution de protection des données personnelles qu’est l’Apdp ont commencé par prendre. Mieux qu’hier, les gens sont de plus en plus nombreux à savoir qu’ils peuvent se porter vers l’Apdp pour une meilleure protection de leurs données personnelles. Mais la majorité des Béninois n’a pas encore le reflexe qu’il faut pour une meilleure protection de leurs données personnelles. Et c’est à cela que nous travaillons au quotidien à l’Apdp : que tout traitement de donnée personnelle soit déclaré par le responsable de traitement et que toute personne concernée par un traitement de donnée personnelle soit en mesure d’exercer ses droits.
Vous êtes à la tête de l’Autorité depuis le 12 mars 2024 en remplacement de Me Yvon Détchénou. En moins d’un an, quelles sont les actions phares à mettre à votre actif ?
C’est au bout de l’ancienne corde qu’on tresse la nouvelle… A l’instar de mes prédécesseurs, le travail acharné pour l’examen des dossiers de conformité se poursuit. Nous avons mis en place dès notre arrivée une stratégie pour notifier toutes les décisions rendues aux requérants et aujourd’hui nous faisons suivre les décisions juste après les délibérations de la plénière. Les interpellations des responsables de traitement auteurs de manquements au livre Vème du code du numérique se poursuivent et nous avons opté également pour une communication renforcée afin d’accentuer la visibilité de l’Autorité au niveau des structures, des populations et à l’international. Nous avons multiplié également les rencontres et partenariats avec les acteurs de l’écosystème du numérique ainsi que les Autorités sœurs de par le monde.
Pourquoi multipliez-vous autant de séances de prise de contact et de formations des institutions et organes de la République ?
C’est comme je l’annonçais déjà plus haut, l’objectif est de rendre plus visible l’Apdp et de travailler non seulement à développer la culture de la protection des données personnelles dans nos administrations publiques et par la même occasion de renforcer nos liens de coopération afin d’avancer ensemble vers les objectifs de développement.
Beaucoup de maisons et d’entreprises disposent de systèmes de vidéosurveillance. Des structures collectent également les données des Béninois à plusieurs fins. L’Apdp a-t-elle un mécanisme interne de surveillance de ces données collectées?
Comme mécanisme interne de surveillance des données collectées par système de vidéosurveillance, je peux évoquer le contrôle sur pièce (formulaire de demande de traitement de données par capteurs de l’Apdp), le contrôle sur site (contrôle des données factuellement collectées par les caméras notamment les images et les sons).
Au plan régional et international, quelles relations entretient l’Apdp avec les structures sœurs ?
L’Apdp est membre du Réseau africain des autorités de protection des données personnelles (Rapdp), membre de l’Association francophone des Autorités de protection des données personnelles (Afapdp), membre de la Global privacy assembly (Association mondiale de la protection de la vie privée) et membre également de l’Association des autorités de protection des données personnelles membres de l’Oic. L’Apdp participe activement aux réunions statutaires de ces organisations.
Nous avons aussi développé des coopérations bilatérales avec des accords de coopération signées avec les Autorités du Maroc, du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Cette année, nous sommes d’accord avec l’Autorité du Sénégal pour le même exercice.
Quels sont vos propos conclusifs à cet entretien ?
Vous remercier pour cet entretien tout d’abord. A l’endroit de nos concitoyens, je voudrais dire, pour que vos données à caractère personnelles soient bien protégées, vous avez une grande décision à prendre. C’est vrai qu’avec le numérique, il n’y a pas de sécurité à 100%. C’est pourquoi je vous invite à mettre en pratique les conseils pratiques contenus dans les 12 règles du numérique définies par l’Apdp. A tous les responsables d’entreprise qui utilisent les caméras de vidéosurveillance et ou qui traitent des données personnelles, allez à l’Apdp faire les formalités de mise en conformité pour ne pas vous exposer à la rigueur de la loi.
Je vous remercie !
Propos recueillis par Serge Adanlao