(Bénin, premier pays africain audacieux)
30 septembre 2021 ou le 15 Novembre 2021 ; deux dates, une contractuelle et l’autre de délai de grâce pour la finition des travaux du Musée International de la Mémoire et de l’Esclavage, en plein chantier à Ouidah dans le sud du Bénin. C’est le fruit de l’audace du Bénin sous l’égide de Patrice Talon qui a osé réclamer les œuvres d’art à partir de 2016. Une pédagogie originale qui rendra surement fiers Glèlè, Ghézo, Béhanzin depuis leurs tombes.
25 décembre 2021 au plus tard, 26 œuvres d’art spoliées en période coloniale par les soldats français dirigés par le général Dodds à Abomey en 1892. Ce sera l’achèvement d’un processus original dont le maitre reste le président Patrice Talon. Tout commença par le conseil des ministres du 27 juillet 2016. Au cours de ce conclave hebdomadaire, il a été examiné une communication conjointe du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération et du Ministre du Tourisme et de la Culture relative au retour, au Bénin, des objets précieux royaux emportés par l’armée française lors de la conquête de novembre 1892. En effet, le Gouvernement du Bénin, dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie pour le développement culturel et touristique, a pris l’initiative d’engager, avec l’appui de certains compatriotes et du Conseil représentatif des associations noirs de France (Cran), ce processus de retour des objets royaux emportés par l’armée française lors de la conquête de novembre 1892.
En approuvant cette communication, le conseil des Ministres a instruit le Ministre du tourisme et de la Culture aux fins des dispositions à prendre en vue de la construction d’une enceinte sécurisée au musée historique d’Abomey pour accueillir et abriter les biens à leur retour ; le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, aux fins des négociations à faire avec les autorités françaises et l’Unesco, à travers les Fonds du comité inter gouvernemental, pour le retour des biens culturels afin d’obtenir d’une part, le recensement préalable de tous les biens royaux précieux emportés en 1892 et répartis actuellement dans les musées français (musée de l’homme, musée de Quai Branly) et dans les collections privées et d’autre part d’organiser l’acheminement des biens ainsi recensés vers le Bénin. Le Bénin a ainsi initié la demande de restitution à la fin du règne du président français François Hollande. Au nom du principe d’inaliénabilité des collections nationales inscrit aux articles L.52 du Code du Domaine de l’État et L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques du droit français du patrimoine culturel , la demande a connu un rejet rédhibitoire comme d’habitude, cette fois-ci de Jean-Marc Ayrault, ministre français des Affaires étrangères en ce temps. Ce principe qui admet de dérogation qu’est la procédure de déclassement des œuvres d’arts du patrimoine culturel mais jamais usitée, vise à protéger les biens conservés dans les établissements culturels (bibliothèques, musées et les collections privées répondant à certains critères..). Rappelons que le 10 décembre 2013 (date anniversaire de la mort de Béhanzin et journée internationale des droits de l’Homme), Louis-Georges Tin, maître de conférences en lettres et Nicéphore Soglo, ancien président du Benin) écrivent dans une tribune ‘’Appel pour la restitution des biens mal acquis du musée du Quai Branly, pillés pendant la colonisation’’ : ….nous ne voulons pas seulement rendre hommage au roi Béhanzin. Nous souhaitons que les trésors d’Abomey soient rendus à la famille royale et au peuple béninois auxquels ils appartiennent légitimement : au musée du Quai Branly se trouvent les récades royales, le trône de Glélé, les portes sacrées du palais et plusieurs autres objets de grande valeur issus du pillage de 1894. Tous ces biens mal acquis doivent retourner dans leurs pays d’origines, où se trouve leur place véritable. Face à cet appel pourtant bien étayé la France n’a pas donné d’écho. Elle est restée intransigeante. Or, 8 ans avant Christiane Taubira, députée française à l’époque, a adressé une question écrite au premier ministre du pays du fromage en ces termes « Gbéhanzin, roi du Dahomey, a lutté farouchement pour préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale du Dahomey. Malgré sa glorieuse résistance face aux troupes françaises pour s’opposer aux conquêtes coloniales, il a dû signer sa reddition le 25 janvier 1894. L’Unesco, au sein de laquelle la France occupe une place de choix, postule qu’il appartient à chaque État de gérer son propre patrimoine culturel et historique. Le peuple du Bénin, très attaché à sa culture, ne comprendrait pas un refus de la France à restituer les traces de son histoire glorieuse. Les liens qui unissent le Bénin à la France militent pour la restitution de ces œuvres d’art ».
Et Talon donne écho à la voix de Ghéhanzin
« Et déjà ma voix éplorée n’éveille plus d’écho. Où sont maintenant les ardentes Amazones qu’enflammait une sainte colère ? (…) Qui chantera leurs splendides sacrifices ? Qui dira leur générosité ? Non ! A mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. », C’est le vibrant triste discours d’adieux du roi Gbéhanzin a ses fidèles compagnons lors de son départ meurtrié pour la Martinique. 2 siècles plus tard, la consolation est en train de se concrétiser par le retour des biens culturels dans leur espace naturel. La première tentative ayant échoué sous François Hollande, l’abnégation du premier magistrat de ce pays a commencé par payer sous le règne d’Emmanuel Macron. En effet, le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, devant 800 étudiants, dans un discours fleuve teinté de flatteries et de vérités, le président de l’hexagone ouvre la brèche. « Le premier remède c’est la culture, dans ce domaine, je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. Il y a des explications historiques à cela mais il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, ce sera une de mes priorités. Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. » Une note d’espoir pour le Bénin, confirmé par une audience du 1er juin 2018, où Le président français Emmanuel Macron, recevait à l’Élysée son homologue béninois Patrice Talon. A la sortie de ce tête-à-tête impossible selon les opposants béninois, Macron a annoncé la création d’une mission de réflexion et de consultation pour la restitution du patrimoine africain. Patrice Talon aux anges pour la bonne nouvelle. « Vous imaginez dans quel état je suis ? Un bonheur à la limite de l’extase » a-t-il laissé entendre sourire aux lèvres.
Deux experts étudient la faisabilité de
la restitution
L’historienne d’art Bénédicte Savoy, auteure d’une tribune croustillante dans le journal Le Monde à ce sujet, professeur à la Technische Universität de Berlin, titulaire de la chaire Histoire culturelle des patrimoines artistiques en Europe, XVIIIème-XXème siècles et l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr , professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal) ont reçu la lourde mission d’inventorier le patrimoine africain conservé en France et de proposer d’amender la législation sur l’inaliénabilité du patrimoine muséal pour fin novembre 2018. A l’échéance plus précisément le 23 novembre 2018, le rapport divisé en trois parties est déposé au Président de la République. Il y a d’abord « Restituer », ensuite « Restitutions et collections » et enfin « Accompagner les retours », suivies d’annexes détaillant la méthode employée et des fiches pratiques sur les dispositions juridiques, des recommandations méthodologiques et un chiffrage des coûts ainsi que des notices descriptives de la quinzaine d’œuvres à restituer en priorité. A la fin du document, l’on remarque un recueil des fiches d’inventaires du musée du quai Branly-Jacques Chirac. De ce travail dont l’attraction intellectuelle s’est appesantie sur l’Afrique subsaharienne, au moins 88 000 objets sont dans les collections publiques françaises, dont près de 70 000 dans le seul musée du quai Branly-Jacques Chirac pendant que les musées africains sont sans objet valable. « Je n’avais pas une position très tranchée face à la problématique des restitutions jusqu’à ce que je fasse des recherches dans les archives et que je me rende en Afrique», a expliqué Bénédicte Savoy avant d’exprimer son sentiment de tristesse « J’ai alors ressenti un tel choc en découvrant des salles de Palais vides, en sachant que toutes les œuvres étaient conservées hors du continent africain que ce moment a été pour moi un basculement qui ne m’a plus fait douter du bien-fondé des restitutions ». « Sur un continent où 60 % de la population a moins de vingt ans, il en va d’abord et avant tout de l’accès de la jeunesse africaine à sa propre culture, à la créativité et à la spiritualité d’époques certes révolues mais dont la connaissance et la reconnaissance ne saurait être réservées aux sociétés occidentales ou aux diasporas qui vivent en Europe. La jeunesse d’Afrique, comme la jeunesse de France ou d’Europe, a un droit au patrimoine » (Voir l’allocution d’Alain Godonou au forum de l’Unesco sur la mémoire et l’universalité, in Témoins de l’histoire : recueil de textes et documents relatifs au retour des objets culturels, Unesco, 2011, p. 63.)
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